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Brésil : Dans quel état se trouve l’Amazonie après quatre ans de Bolsonaro ?

« Il n’y a aura pas un centimètre supplémentaire de terres indigènes », promettait Jair Bolsonaro à l’automne 2018, au moment de briguer la présidence du Brésil. Il assurait par ailleurs que celles déjà reconnues (soit environ 13 % du territoire brésilien) seraient ouvertes à l’exploitation minière et à d’autres activités économiques.

Quatre ans plus tard, c’est l’heure du bilan pour Jair Bolsonaro qui en termine avec un premier mandat et en espère un deuxième. Mais Lula, le revenant et son principal rival, pourrait rafler la mise dès le premier tour de ces présidentielles, ce dimanche.

13.000 km² de forêts rasés entre août 2020 et juillet 2021

Il faut dire que Jair Bolsonaro a un bilan qui ne plaide guère en sa faveur. Sur le volet économique, la pandémie de Covid-19 et l’inflation à deux chiffres ont fait progresser l’extrême-pauvreté Brésil*.

Mais le bilan environnemental n’est pas plus reluisant. Et c’est en Amazonie, immense réservoir de biodiversité de 6 millions de km², dont 63 % se trouvent au Brésil, que cela transparaît le plus. « La déforestation annuelle moyenne y a augmenté de 75 % depuis son arrivée au pouvoir par rapport à la décennie précédente », indique Boris Patentreger, directeur France de Mighty Earth, ONG qui agit pour la protection des forêts tropicales. Rien qu’entre août 2020 et juillet 2021, 13.000 km² de forêts ont été rasés, selon les données de l’Institut national de recherche spatiale (INPE). Soit plus de vingt fois la superficie d’une ville comme Paris.

Les trois piliers de Lula

Certes, on n’est pas retombé au niveau de 2004, la pire année avec près de 28.000 km² déforestés », rappelle Plinio Sist, directeur de l’unité Forêts et Sociétés au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Alors président du Brésil, Lula avait par la suite réussi à baisser drastiquement cette déforestation, jusqu’à la stabiliser autour des 4.000 km² par an à la fin des années 2010.

« Sa stratégie reposait sur trois piliers, reprend Plinio Sist. D’abord l’instauration d’un système robuste de suivi de la déforestation, notamment satellitaire, confié à l’INPE. Ensuite, l’envoi immédiat d’agences environnementales, dont l’Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables (Ibama) pour vérifier sur le terrain ces déforestations et verbaliser les contrevenants. Et enfin, troisième pilier consistait à veiller à ce que les amendes soient payées. La déforestation était repartie à la hausse ensuite, sous le deuxième mandat de Dilma Roussef, du parti travailliste comme Lula, et plus encore sous celui de Michel Temer à partir de 2016. Sept milles km² de forêts avaient ainsi été détruits en 2017.

Fort relâchement dans la lutte contre la déforestation

La dégringolade s’est nettement accélérée sous Bolsonaro. « On est retombé à des niveaux qui n’avaient plus été atteints depuis une dizaine d’années », pointe Plinio Sist. Le chercheur du Cirad l’explique cpar un fort relâchement dans la lutte contre la déforestation. « Les budgets du ministère de l’environnement ont été drastiquement réduits et il y a eu moins d’empressement à s’assurer que les amendes étaient bien réglées », pointe l’écologue du Cirad. Sans parler des remises en cause récurrentes, par le gouvernement, des données de l’INPE car contraires à ce que voulait afficher Bolsonaro sur la scène internationale. » Ricardo Galvao, directeur de l’organisme, finira par être limogé à l’été 2019.

Ce relâchement n’est pas tout. Marion Daugeard, géographe spécialiste du Brésil et responsable de projet au sein de l’ONG Gret, y ajoute la rhétorique ultralibérale de Jair Bolsonaro, « très agressive envers les défenseurs de l’environnement et, à l’inverse, très complaisante envers l’agrobusiness ou les orpailleurs illégaux ». « Il y a toujours eu cette idée, au Brésil, que le développement économique du pays devait se faire sur la forêt, mais cette vision a été exacerbée par Jair Bolsonaro qui a adopté le discours des « ruralistas », ces producteurs ruraux vent debout contre toutes contraintes environnementales et qui placent l’homme et la liberté d’entreprendre au-dessus de tout », complète Boris Patentreger.

Du mieux à espérer avec Lula président ?

Le tout a donné un fort sentiment d’impunité aux déboiseurs. « En Amazonie, il s’agit avant tout de l’agrobusiness, l’élevage bovin principalement [dont le Brésil est le premier exportateur mondial], toujours en quête de nouvelles terres à convertir en pâturage, reprend le directeur France de Mighty Earth. Quant aux premiers touchés, ce sont les territoires autochtones, en particulier l’Apyterewa, dans l’état du Para au nord du pays, la plus touchée ces dernières années.

Lula président, la tendance peut-elle repartir à la baisse ? D’un côté, Marion Daugeard s’attend un « resserrage de vis ». De l’autre, la géographe rappelle que « Lula, et le Parti des travailleurs plus globalement ; ont toujours été liés à l’agrobusiness, qui a toujours été important dans la balance commerciale du pays. Plus le cas encore à ces élections pour lesquelles Lula a dû aller chercher des soutiens à droite de l’échiquier politique ».

Le sursaut des acteurs économiques

Marion Daugeard note tout de même un motif d’espoirs. « Une part de l’agrobusiness, même si minoritaire, se détache de Bolsonaro dont la politique et les déclarations fracassantes ont contribué à isoler le pays sur la scène internationale, observe-t-elle. Et commence à travailler sur les enjeux de traçabilité et de lutte contre de la déforestation importée, de plus en plus pris regardés à l’étranger. » A commencer au sein de l’Union européenne où un projet de loi est en cours de négociation sur cet enjeu.

Boris Patentreger voit aussi dans ce sursaut des acteurs économiques, pour qu’ils changent d’eux-mêmes leurs pratiques, un enjeu clé pour faire baisser durablement la déforestation au Brésil. Mais il est moins optimiste que Marion Daugeard. « Les chiffres 2022 de la déforestation ne sont pas encore tombés, mais les 33.116 foyers d’incendie détectés par l’Inpe en Amazonie, sur le seul mois d’août [le pire depuis 2010], ne sont pas un bon signe », fait-il remarquer. Ces feux, souvent provoqués par des agriculteurs qui défrichent illégalement les terres en brûlant les arbres, sont étroitement liés à la déforestation. « Ce qui voudrait dire que les déboiseurs ont cherché à profiter de leur impunité jusqu’au bout », craint-il.