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Brésil : les armes à feu, le legs de Jair Bolsonaro

Situé à Barra de Tijuca, un quartier chic de Rio de Janeiro, le club de tir Gunner est un endroit discret. Il a ouvert ses portes il y a moins de deux ans, au rez-de-chaussée d’un immeuble résidentiel huppé. La porte en verre teintée ne s’ouvre qu’après un échange par interphone et caméra. Métallique et renforcée, une seconde porte prévient les intrusions intempestives.

Explosion du nombre des personnes armées

En partenariat avec un fabricant autrichien réputé, ce club se veut moderne et convivial. Luciana, à l’accueil, face au coin café, fait visiter les lieux. Dans une salle de sport, deux clients prennent des cours d’autodéfense, armes à la ceinture. Devant la dizaine de stands de tir, des douilles au sol indiquent un entraînement récent. Luciana détaille les différentes options : cours de 4 heures pour 1 100 reais (215 €), adhésion annuelle de 390 reais (76 €), plus 250 reais par mois de cotisation. Les affaires marchent bien. « Bon, maintenant, ça va dépendre un peu des élections », lâche la jeune femme, toute de noir vêtue.

Car le meilleur allié des professionnels de la gâchette s’appelle Jair Bolsonaro, président du Brésil depuis janvier 2019 et candidat, le 2 octobre, à sa propre succession. Les armes à feu ont le vent en poupe depuis qu’il est arrivé au pouvoir. Selon les données officielles, le pays compte aujourd’hui près de 2 000 clubs de tir au Brésil comme le Gunner – contre moins de 200 en 2019. En moins de quatre ans, le nombre de personnes disposant d’une licence est passé de moins de 120 000 en 2019 à près de 700 000.

Jair Bolsonaro, militant de la légitime défense

Tout ça grâce à l’ancien capitaine de l’armée brésilienne. « L’une des toutes premières mesures prises par Jair Bolsonaro après son entrée en fonction a porté sur la libéralisation de l’achat d’armes, rappelle Felippe Angeli, de l’Institut Sou da Paz, une ONG consacrée à la sécurité publique. En tout, il a signé une vingtaine de décrets dans ce sens, au nom de la légitime défense. » Après avoir, en janvier 2019, assoupli la loi en vigueur, Jair Bolsonaro a multiplié les décisions pour autoriser les Brésiliens à faire le plein de pistolets, de fusils d’assaut et de munitions (jusqu’à 60 armes pour les chasseurs et membres de clubs de tir…)

Si Jair Bolsonaro a agi par décrets, c’est parce que le Congrès a refusé de le suivre sur ce terrain. Mais l’ancien militaire a été habile. « Sur le port d’armes, par exemple, il n’a pas pu changer la loi. Mais on a désormais le droit d’avoir une arme sur soi… si on dit se rendre au club de tir. C’est une excuse bien pratique ! », déplore Pedro Heitor Geraldo, politologue à l’Institut d’études comparées dans la gestion des conflits, de l’Université fédérale Fluminense.

Une fièvre inquiétante à l’approche des élections

Avec Jair Bolsonaro, le Brésil a pris un virage radical : depuis le début du siècle, le pays luttait contre les armes à feu. Depuis 2003, il fallait justifier d’une menace particulière pour pouvoir en détenir une. « Il y a eu également des programmes de reprises des armes, avec indemnisation, poursuit Pedro Heitor Geraldo. Et même pour pouvoir aller rendre son pistolet ou son fusil à la police, il fallait faire une demande aux autorités avant le déplacement. »

Désormais, le débat ressemble à s’y méprendre à celui en vigueur aux États-Unis. « Plus il y a d’armes, plus nous sommes en sécurité, assure ainsi un fonctionnaire du Sénat à Brasilia, comme en écho aux slogans de la NRA. Les études démontrent que les bandits ont peur d’attaquer un homme qui a un revolver. » La chute de la criminalité depuis 2019 en serait une nouvelle preuve, même si le camp adverse fait remarquer que cette baisse a commencé en 2018, avant l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro.

Ce qui est certain, en revanche, c’est que cette fièvre des petits et gros calibres inquiète à l’approche de l’élection présidentielle du 2 octobre. La campagne se déroule dans un fort climat de polarisation. Pour éviter des débordements fatals, la justice fédérale a suspendu certains décrets de Jair Bolsonaro.

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Dix fois plus de civils armés en cinq ans

- Depuis l’élection de Jair Bolsonaro en 2019, le nombre de chasseurs, tireurs sportifs et collectionneurs est passé de 117 000 à plus de 673 000. À titre de comparaison, ils étaient moins de 64 000 en 2017.

- Le nombre de civils armés dépasse celui des policiers : 406 384, selon les chiffres du gouvernement.

- Selon l’ONG Brazilian Public Security Forum, il y aurait environ 4,4 millions d’armes en circulation au Brésil, pour une population de 214 millions d’habitants.

- Ces armes sont détenues par les chasseurs, les tireurs sportifs et collectionneurs, auxquelles s’ajoutent les armes d’autodéfense individuelles, ainsi que celles des fonctionnaires – à usage privé aussi – des membres des forces de sécurité.