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Breton, corse, occitan, catalan... Les langues régionales se cultivent sur Wikipédia

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Francoprovençal, gascon, flamand, bourguignon… Autant de langues régionales françaises reconnues comme «menacées de disparition» par la Direction générale des politiques internes du Parlement européen. Avec leurs millions de locuteurs, les patois n'ont pas encore disparu en France mais ils ont, pour une partie, sérieusement besoin de renouveler leurs forces vives pour éviter ce cataclysme.

Afin de revitaliser ces langues, Wikipédia, qui existe aujourd'hui en 318 versions différentes, peut être un allié. L'alémanique, le corse, le catalan, le normand ou encore le tahitien ont chacun une version dédiée sur l'encyclopédie. Au total, quatorze idiomes régionaux français peuvent se targuer d'avoir leur propre version Wikipédia. Le 16 mars 2001, la version catalane a même été l'une des premières déclinaisons non anglophones à être lancée. Le dernier venu est le créole guyanais, lancé en 2019 et ne disposant, pour l'instant, que de 2.436 articles.

Étonnamment, ces idiomes régionaux peuvent parfois compter sur des contributeurs ne parlant pas un mot de leur langue. C'est ce qui est arrivé en 2020, comme l'a observé un internaute sur le forum Reddit: derrière un contributeur qui a créé et édité des dizaines de milliers d'articles en scots, une langue germanique parlée en Écosse et en Irlande du Nord, se cache très probablement un ado américain qui ne maîtrisait pas ce langage et faisait beaucoup d'erreurs.

Peu de locuteurs, mais un travail essentiel

C'est d'ailleurs là que le bât blesse: les communautés régionales wikipédiennes sont souvent peu fournies. Elles manquent par conséquent d'internautes pour venir vérifier le travail des uns et des autres, ce qui explique la facilité avec lequel le «contributeur scots» a pu être l'un des plus importants de ce Wikipédia. Car ce qui donne à l'encyclopédie sa réputation de fiabilité, c'est son grand nombre d'utilisateurs disponibles pour surveiller les vandalismes et les erreurs.

Olivier ne contribue à Wikipédia que sur sa version bretonne. Ce n'est pas qu'il a un grief particulier contre le français, mais il sait «le gouffre que cela peut représenter en matière de temps» s'il s'y investit. Cet informaticien a déjà fort à faire avec la version en breton, dont il est devenu administrateur il y a quelques années. Du fait de son métier, ses compétences techniques sont particulièrement utiles pour la communauté. Aujourd'hui, ils sont six administrateurs, plus ou moins actifs, pour gérer une quinzaine d'utilisateurs réguliers.

Côté occitan, on revendique le même nombre de bénévoles contribuant fréquemment. Ne pouvoir compter que sur une poignée de motivés revêt au moins un avantage. «On est beaucoup dans l'entraide et, avec un groupe aussi resserré, il n'y a pas souvent d'affrontements», assure Joan, un des administrateurs.

Même s'ils ne sont réalisés que par un petit groupe de locuteurs, ces ajouts sont essentiels, assure-t-il: «Pour maintenir en vie une langue régionale, il faut avoir une présence numérique. Et le problème, c'est que sur les réseaux sociaux, peu de gens communiquent en occitan. Compléter une encyclopédie en ligne, ça peut donc participer à la persistance d'une langue.» Une fonction doublement importante puisque, d'après ce wikipédien, il s'agit de la seule encyclopédie complète écrite en occitan depuis des siècles.

Quand l'usage sur Wikipédia change une langue

L'enjeu est le même à des centaines de kilomètres de là. «Il n'existe plus de mesures qui interdisent ou découragent l'usage du breton, mais ce qui manque aujourd'hui, c'est de faire vivre la langue et de l'utiliser, analyse Olivier. Et pour ça, Wikipédia est un support idéal, puisqu'il permet de traiter de tout. Je trouve qu'il y a assez peu d'instrumentalisation politique sur Wikipédia et peu de mise en avant de nationalismes régionaux. En tout cas, moi, je n'y ai jamais été confronté.»

Wikipédia permet même, dans certains rares cas, d'élargir la base des locuteurs d'une manière parfois surprenante. Dans le petit groupe d'actifs de la communauté occitane, Joan a ainsi identifié, à son plus grand étonnement, un Américain qui apprenait l'occitan et, il fut un temps, un Russe.

«Pour maintenir en vie une langue régionale, il faut avoir une présence numérique. [....] Compléter une encyclopédie en ligne peut participer à la persistance d'une langue.»
Joan, administrateur du Wikipédia occitan

Avoir un lieu pour pratiquer la langue permet de s'entraîner, mais pas seulement. Faire vivre une langue peu usitée, c'est aussi l'adapter à des termes nouveaux et donc la renouveler. «Un Gallois parlant très peu breton avait créé un article sur les trolls du net, en les appelant les “Roñfl”, un terme qui veut dire “ogre” dans notre langue, détaille Olivier. La traduction a été décidée de manière univoque puis elle est restée ainsi sur Wikipédia pendant des années.»

Problème: comme l'article était intitulé «Roñfl», des Bretons se sont mis à utiliser ce mot. Il a donc été décidé de garder cette traduction, aussi imparfaite qu'elle soit, car elle était rentrée dans les usages. L'administrateur breton préfère voir dans cette histoire le verre à moitié plein: «Le bon côté, c'est qu'on constate que notre contribution peut avoir une vraie influence, ça montre que ce qu'on fait n'est pas inutile.»

Oralité et manque de locuteurs

Faire vivre un Wikipédia en langue régionale n'est pas une sinécure. «Il y a de grosses difficultés à développer ces communautés, reconnaît Rémy Gerbet, directeur exécutif de Wikimédia France. Alors on cherche à leur apporter notre aide par différentes actions.» Joan confirme qu'il y a parfois des rencontres organisées autour de points techniques. Il se marre: «Mais comme c'était organisé en français, il fallait tout traduire pour l'Américain qui contribue en occitan. C'était une situation un peu étonnante!»

Le plus gros obstacle à leur développement reste et restera le nombre de locuteurs, pour certaines langues véritablement en voie de disparition. «Même si je connais quelques personnes qui élèvent leurs enfants en occitan, ce sont des situations extrêmement rares, déplore Joan. Les derniers locuteurs naturels que je connaisse sont très âgés.» Le vieillissement de la communauté de personnes parlant parfaitement les langues régionales s'accompagne d'un manque de maîtrise informatique de ces aînés, pas toujours à l'aise avec les outils numériques.

Puisque les problèmes ne viennent jamais seuls, l'occitan, comme d'autres idiomes, en a un énième. «Ce n'est pas une langue uniforme, elle dépend de là d'où l'on vient», explique Joan. Une charte a été établie pour pallier ces différences. Les contributeurs peuvent utiliser le dialecte qu'ils veulent, mais leur usage doit être cohérent dans un même article, qui ne peut passer d'une ligne à l'autre à un dialecte différent.

Quand Rémy Gerbet s'est penché sur la question, il a vite identifié un dernier obstacle. «Les personnes qui parlent une langue régionale ne la maîtrisent pas toujours à l'écrit.» Wikimédia France a donc créé Lingua Libre, un outil pour constituer un corpus audiovisuel et ainsi passer la barrière de l'écrit pour faire vivre, malgré tout, ces idiomes. Initialement pensée pour les patois français, cette plateforme rencontre un certain succès et profite aussi à un public inattendu de Polonais ou de Bengalis.

«On a encore des langues à aller chercher, annonce le président exécutif, notamment les langues régionales créoles, qui ne sont pas assez présentes sur Wikipédia.»