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« C’est inquiétant » : comment l’abandon du projet Bridor rebat les cartes industrielles en Bretagne

La décision du breton Le Duff de renoncer à son usine de viennoiseries surgelées à Liffré a fait l’effet d’une petite bombe dans les milieux économiques, inquiets des conséquences de ce retrait pour la réindustrialisation en Bretagne.

Le 11 mai, devant un parterre de chefs d’entreprise et d’acteurs institutionnels, Emmanuel Macron annonçait fièrement sa nouvelle stratégie d’« accélération de la réindustrialisation » de la France, promettant de diviser par deux les délais d’implantation industrielle.

L’annonce n’aura pas convaincu le géant breton de l’agroalimentaire Le Duff, qui a annoncé, ce mardi 30 mai, l’abandon de son projet XXL d’usine de production de viennoiseries surgelées à Liffré, près de Rennes. Ce site, Le Duff et sa filiale Bridor (1,3 milliard d’euros de chiffre d’affaires) le portaient depuis 2017, avec le soutien de la plupart des élus locaux. Mais le dossier était englué depuis des mois, en raison de la lenteur des procédures administratives à laquelle s’est ajoutée la fronde des associations environnementales, à l’origine de plusieurs recours. Résultat, le dernier calendrier en date laissait entrevoir des travaux au plus tôt en 2026 et une mise en service en 2028.

« Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre dix ans, voire certainement davantage, pour que notre projet industriel aboutisse, lorsque nos concurrents à l’étranger mettent un à deux ans maximum pour obtenir les mêmes autorisations de construction », tonne Louis Le Duff, patron du groupe du même nom.

Le terrain où le groupe Le Duff comptait implanter son projet d’usine Bridor, à Liffré (35).
Le terrain où le groupe Le Duff comptait implanter son projet d’usine Bridor, à Liffré (35). (Photo Nicolas Créach)

500 emplois balayés

Le dirigeant finistérien a donc décidé de mettre au placard son usine, les 500 emplois et l’investissement de 250 millions d’euros qui allaient avec. Une décision rare à un stade si avancé. Après Notre-Dame-des-Landes, ce cas d’école qui cristallise les grands enjeux du moment - comment concilier économie et écologie - nuira-t-il aux futurs projets industriels bretons ?

« C’est inquiétant », concède le patron du Medef Bretagne, Hervé Kermarrec, qui note que l’annonce de Le Duff coïncide avec l’inauguration en grande pompe de la première gigafactory hexagonale de batteries, près de Lens (Pas-de-Calais). « Il faudra qu’au plus haut de l’État, on fasse le point pour que tous les projets soient portés de la même façon. »

Pour lui, la situation envoie un « mauvais signal » aux investisseurs, notamment étrangers. « C’est une situation dommageable pour l’emploi bien sûr, mais aussi pour l’industrie et la souveraineté », renchérit le patron de la CCI 35, Jean-Philippe Crocq.

Si les usines ne se font pas ici, elles se feront ailleurs

Côté politique, les élus déplorent eux aussi l’issue du dossier, à l’exception des écologistes. Le président de la Région, Loïg Chesnais-Girard, lui, reste sur sa ligne : des usines et de l’écologie. Un « en même temps » peu apprécié par Isabelle Le Callennec, leader de la droite à la Région et maire de Vitré (35), pour qui « les anti-tout s’appuieront sur ce précédent et tout projet industriel dans la région sera contesté ».

« Les projets se feront ailleurs »

À l’heure où la réindustrialisation a le vent en poupe, le dossier liffréen pourrait laisser penser qu’elle est plus compliquée sur le territoire breton. Or, « si les usines ne se font pas ici, elles se feront ailleurs », prévient la déléguée générale de l’Association bretonne des entreprises de l’agroalimentaire (ABEA), Marie Kieffer.

Le Duff a lui-même choisi, dès 2022, de se renforcer au Portugal et en Amérique du Nord, pour répondre à la hausse de la demande pour ses pains et viennoiseries surgelés. Il investit aussi dans ses sites français, notamment à Servon-sur-Vilaine (35) et Louverné (53), arrivés à saturation ou presque.

Pour l’ABEA, Bridor illustre bien les problèmes qui « découragent » les dirigeants de l’agroalimentaire. D’un côté, ils opèrent sur un marché mondial et concurrentiel, où il faut aller vite ; de l’autre, ils doivent gérer des recours en justice, synonymes de délais rallongés, de coûts supplémentaires et de marchés qui s’envolent au profit de la concurrence.

Un panneau annonçant le projet de construction de l’usine Bridor, finalement abandonné ce mardi 30 mai.
Un panneau annonçant le projet de construction de l’usine Bridor, finalement abandonné ce mardi 30 mai. (Photo Nicolas Créach)

Procédures administratives : « Le parcours du combattant »

Si le monde économique et politique met surtout l’accent sur l’opposition environnementale, une source proche du dossier souligne que le problème, à Liffré, vient principalement de la longueur des procédures administratives.

La situation est bien identifiée par l’exécutif. Selon un rapport remis au ministre de l’Économie, en mars 2022, il faut entre 17 et 19 mois pour un dossier, contre quatre à douze mois en Allemagne. « C’est le parcours du combattant… C’est un peu mieux depuis quelques années mais ça reste une usine à gaz », confie un industriel de l’agroalimentaire récemment installé dans le Morbihan.

Le président de la République s’est engagé à simplifier et réduire les délais pour les ramener à neuf mois « garantis », sans rogner sur l’écologie. La mesure doit encore être votée au Parlement et faire l’objet de textes d’application. Une perspective trop lointaine pour Le Duff. L’histoire est-elle pour autant finie ? Si le groupe ne veut plus investir à Liffré, il n’a, en revanche, pas encore indiqué s’il voulait s’implanter ailleurs en France ou s’il y renonçait complètement.