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Ce que pense Xi Jinping, et pourquoi cela compte

Xi Jinping a entamé en octobre son troisième mandat de secrétaire général du Parti communiste chinois. C’est guidé par l’idéologie que Xi mène son pays d’une main de fer, explique l’ancien Premier ministre australien Kevin Rudd. Une grille de lecture que les Occidentaux feraient bien d’utiliser pour mieux comprendre les ressorts des décisions à la tête de l’État chinois. Et s’en prémunir.

La question géopolitique qui domine le débat dans le monde occidental aujourd’hui est, sans surprise, l’ascension de la Chine de Xi Jinping, et le défi qu’elle représente pour la puissance américaine. À l’approche du 20e Congrès du Parti communiste chinois (PCC) [tenu du 16 au 22 octobre], alors que le président chinois manœuvrait pour consolider son pouvoir et s’assurer un troisième mandat, les spécialistes occidentaux ont cherché à décoder la vision du monde qui l’anime et ses ambitions pour la Chine.

Cependant, un important courant de pensée est resté absent de cette tentative : le marxisme-léninisme. C’est étrange, car celui-ci est l’idéologie officielle de la Chine depuis 1949. Mais l’omission est compréhensible, puisque voilà longtemps que la plupart des penseurs occidentaux ont fini par considérer l’idéologie communiste comme éteinte de facto. Et ce même en Chine, où, à tête du PCC à la fin des années 1970, Deng Xiaoping a écarté l’orthodoxie marxiste-léniniste de son prédécesseur, Mao Zedong, au profit d’une sorte de capitalisme d’État. Ses successeurs Jiang Zemin et Hu Jintao lui ont emboîté le pas en développant le rôle du marché dans l’économie domestique et en adoptant une politique étrangère destinée à accroître la participation de la Chine à un ordre économique mondial dirigé par les États-Unis.

Mais Xi a brutalement mis fin à cette gouvernance pragmatique et non idéologique. En lieu et place, il a défini une nouvelle forme de nationalisme marxiste qui façonne désormais la politique, l’économie et les affaires étrangères de la Chine. Avec lui, c’est l’idéologie qui guide la politique et non l’inverse. Il a renvoyé la politique à la gauche léniniste, l’économie à la gauche marxiste, et la politique étrangère à la droite nationaliste. Il a réaffirmé l’influence et le contrôle du PCC sur tous les domaines de la politique publique et de la vie privée, a redynamisé les entreprises d’État, tout en imposant de nouvelles restrictions au secteur privé. Parallèlement, il a attisé le nationalisme en menant une politique étrangère de plus en plus impérieuse, armé de la conviction d’inspiration marxiste selon laquelle l’histoire donne toujours raison à la Chine, et qu’un monde ancré dans la puissance chinoise aboutirait à un ordre international plus juste. En somme, l’ascension de Xi Jinping traduit le grand retour de l’idéologie faite homme.

Matérialisme historique et matérialisme dialectique

En dépit de leur caractère abstrait et méconnu [en Occident], ses idées ont de profondes répercussions sur la politique intérieure et extérieure de la Chine, et par conséquent sur le reste du monde.

Dans ses écrits, Xi Jinping s’inspire du matérialisme historique pour replacer la révolution chinoise dans l’histoire mondiale, le passage de la Chine à un stade plus avancé du socialisme s’accompagnant nécessairement du déclin des systèmes capitalistes. À travers le prisme du matérialisme dialectique, il présente son programme comme un pas en avant dans une lutte toujours plus intense entre le PCC, d’une part, et les forces réactionnaires à l’intérieur (un insolent secteur privé, des ONG influencées par l’Occident, les mouvements religieux) et à l’étranger (les États-Unis et leurs alliés), d’autre part.

Ces concepts sont pris très au sérieux par les élites du PCC. Celui-ci s’appuie naturellement sur le même genre de conseils économiques et stratégiques qui guident habituellement les régimes occidentaux. Mais au sein du régime chinois, le marxisme-léninisme reste la source idéologique principale d’une vision du monde qui donne historiquement raison à la Chine et dépeint les États-Unis comme un pays destiné à disparaître, car rongé par des contradictions politiques internes et en proie à un inévitable déclin du capitalisme. C’est ce qui marquera, selon Xi Jinping, la véritable fin de l’histoire.

La décadence commence dans le domaine idéologique

En 2013, cinq mois à peine après sa nomination au poste de secrétaire général du parti, devant la Conférence centrale sur l’idéologie et la propagande, à Pékin, Xi Jinping avait prononcé un discours dont on avait connu la teneur trois mois plus tard, grâce à des fuites. Il s’y attardait sur les risques d’un affaiblissement idéologique tel que celui qui conduisit à l’effondrement du communisme soviétique, sur le rôle de l’Occident qui fomentait la division idéologique en Chine, et sur la nécessité de réprimer toute forme de dissidence. “La désintégration d’un régime commence souvent dans le domaine idéologique”, avait-il déclaré. “Des troubles politiques et un changement de régime peuvent arriver du jour au lendemain, mais l’évolution idéologique est un processus à long terme”, avait-il poursuivi, en mettant en garde :

“La moindre brèche ouverte sur le plan idéologique rend les autres lignes de défense très difficiles à tenir.”

Mais le PCC “est dans la ligne juste”, avait-il assuré son auditoire, l’encourageant à ne pas être “évasif, timide, et à ne pas mâcher ses mots” dans ses relations avec les pays occidentaux, dont l’objectif était selon lui de “rivaliser avec nous pour conquérir le cœur des masses populaires, avec comme objectif final de renverser la direction du PCC et le régime socialiste chinois”.

Un mouvement d’épuration au sein du PCC

Cela impliquait de sévir contre quiconque “entretient la dissidence et la discorde”. Il s’est ensuivi un mouvement d’“épuration” au sein du PCC, accompli en éliminant tout ce qui pouvait ressembler à une opposition politique ou institutionnelle. Une décennie de campagne anticorruption avait commencé avant même le discours. Par la suite, une “campagne de rectification” a entraîné une nouvelle série de purges dans l’appareil du parti. Par ailleurs, Xi a réaffirmé le contrôle du parti sur l’Armée populaire de libération (APL) et la police, et a centralisé les systèmes de cybersécurité et de surveillance. Enfin, en 2019, il a lancé une campagne éducative au sein du parti sur le thème : “N’oublions pas l’objectif initial du parti, gardons notre mission à l’esprit !”

Vers la fin de son premier mandat, il était déjà devenu clair que Xi voulait transformer le PCC en grande église d’une foi laïque redynamisée, rien de moins !

La trajectoire suivie par la politique économique de la Chine sous Xi – d’un consensus en faveur des réformes en faveur du marché à une intervention accrue du parti et de l’État – a été inégale, contestée et parfois contradictoire. En effet, à la fin de 2013, le Comité central du PCC adopte un document sur l’économie au caractère réformiste remarquable, intitulé sobrement “Résolution”. Ce texte présente une série de mesures qui permettent au marché de jouer “un rôle décisif” dans l’allocation des ressources. Mais la mise en œuvre de ce dispositif a peu à peu ralenti pour s’arrêter en 2015, tandis que les entreprises d’État bénéficiaient de milliers de milliards de dollars d’investissements entre 2015 et 2021 – une injection massive de subventions qui replaçait l’État chinois au centre de la politique économique.

Une nouvelle orthodoxie économique

Lors du 19e Congrès du PCC, en 2017,