France
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Cette photo montre-t-elle vraiment l’ex-ministre Nathalie Loiseau avec un skinhead ?

Une photo en noir et blanc, visiblement du siècle dernier, où une jeune femme enlace un skinhead. En légende, «Nathalie Loiseau n’oublie pas d’où tu viens stp, y’a pas si longtemps tu câlinais encore des skins et visiblement ça te donnait pas d’urticaire». Le cliché a été posté sur Twitter le 20 novembre par Alice Cordier (un pseudo), la présidente du groupe identitaire se voulant féministe Collectif Némésis. Une réponse à la députée européenne qui venait de dénoncer une nouvelle provocation des militantes d’extrême droite dans une manif Nous Toutes, la veille. Le tacle résonne également avec le passé de Nathalie Loiseau, qui a été candidate pendant ses études à Sciences Po Paris sur une liste héritière du GUD, un syndicat estudiantin fascisant, avait révélé Mediapart. «C’était une erreur. J’ai été sur cette liste pour faire nombre, je ne savais pas ce que c’était», assure-t-elle aujourd’hui à Libé. Ce même GUD, récemment réactivé, a d’ailleurs lui aussi diffusé la photo sur Twitter, quelques heures après Alice Cordier, proclamant : «Nathalie Loiseau, une des nôtres !»

Amalgames islamophobes

Tout a commencé par une action, le 19 novembre à Paris, des Némésis dans la manifestation contre les violences faites aux femmes des organisations féministes et syndicales. Chaque année ou presque depuis 2019, le Collectif s’infiltre dans ce cortège ou se positionne sur son parcours pour profiter de sa médiatisation et crier sa haine des exilés. Selon ces identitaires, les immigrés extra-européens, en particulier les musulmans, sont la cause principale de l’insécurité des femmes. Ce que tairaient les grandes organisations féministes, gangrenées par le «gauchisme». Cette année, les Némésis se sont donc de nouveau infiltrées dans la marche parisienne Nous Toutes. Pour certaines intégralement voilées, équipées de pancartes proclamant par exemple «mon coran mes lois», la dizaine de militantes réunies (dont quelques-unes venues de loin) a mené une action éclair d’une petite vingtaine de minutes. Leur objectif, teinté d’amalgames islamophobes : «démontrer l’hypocrisie du néoféminisme (sic) en trollant la manifestation et en se faisant passer pour des féministes islamistes». Nous Toutes a dénoncé «cette action honteuse et violente [qui] entre dans leur stratégie habituelle visant à créer de la désinformation sur les discours féministes pour tenter de cliver la société contre les luttes féministes et antiracistes». «Les femmes musulmanes, a ajouté l’organisation, sont victimes de violences sexistes et sexuelles, avec lesquelles s’imbriquent des violences racistes et islamophobes. Nous réaffirmons notre sororité et notre soutien à toutes les femmes, quelles que soient leurs origines, religions ou tenues vestimentaires.»

Cette action des Némésis n’a toutefois pas eu l’écho rencontré par celles des années précédentes et, hors influenceurs marqués (très) à droite, les relais ont été peu nombreux. Quelques personnalités ont toutefois été piégées, à l’image de Nathalie Loiseau, eurodéputée et ex-ministre LREM chargée des Affaires européennes. «Pendant que des femmes iraniennes meurent sous les coups et les balles d’un régime islamiste parce qu’elles n’en peuvent plus d’être opprimées par le voile, qui trouve-t-on dans une manifestation française qui affirme lutter contre les violences faites aux femmes ? Atterrant», a-t-elle tweeté le 19 novembre en postant une photo des activistes de Némésis, sans le savoir dit-elle. Un message repartagé plus de 1 700 fois et notamment par de nombreux utilisateurs d’extrême droite, dont Alice Cordier, ravis de ce coup de pub.

Pendant que des femmes iraniennes meurent sous les coups et les balles d’un régime islamiste parce qu’elles n’en peuvent plus d’être opprimées par le voile, qui trouve-t-on dans une manifestation française qui affirme lutter contre les violences faites aux femmes ? Atterrant. pic.twitter.com/fN5zTfNQwG

— Nathalie Loiseau (@NathalieLoiseau) November 19, 2022

Une méprise que beaucoup d’utilisateurs ont vite signalé à Nathalie Loiseau. L’eurodéputée, sans effacer son premier message, l’a alors repartagé en écrivant : «Voilà qu’on découvre qu’il s’agit d’une infiltration du groupe d’extrême droite Némésis, fier de son “coup”. Qu’en conclure ? Qu’extrême droite et islamistes ont besoin les uns des autres et se plaisent à essayer de nous manipuler. Je les dénoncerai les uns et les autres.» C’est ce message qu’Alice Cordier a retweeté en publiant la fameuse photo visiblement censée être compromettante avant que le GUD n’en remette donc une couche quelques heures plus tard.

«Je ne la reconnais absolument pas»

Sauf que… S’agit-il vraiment de Nathalie Loiseau sur ce cliché ? L’intéressée nie en tout cas farouchement et avoue ne pas se faire trop d’illusions sur le pourquoi de la manœuvre : «L’extrême droite m’attaque parce que c’est sur elle que je cogne.» Pour appuyer ses dires, elle a fourni à Checknews une bordée d’images d’elle au tournant des années 70-80. Epoque où elle était donc approximativement de l’âge de la jeune femme sur la photo, qui semble tourner autour de la majorité. De ces images, que Checknews a pu authentifier auprès de plusieurs sources, il ressort en effet que Nathalie Loiseau n’a que peu en commun avec son portrait supposé diffusé par les militants d’extrême droite.

«Je ne la reconnais absolument pas», confirment de concert à CheckNews deux anciens de Sciences Po Paris, qui l’ont côtoyée sur les bancs de la fac, auxquels nous avons montré la photo tweetée par Alice Cordier et le GUD. Le premier, Jean-Yves Camus, déjà très engagé et observateur de premier plan de l’extrême droite universitaire, assure que son ancienne condisciple n’a jamais «fréquenté les milieux d’extrême droite de l’école». Le second préfère rester anonyme. De la même promotion que la future ministre et également très engagé à gauche, il ajoute : «Nathalie Ducoulombier [son nom de jeune fille, ndlr] fréquentait plutôt la petite bourgeoisie de Neuilly que les milieux skinheads, je ne vois pas comment elle aurait rencontré ce jeune homme».

«Nathalie n’aurait jamais fréquenté des gens comme ça»

«Je ne la reconnais pas», assure encore Pascal Gastineau, vice-président de l’association des magistrats instructeurs, à qui nous avons montré le cliché. Celui qui dit connaître Nathalie Loiseau «depuis le secondaire» et l’a fréquentée au lycée Carnot puis à Sciences Po ajoute : «Elle était assez petite et menue ainsi que timide et réservée, pas du style en tout cas de cette jeune femme.» Même son de cloche du côté de l’avocat Nicolas Bodson, également sollicité. Caroline Schechter, aujourd’hui haute fonctionnaire et qui était «très amie» avec Nathalie Loiseau à cette époque précise : «Nathalie n’aurait jamais fréquenté des gens comme ça», à propos du jeune homme présent sur la photo. «Je n’accorde aucun crédit à ce cliché», nous assure-t-elle, «je la connais depuis que j’ai 18 ans, et je peux vous assurer que ce n’est pas elle sur cette photo. Elle n’avait pas une tête ronde et joufflue comme ça, elle avait un visage ovale, très fin avec des yeux en amande».

Contactée, Alice Cordier se montre désormais beaucoup moins affirmative que dans son tweet du 20 novembre. Aujourd’hui, elle invoque un message «plutôt à prendre sur le ton de l’humour». Puis de préciser, en réponse à nos questions sur la provenance de cette image : «On me l’a envoyée en privé il y a longtemps, je ne saurai dire d’où elle provient exactement […] je l’avais gardée au chaud.» Est-elle sûre qu’il s’agit bien d’une photo de Nathalie Loiseau ? «Il me plaît à croire que c’est elle», dit la présidente du Collectif Némésis, «mais je ne peux avancer de certitude quant à cela». Ce qui ne l’a donc pas empêchée de la diffuser sans aucune forme d’avertissement sur un réseau social ouvert et où elle compte plus de 15 000 abonnés.