France
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Charles III décommandé et poubelles enflammées: le French way of grève

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En ce moment même, Charles III aurait dû s'éclaircir la voix, avant de prononcer un discours devant les sénateurs réunis au complet. Ou bien, selon l'heure à laquelle vous lisez ces lignes, Sa Majesté aurait tout juste porté un toast à l'amitié franco-britannique depuis le château de Versailles. Ou encore, il flânerait entre les vignes d'un terroir du Bordelais –il devait se rendre dans la région en TGV ce mardi aux côtés de Camilla.

Rien de tout cela n'aura eu lieu. Cette annulation royale a offert une caisse de résonance mondiale au conflit sur les retraites. Et à la mauvaise santé de la démocratie française.

«N'est-ce pas une humiliation totale que la France ne puisse pas garantir la sécurité de sa majesté pour cette visite?» Voici la première question posée à Emmanuel Macron, vendredi dernier, à l'issue du Conseil européen à Bruxelles. À cette interpellation d'un journaliste du Daily Mail, le président français a répondu d'un laconique: «Nous ne serions pas sérieux de proposer une visite d'État au roi au milieu des manifestations.» Un bottage en touche digne des meilleurs crunches au Tournoi des Six Nations.

Pendant ce temps, à la une du Financial Times, quatre policiers casqués courent près d'une barricade enflammée dans une rue de Paris. «Tourmente en France», titre le journal lu sur les cinq continents.

Au départ de tout cela, il y a un congrès mal digéré chez Les Républicains, ce petit parti français qui eut ses jours de pouvoir, avant de s'écraser au cinquième rang de la dernière présidentielle. Un certain Aurélien Pradié, défait lors de l'élection interne, rétif à rentrer dans le rang, s'est réjoui de tester l'autorité de son vainqueur. Éric Ciotti, le patron de LR, a échoué à rassembler ses troupes en soutien à la réforme des retraites malgré ses assurances au gouvernement, en échange de concessions qu'il se vante d'avoir obtenu sur la réforme.

Voici comment la droite, fissurée, n'a pas pu servir d'appui à l'exécutif français. Lequel a choisi, par sûreté, d'utiliser le 49.3. Ce qui a déclenché des mobilisations plus ardentes, plus violentes... Au point de reporter la visite du nouveau souverain britannique, sous le regard interrogatif de la presse du monde entier. Comment mieux définir un effet papillon?

La bataille des retraites, au départ un énième accrochage franco-français entre le gouvernement et l'opposition, est désormais suivie en mondovision. Plus exactement, les poubelles enflammées, les rois décommandés et les discours clivés constituent un ensemble de symptômes qu'auscultent nos voisins. Nos alliés comme nos ennemis se pressent à notre chevet, pour tenter de comprendre ce mal français.

«Est-il temps d'une Sixième République?» s'interroge le Financial Times, circonspect devant l'usage de cet article exotique qu'on appelle le «quarante-neuf-trois».

Dans ses pages «opinions», le New York Times s'étonne de l'«incroyable déconnexion» d'Emmanuel Macron. Le correspondant en France, Cole Stangler, décrit «une crise qui soulève des questions sur l'architecture même de la Ve République et le pouvoir étendu qu'elle confère au chef de l'État. Comment est-il possible pour un président sans majorité parlementaire d'imposer une politique aussi impopulaire?»

De son côté, le Conseil de l'Europe dénonce «l'usage excessif de la force par les agents de l'État». Amnesty International s'élève contre des «arrestations abusives».

De manière plus ironique (presque trollesque, même), l'Iran condamne officiellement la «répression des manifestations en France» et appelle Paris «au respect des droits de l'homme».

Folklore français

D'autres jettent un regard plus attendri sur cette éruption bleu-blanc-rouge. «Vous savez, un mouvement social en France, on est plutôt habitué», rit un membre de la Commission européenne quand je l'interroge sur le regard porté sur ces événements depuis Bruxelles. «Et puis, à vrai dire, chaque pays traverse ses propres difficultés intérieures. Les Pays-Bas font face à une révolte des agriculteurs, l'Allemagne souffre des mésententes entre les trois partis de la coalition au pouvoir…»

Bref, la manifestation ne serait qu'un folklore français. Le French way of grève. Ces rues enflammées où l'on prend l'apéro tranquillement en terrasse. Un dîner aux chandelles revisité, qui amuse les internautes:

La mobilisation française fait d'ailleurs rêver la gauche radicale ailleurs en Europe, à l'image du député belge Raoul Hedebouw: «Si vous gagnez, nous gagnerons aussi en Belgique!» lance-t-il à la tribune.

Mais cette crise française met aussi en jeu la réputation du pays: est-il capable d'organiser de grands événements?

«Macron se soumet à la populace», grince le tabloïd Daily Mail. Sous-entendu: les autorités françaises ne parviennent pas à assurer la sécurité d'un monarque pendant trois jours. Outre-Manche, la capacité d'organisation avait déjà été mise en doute après les violences près du Stade de France, lors de la finale de la Ligue des champions, l'an passé. Resquilleurs et agresseurs avaient terrorisé une partie des fans de Liverpool, sans que la police n'empêche les exactions.

Cette question n'est pas neutre. Dans moins de six mois, la France accueille la Coupe du monde de rugby. Et dans moins de 500 jours, Paris reçoit les Jeux olympiques.

Des événements scrutés par le monde entier. Une formidable vitrine à l'international… Sauf si cette vitrine est brisée.