France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Chercher la femme dans le placard

Olivier Cruveiller a adapté et mis en scène Nagasaki, un court et beau roman d’Éric Faye (Stock), couronné par l’Académie française en 2010 (1). La scène est donc au Japon, où vit, dans un petit appartement, monsieur Shimura, employé modèle et célibataire bien ordonné, qu’Olivier Cruveiller prend un plaisir visible à incarner dans la plus stricte sévérité morale. L’homme constate qu’en son absence le niveau des boissons diminue dans le réfrigérateur… Il installe une webcam, qui lui permet de piéger une femme, intruse furtive qui s’est installée en douce dans le placard à futons. Il prévient la police. Il y a procès. Cela fait un an qu’elle hante ces lieux, qui jadis étaient siens, avant qu’elle se retrouve sans abri… C’est un récit d’une extrême délicatesse, qui exhale en cours de route une mélancolie subtile, qui fait tout le prix d’une vision du monde affective en toute politesse. L’homme regrettera son geste. Elle et lui, après tout, n’auraient-ils pu s’entendre ?

L’élégance de la représentation s’accorde parfaitement à la sensibilité diffusée par la mise en images de la fable, laquelle, sans quêter un exotisme nippon outrancier, laisse entendre, en sourdine, des accents discrets issus de « l’empire des signes », comme Roland Barthes a pu dire jadis. Les apparitions de Nina Cruveiller (Elle jeune) et Natalie Akoun (Elle plus âgée) participent du charme qui donne chair aux fantômes, cette hantise au sein de la culture japonaise. L’escorte musicale à vue de Laurent Valéro (violon et bandonéon) ajoute avec art des frissons à l’indicible.

Cyril Bothorel, mis en scène par Yann-Joël Collin, se dépense beaucoup dans le Verre d’eau, « spectacle burlesque » conçu à partir de textes du poète Francis Ponge (2). L’acteur fait flèche de tout bois, bondit, abuse de la voix en proférant à tue-tête, joue à claquer la porte à maintes reprises, s’ingénie à toutes sortes de mimiques, bref déploie à plein la panoplie des ressources physiologiques et extérieures de son métier. On se demande bien pourquoi. Ils ont certes voulu éviter le récital poétique, mais le génie de Ponge n’est pas tonitruant. Il est d’intériorité réflexive, ne ­barytone pas. Il enjoint à voir les choses du monde, surtout les plus prosaïques, sous l’angle neuf de la pensée au plus haut prix. Il n’est ni burlesque ni absurde. Bien au contraire, il s’acharne à quêter la raison dans le calme souverain d’une langue d’un classicisme résolu, d’où à la fin son étrangeté inouïe.