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Climat : « La science propose et argumente mais ce sont les citoyens qui décident », rappelle Jamy Gourmaud

À la télévision, dans des conférences, des livres et désormais sur les réseaux sociaux. Jamy Gourmaud se frotte à tous les supports. Depuis 1993 et le lancement de l’émission C’est pas sorcier sur France 3, il s’est imposé derrière ses maquettes et dans le camion de Marcel comme l’un des visages des sciences sur le petit écran. Il continue de les rendre accessibles dans Le Monde de Jamy sur France 5, dont trois épisodes seront diffusés le 12 octobre, et sur les réseaux sociaux où il vulgarise, décortique et rend toujours plus accessibles ces sujets.

Pas étonnant donc qu’il ait été choisi pour parrainer la Fête de la science, organisée du 7 au 17 octobre 2022 en métropole et dont le thème porte sur le changement climatique. 20 Minutes a saisi cette occasion pour échanger avec le journaliste dans cette période où la science nous revient comme un boomerang dans la figure.

Animateur télé, auteur, influenceur ? Comment doit-on vous définir aujourd’hui ?

Je me qualifie comme un passeur de savoirs et de connaissances. Je suis une sorte de trait d’union entre ceux qui ont ce savoir, les sachants, et ceux qui ont envie d’apprendre ou même qui n’ont pas forcément envie mais lorsqu’on leur explique des choses prennent du plaisir à découvrir. Je ne suis en aucun cas scientifique : je ne fais pas la science, je la raconte.

D’où vous vient cette passion pour les sujets scientifiques ?

Pas de mon enfance en tout cas (rires). Je ne peux pas dire que j’étais réfractaire à la science mais si on m’avait dit en sortant de l’école de journalisme que je serai un jour animateur d’émissions scientifiques, j’aurai fait un grand sourire et je n’y aurais pas cru. C’est la passion de transmettre qui m’a amené dans ce vaste terrain de jeu. Je suis avant tout journaliste, j’aime témoigner ce qu’il se passe autour de moi et expliquer.

Il y a aussi une part de hasard. Jeune journaliste, j’ai bossé dans plusieurs rédactions et je me suis spécialisé sans le vouloir sur ce thème. J’ai d’abord travaillé pour Ça m’intéresse, pour des journaux médicaux ou pour le journal La France Agricole. L’arrivée de C’est pas sorcier m’a définitivement accroché à ces sujets.

J’ai découvert la science en la décortiquant et j’y ai pris goût. Ces sujets qui me semblaient inaccessibles, lorsqu’ils étaient expliqués par des experts, trouvant les mots, montrant les bonnes images, faisant les bonnes expériences, devenaient conceptualisables.

Avec C’est pas sorcier, vous avez accompagné l’enfance des millions de Français et Françaises. Vous faites un peu partie de la culture populaire francophone…

J’ai du mal à me faire à cette idée. Évidemment, on a toutes et tous une part d’ego. Mais j’ai l’impression de faire mon métier comme au début de ma carrière, quand je n’étais pas encore sur le petit écran. Ce qui domine dans le métier que je fais c’est de raconter des histoires et qu’est-ce que je vais encore pouvoir apprendre.

Être connu et reconnu c’est un détail. Ce qui est assez agréable c’est que si je suis reconnu c’est qu’on reconnaît aussi l’intérêt des sciences et c’est ça qu’il faut mettre en valeur. Ces sujets qui parfois effraient un peu génèrent aussi de l’enthousiasme.

Alors pourquoi ne pas envisager de vous réunir à nouveau avec Fred et Sabine pour faire renaître l’émission ?

C’était il y a dix ans et je crois qu’il y a beaucoup de nostalgie autour de C’est pas sorcier. Je suis moi-même nostalgique parce que c’était un beau bébé et il vit encore à travers les réseaux sociaux et une chaîne YouTube. Les vies professionnelles des membres de l’équipe du programme ont pris des tournants. C’était merveilleux, je ne regrette rien mais on est passés à autre chose. Je ne pense pas qu’un retour à l’antenne serait sain pour l’image que l’on a gardée de cette émission et la nostalgie qui la fait encore vivre dans nos mémoires et dans nos cœurs.

Vous parlez de science à la télé depuis presque 30 ans. Il y a deux ans, vous avez fait vos premiers pas sur les réseaux sociaux, c’était une évidence de vous engager sur ce nouveau terrain ?

Je fais mon métier du mieux que je peux, quel que soit le support. Les réseaux sociaux sont juste de nouveaux supports. Quand on a envie de raconter, on utilise tous les moyens qui s’offrent à nous.

Mais sur les réseaux comme à la télé, certaines exigences coulent dans mes veines. Je me mets systématiquement à la place de celui qui va lire, regarder ou écouter ce sujet. Dès qu’une expression n’est pas claire, on la change. Ça ne se voit peut-être pas mais je suis très minutieux avec les images, les mots que j’utilise. Je me corrige en permanence pour que ce soit accessible au public.

Ce travail de vulgarisation scientifique est-il encore plus crucial depuis la pandémie ou l’été de canicules que nous venons de traverser ?

C’est une évidence ! Toutes ces problématiques mettent en lumière la nécessité de transmettre et diffuser les connaissances scientifiques. Pour comprendre le Covid ou le réchauffement climatique, on a besoin de cerner l’évolution scientifique de la situation. Pas seulement à un instant T mais comment ces phénomènes sont apparus et se déroulent dans le temps, et parfois en cascade avec des effets boule de neige.

Pourtant avec l‘arrivée du Covid-19, on a vu beaucoup de fausses informations se diffuser, notamment sur les réseaux sociaux…

Il y a toujours des gens qui s’interrogent sur les réseaux, certaines personnes condamnent même de manière virulente. Quand on tient ce genre de propos il faut argumenter et toute argumentation repose sur la méthode scientifique sinon il n’y a pas d’échange possible. Moi, j’essaye de donner des clés, de démontrer comment fonctionne un vaccin avec des savoirs qui ne sont plus à remettre en cause parce qu’ils ont été éprouvés par le temps. On ne va pas remettre en question les recherches de Pasteur et les différents vaccins qui ont été mis au point, qui ont sauvé des millions de vies. Donc j’explique comment fonctionne un vaccin et je l’explique de manière très concrète en suivant cette méthode scientifique.

S’il y a des gens qui me disent que j’invente, que je ne dis pas la vérité, qu’ils me le prouvent. Il y aura toujours des contre-exemples mais un contre-exemple n’est pas une vérité. Moi je suis là pour donner des clés pour que les gens comprennent et ne poussent pas sur un terreau d’ignorance de fausses vérités.

Outre les contre-vérités, les changements environnementaux ont aussi fait naître de l’anxiété parmi la population. Êtes-vous éco-anxieux ?

Je ne suis pas éco-anxieux, je suis inquiet mais aussi bourré d’optimisme. Si on continue comme on le fait aujourd’hui, ça n’ira pas. C’est sûr que ça peut faire peur mais je suis convaincu que nous avons les ressources pour infléchir les tendances, changer de direction. Si on est pétri d’anxiété, on baisse les bras et on ne fait plus rien. Il faut faire attention ne pas laisser l’émotion et la passion nous faire prendre de mauvaises décisions.

La question environnementale me préoccupe depuis de nombreuses années. Ces questions je les ai abordées dès le début de C’est pas sorcier en 1993.

Ces dernières semaines, le gouvernement invite la population à de « petits gestes » pour diminuer ses consommations électriques et son impact environnemental. Qu’en pensez-vous ?

Je crois qu’il faut éviter de jeter de l’huile sur le feu ou de tirer sur l’ambulance. On pourrait sans doute mieux faire mais déjà si on fait ça, c’est pas mal. Quand on nous dit de baisser le chauffage, ce n’est pas une injonction, c’est un conseil. Un degré de plus, c’est 7 % de consommation d’énergie en plus et un degré en moins, c’est autant en moins. L’enjeu c’est d’éviter d’épuiser les réserves, si on s’y met tous ce sera gagné.

Je pense qu’on peut tous contribuer à quelque chose de plus grand que nous. Depuis une trentaine d’années, j’ai moi-même adopté certains comportements qui vont dans la bonne direction. Je n’ai pas changé du jour au lendemain après l’été qu’on vient de passer. J’ai un compost dans mon jardin depuis 25 ans, je circule à vélo dans Paris, j’ai une voiture mais je circule essentiellement en train quand je me déplace…

D’un point de vue plus global, la France s’est donné des objectifs, notamment via la COP21 en 2015…

Oui mais nous sommes très en retard par rapport à ces engagements qui sont très ambitieux. On doit réduire nos émissions de CO2 de 40 % d’ici 2030. C’est dans 7 ans donc il va falloir mettre les bouchées doubles dans les années à venir si on veut maintenir ce cap, il faut de vrais changements culturels.

Quelle serait la « méthode Jamy » pour que ces enjeux soient compris par la population ?

Elle tenterait de transformer l’injonction en adhésion, en expliquant. Quand on comprend un phénomène qui est inexorable, on n’a plus le choix que d’y adhérer puisque c’est un fait.

Si on vous dit de ne pas construire votre maison trop proche de la mer parce que dans 20 ans il n’y aura plus de côte, ce n’est pas de l’injonction, c’est comprendre un phénomène. Mais si vous dites : "Ne construisez pas votre maison ici parce que la mer avance" et que vous n’expliquez pas pourquoi et comment, les personnes ont du mal à l’accepter. Je suis convaincu que lorsqu’on explique, qu’on montre, on n’a plus besoin d’interdire.

La connaissance est-elle selon vous la base de l’action ?

Elle est indispensable pour comprendre les mesures qu’il faudra prendre. En France, le réchauffement climatique est déjà là, on a pris 1,7 °C depuis le début de XXᵉ siècle et la courbe est ascendante.

Il faut lutter pour atténuer cette courbe et ensuite il va falloir vivre avec ces quelques degrés en plus. Ça ne paraît pas mais c’est énorme du point de vue des bouleversements engendrés. Il faut apporter de la connaissance plus que jamais face aux grands défis de notre temps. Parce que la science prouve, propose, argumente mais ce n’est pas elle qui décide, ce sont les citoyens.