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Cocotte-minute sur le feu, art martial dans le désert et arrivée des pick-up : Olivier Dubois raconte sa captivité à «Libération»

Libre, heureux et «un peu cotonneux», de son propre aveu. Olivier Dubois, le correspondant de Libération au Mali, est de retour en France au lendemain de sa libération après 711 jours de captivité dans le désert sahélien. Il a été accueilli par ses proches et par le président français, Emmanuel Macron, à Villacoublay peu après midi. Une délégation de Libé, conduite par le directeur de la publication, Dov Alfon, a pu échanger avec lui dans la foulée. Des retrouvailles empreintes d’émotion, de sourires et de premières anecdotes sur cette longue captivité enfin terminée.

Olivier, tu as retrouvé ta famille, tes enfants. Qu’est ce qui te traverse depuis ce matin ?

Je suis un peu cotonneux. Je suis ultra content d’être là et en même temps, je ne réalise pas. Parce qu’il y avait des habitudes, il y avait des habitudes récurrentes. Je vivais sous des arbres et puis là, il y a beaucoup de monde. Je dois parler à beaucoup de monde. Et puis les gens que j’aime, enfin ! On les imagine, on les écoute à la radio. Donc je suis ultra heureux mais je ne réalise pas vraiment. C’est un peu comme si j’étais en décalage par rapport à moi-même. Je pense que petit à petit, tout ça va se rephaser et puis je réaliserai. Mais c’est vrai que ça va vite.

Tu as senti que ta libération approchait ?

J’ai été très surpris et ça été rapide. Le 7 mars, trois gars sont venus pour me faire écouter un message audio, qui disait «tu vas sortir dans quinze jours, prépare-toi». Ensuite, pas de nouvelles avant le 16. Une moto est venue me chercher, on m’a dit «prends une petite couverture, une bouteille, et tu nous suis». J’étais dans un sas. Le lendemain, Jeffery Woodke [l’otage américain également libéré lundi, ndlr] est arrivé.

C’est à ce moment-là que tu as compris ?

On est toujours dans le doute. Woodke était très très inquiet, parce que plusieurs fois on lui avait dit «tu pars, tu pars». Il me répétait ça tout le temps, je lui répondais «mais non, ça va marcher». C’est quand on a commencé à bouger avec les pick-up et qu’eux nous ont dit demain, c’est fini, que j’ai compris. Là, tout a été très vite. On a traversé la frontière du Niger, on est monté dans une troisième voiture qui a foncé. On nous a dit de descendre […] et deux militaires nous ont récupérés. On était en plein désert et ils avaient mis un pick-up pour faire de l’ombre et une natte pour faire les premiers check-up médicaux. On était assis, on nous a dit «l’avion va arriver exactement là». Un gros-porteur militaire est arrivé, il a tourné et a atterri là, en plein désert nigérien.

Qu’est-ce qui t’a aidé à tenir pendant cette détention, au cours de laquelle tu dis n’avoir été ni maltraité ni frappé ?

Le sport, s’occuper l’esprit, et s’occuper tout court. La cuisine, le bagua [un art martial chinois], tout ça m’a aidé. Ce sont des parties de ma vie qui sont importantes, que j’aime et que j’ai réussi à garder et à faire ressortir là-bas.

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Tous tes proches pensaient que tu allais cuisiner en captivité !

Oui, j’adore faire à bouffer. J’ai demandé à mes geôliers une cocotte-minute, parce que ce qu’ils faisaient, c’était dégueulasse [rires]. Je leur ai dit «écoutez, moi je peux faire mieux, donnez-moi des trucs, une cocotte-minute, je le fais». Et toute la journée pour m’occuper, je cuisinais pour le lendemain matin, je me donnais des défis. Demain, tu fais un gâteau et après-demain tu fais ci. J’arrivais à faire des donuts, des petits pains. Je sais faire du pain sur le feu, fourré avec des dattes écrasées.

Tes geôliers t’ont laissé cette liberté tout de suite ?

Non, ça a mis du temps. Ça a commencé à partir du 2 février 2022 [soit près d’un an après son enlèvement, ndlr]. J’étais dans une prison à ciel ouvert, avec une petite équipe. Je buvais que du lait. Je leur ai dit «laissez-moi faire à manger». Et eux, ça les arrangeait. Cela a commencé comme ça et ça a été vraiment salutaire.

Et à quoi tu aspires aujourd’hui ? Est-ce que tu vas poursuivre ce métier ? Est-ce que tu vas continuer ?

Ah oui, absolument. Je ne peux pas dire exactement que ces deux dernières années, c’est le plus long reportage que j’ai fait car j’étais en captivité. Mais oui, j’aspire à continuer. J’aime ce métier. C’est pour ça que je suis parti à Gao [où il a été enlevé alors qu’il partait interviewer un chef jihadiste, en avril 2021, ndlr]. C’est totalement fou […] Mais évidemment, si on fait quelque chose comme ça, c’est qu’on aime ce métier ou qu’on est taré. Je suis peut-être un peu des deux, mais j’aime ce métier.