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Commémoration de l’Holodomor en Ukraine : le long chemin de la reconnaissance

La période de la fin des années 1920 au début des années 1930 est longtemps restée une tache blanche sur la carte de l’histoire ukrainienne et mondiale. La famine, qui visait à l’extermination d’un peuple entier, a fait l’objet d’un silence délibéré et est devenue un tabou idéologique. Le simple fait d’en évoquer le souvenir était qualifié d’activité contre-révolutionnaire et de propagande antisoviétique. Quant à la population, avec en fond la sanglante bacchanale du totalitarisme, elle avait bien appris à se taire, pratique qui, inconsciemment, a été assimilée par les générations suivantes.

Premiers témoignages en Occident

Or, malgré les mesures du pouvoir soviétique, des messages sur la tragédie des Ukrainiens sont quand même parvenus au monde civilisé. Dès l’automne 1932, les revues ukrainophones de Galicie [alors en Pologne] et de Bukovine [en Roumanie] publiaient des témoignages de paysans ukrainiens affamés qui avaient réussi à franchir la frontière avec la Pologne et la Roumanie. Des articles traitant de la situation en Ukraine sont parus dans les presses britannique, française, belge, américaine, tchèque et polonaise. Le journaliste gallois Gareth Jones a écrit plus de vingt articles sur la famine en Ukraine dans des journaux occidentaux de premier plan, en appelant à une réaction politique.

Le 22 mai 1933, Sergio Gradenigo, consul du royaume d’Italie à Kharkiv et Kiev, écrit dans son rapport à l’ambassade d’Italie à Moscou :

“La catastrophe actuelle va entraîner la colonisation de l’Ukraine, majoritairement par des habitants russes. Cela changera sa nature ethnographique. Il est possible que dans un avenir très proche, on ne parle même plus ni de l’Ukraine, ni du peuple ukrainien, et dans ce cas, il n’y aura plus de question ukrainienne…”

Le 31 mai 1933, Sergio Gradenigo écrit encore, atterré : “La famine cause de plus en plus l’extermination massive de la population, à une échelle si gigantesque qu’il est absolument incompréhensible que le monde reste indifférent à une telle catastrophe… Par le biais de réquisitions impitoyables (que j’ai signalées plus d’une fois), le gouvernement moscovite a instauré non seulement la famine, […] mais le manque total de tout moyen d’existence…”

Le silence de la communauté internationale

Dans les lettres des diplomates, on trouve des témoignages sur des discussions avec divers tchékistes influents qui avaient le monopole de l’enregistrement des décès, bloquaient la diffusion d’informations sur la famine, lançaient des actions punitives. Ainsi, en mai 1933, Sergio Gradenigo rédige un rapport qui retrace de façon réaliste la situation tragique de l’époque : “Le camarade Frenkel, membre du Collège du Guépéou [ancêtre du KGB], a confié à une de nos connaissances qu’à Kharkov, sur les routes, toutes les nuits, on ramasse environ 250 cadavres de gens morts de faim…”

Ces témoignages documentaires sont choquants. Mais Mussolini n’en a pas vu l’intérêt, car il souhaitait alors préserver de bonnes relations avec l’Union soviétique. De même, ni les gouvernements des autres pays occidentaux, ni la Société des Nations n’ont réagi aux informations qui leur parvenaient d’URSS. Selon Heorhiy Kassianov, docteur en histoire, le sujet de la famine de 1932-1933 était très impopulaire dans les pays occidentaux, qui tenaient à maintenir des liens économiques et commerciaux avec l’Union soviétique. Serhiy Kot, historien et auteur [du journal] Den [dont est issu le présent article], qui est malheureusement décédé cette année, considérait que pendant le Holodomor, l’Ukraine avait servi d’arène à la lutte entre les valeurs morales et les intérêts économiques réels de l’Europe et de la Russie. En effet, c’est en pillant son propre peuple que l’URSS a pu acheter d’énormes quantités d’équipements occidentaux, solliciter des professionnels occidentaux, et financer ses programmes d’industrialisation et de collectivisation à coups de devises.

Les souvenirs des gens, les données statistiques, les documents des organes soviétiques prouvent que le pouvoir a agi de façon délibérée afin de détruire une partie du peuple ukrainien et que ses actions correspondent à la notion de génocide formulée par l’Assemblée générale des Nations unies dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide approuvée à l’unanimité le 9 décembre 1948. En 1953, Rafael Lemkin, grâce à qui ce document avait été mis au point, voyait dans le Holodomor “un exemple classique de génocide soviétique, la plus longue et plus étendue des expériences de russification – l’extermination de la nation ukrainienne”.

Le vain châtiment de Staline

Les réquisitions meurtrières de céréales, les tirs sur les villages ukrainiens, les amendes draconiennes infligées à ceux qui ne parvenaient pas à réaliser les objectifs fantastiques du plan soviétique, auraient fauché, selon les sources, de 4 à 12 millions d’Ukrainiens. En parallèle avec la quantité de tombes, les exportations des céréales ukrainiennes ont augmenté. En trois ans, elles ont été multipliées par vingt – de 260 000 tonnes en 1929, à 5,2 millions de tonnes en 1932-1932.

Le 7 août 1932 a été promulguée une loi sur le renforcement des peines pour le vol de la propriété socialiste, plus connue en tant que “loi des trois épis”. Elle a eu pour conséquence que jusqu’au mois de décembre 1933, 125 000 personnes poussées au désespoir par la famine ont été condamnées, dont 5 400 ont été fusillées. Une ordonnance soviétique du 22 janvier 1933, signée par Molotov et Staline, il était interdit aux paysans du territoire de la république socialiste soviétique d’Ukraine de se rendre dans les autres républiques de l’URSS. Pour faire appliquer cette ordonnance, les régions concernées ont été encerclées par l’armée, les responsables locaux n’avaient pas le droit de fournir des papiers aux paysans, les transports ferroviaires et fluviaux étaient interdits, et les routes étaient contrôlées. Rien qu’au cours du premier mois qui a suivi l’entrée en vigueur de cette ordonnance, le Guépéou a fait état de l’arrestation de 219 460 personnes.

Ainsi Staline a-t-il puni les Ukrainiens qui luttaient contre la collectivisation. Une volonté implacable que l’on retrouve dans les propos de l’un des pions les plus brutaux de Staline, le secrétaire du parti communiste de Dniepropetrovsk Mendel Khataïevitch, qui, en 1933, déclarait :

“Entre les paysans et notre pouvoir se déroule une lutte sans merci. C’est une lutte à mort. Cette année, notre pouvoir et la durabilité [des paysans] ont été mis à l’épreuve. La famine leur a prouvé qui est le patron ici. Elle leur a coûté des millions de vies, mais… Nous avons gagné la guerre !

Ces réquisitions punitives devaient servir de leçon aux insoumis. Et pourtant, 90 ans plus tard, l’existence de l’Ukraine indépendante et notre lutte héroïque contre la Russie poutinienne démontrent que le peuple ukrainien, malgré toutes les secousses et les cataclysmes, est toujours debout et qu’il décide lui-même de son avenir. Nous avons confirmé notre droit à nous appeler une nation.