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Comment Frida Kahlo a façonné son style unique

Temps de lecture: 6 min

À partir d'une vie de résilience, Frida Kahlo s'est forgé une personnalité hors norme via une apparence très travaillée qui ne cesse d'inspirer.

L'accident

Fille d'une mère espagnole et mexicaine et d'un père allemand, Frida Kahlo grandit dans la maison qui deviendra la «Casa Azul» et plus tard, un musée à son nom. Atteinte de poliomyélite dans son enfance, elle en garde une jambe plus courte que l'autre.

À 18 ans, sa vie bascule à la suite d'un grave accident de tramway. Empêchée de se mouvoir, enfermée dans un corset, elle abandonne ses rêves de médecine et se consacre à la peinture, se choisissant comme modèle via un miroir. Confrontée à une vie de souffrance et de douleurs, sa personnalité se forge: la faiblesse devient force, le handicap un atout.

Elle comprend très vite le rôle capital de l'apparence et choisit de privilégier les tenues traditionnelles mexicaines aux motifs colorés. Toute sa vie, elle affirme avec éclat sa «mexicanité».

Artiste

Elle devient peintre et rencontre Diego Rivera, avec qui elle forme un couple explosif. Chacun mène sa carrière. À ses débuts, elle est seulement considérée en tant que troisième épouse d'un Diego Rivera déjà très célèbre.

Artiste engagé, il est invité aux États-Unis pour réaliser des peintures murales à San Francisco et New York. Frida l'accompagne, elle s'est déjà créé son style vestimentaire et pose pour de nombreux photographes en affirmant son allure, qualifiée de Tehuana –du nom d'un costume traditionnel de la région de l'isthme de Tehuantepec, au Mexique.

Elle disait: «Je ne suis jamais allée à Tehuantepec […] et je n'ai aucun lien avec cette ville, mais de tous les costumes mexicains, c'est celui que je préfère. C'est la raison pour laquelle je le porte.»

Série de costumes issus de l'exposition «Frida Kahlo, au-delà des apparences» au Palais Galliera. | Laurent Julliand

Sa carrière artistique se lance avec une première exposition à New York. Puis, en 1939, avec l'aide d'André Breton, elle expose une vingtaine de ses peintures à Paris. À cette occasion, le peintre Vassily Kandinsky évoque son apparence: «Elle était présente en personne, en costume mexicain –très pittoresque... Il y avait beaucoup de dames, d'allure assez excentrique… mais aucune n'aurait pu rivaliser avec le costume mexicain.»

Casa Azul

Diego Rivera rachète la maison dans laquelle Frida a grandi, située à Coyoacán (aujourd'hui dans Mexico), et le couple la réaménage. Désormais habillée de couleurs vives dont un bleu intense, leur habitation devient la Casa Azul, un lieu de rencontre pour intellectuels. Léon Trotsky, que Diego a aidé à venir au Mexique, s'y installe. Bientôt naît une idylle entre Frida et l'exilé russe.

Quand Frida décède en 1954, Diego met sous scellés ses effets personnels et demande à ce qu'ils ne soient pas ouverts avant au moins quinze ans, sans doute pour raisons personnelles mais aussi politiques. À la mort de Diego, la Casa Azul est léguée au Mexique et deviendra un musée dédié à la gloire et au talent de son épouse. Ce n'est que cinquante ans plus tard, en 2003, que ces objets gardés dans une salle de bain fermée sont révélés et inventoriés: 300 vêtements et corsets, 6.500 photos (dont Man Ray, Gisèle Freund…), du courrier et des documents.

Havre de paix aux couleurs chatoyantes, la Casa Azul conserve les trésors de Frida Kahlo: sculptures précolombiennes, ex-voto, poteries, livres, etc. Particulièrement émouvante, la salle de bain conserve la présence fantomatique d'un corset prothèse.

Un style

C'est le corps de Frida qui la conduit à trouver son style. Pour cacher sa jambe plus courte (elle fut méchamment surnommée à l'école «Frida-jambe-de-bois»), elle utilise différents subterfuges. Après avoir multiplié les chaussettes, elle opte pour des chaussures compensées et des jupes longues. Dès le début, elle choisit la «mexicanité», privilégiant des tenues de son pays avec l'enagua, une jupe longue de style tehuantepec ou juchitan (deux régions du Mexique). Pour le haut, un huipil, une blouse carrée, large. En accessoire, elle porte le rebozo, un châle rectangulaire symbolique de l'indépendance du pays.

Le resplandor, un huipil blanc en dentelle porté en coiffe autour du visage, figure sur nombre de ses photos et portraits. Si l'essentiel de sa garde-robe est locale, on y trouve aussi des vêtements chinois (achetés à Chinatown), qui l'influenceront pour customiser ses chaussures recouvertes de soie et brodées de motifs de dragon.

Autoportrait au Resplandor, Frida Kahlo, 1948. | © DR, collection privée © Diego Rivera and Frida Kahlo archives, Bank of México, fiduciary in theFrida Kahlo and Diego Rivera Museums Trust

Parmi ses bijoux, un collier aztèque en jade vert revient régulièrement sur les photos et portraits. Des chaînes en or s'ornent de breloques (oiseau, chauve-souris…). L'or se retrouve dans les dents de Frida (même si elle ne les exhibe pas), incrustées de diamants. Ses bijoux en argent mexicain sont ornés de pierres de couleur: turquoise, malachite.

Quand Frida Kahlo voyageait, son style détonnait. Lors d'un séjour à San Francisco, elle fut interpellée dans la rue par une question: «Où est le cirque?» Sa façon de s'habiller était militante: un hommage à son pays, un choix de liberté et une affirmation de son identité. Elle a toujours eu conscience du rôle que le vêtement pouvait jouer. Dans son dessin Appearences can be deceiving, son corps abîmé est dévoilé, mis à nu sous les strates des vêtements camouflage.

Prothèse de jambe avec botte en cuir et soie brodée de motifs chinois. | © Museo Frida Kahlo-Casa Azul collection-Javier Hinojosa, 2017

Pour l'historienne Oriana Baddeley, «la popularité de Frida Kahlo a transformé sa “mexicanité” en vernis formel, décoratif, coloré et joli… Le corps colonisé qu'elle habillait d'idéalisme révolutionnaire a perdu sa fonction de symbole de la nation pour devenir une icône de la souffrance féminine.»

Le corset

Instrument de maintien, mais aussi de torture, le corset est devenu un accessoire qui se montre, s'exhibe avec fierté. Certains ont été peints, d'autres sont des assemblages de métal, de bois; objets rigides pour maintenir la colonne vertébrale abîmée de multiples fractures.

Frida Kahlo révélant son corset peint sous son huipil par Florence Arquin, vers 1951. | © DR, collection privée © Diego Rivera and Frida Kahlo archives, Bank of México, fiduciary in theFrida Kahlo and Diego Rivera Museums Trust

Cette audace a inspiré les créateurs qui, cinquante ans plus tard, en ont fait un accessoire de mode à part entière, notamment Alexander McQueen pour qui l'entrave et la contrainte ont été des sujets de réflexion. Il a multiplié les modèles dédoublant le corps d'une extension rigide, inconfortable.

Jean-Paul Gaultier a composé toute une collection en hommage à Frida Kahlo, en reprenant pour ses mannequins le look, la coiffure avec les tresses rassemblées en couronne, les sourcils épais… Un défilé très joyeux de jupes longues, froufroutantes avec des tops façon huipil de format carré.

Masculin-féminin

Si les sourcils de Frida Kahlo sont une signature –«J'aime mes sourcils et mes yeux. En dehors de ça, je n'aime rien»–, elle en accentuait le côté sombre avec un crayon ebony de Revlon et exacerbait la jonction entre les deux, formant un arc. Elle aurait même utilisé des produits Talika (marque française née en 1948) pour la pousse des cils et sourcils.

Parmi ses effets redécouverts en 2004 figurent un vernis Raven Red ou encore un rouge à lèvres Everything's Rosy de Revlon. Et dans les parfums, deux mythes français: le N°5 de Chanel et Shalimar de Guerlain.

Si Frida est profondément femme, elle se joue avec humour des codes masculins. «J'ai une moustache et globalement le visage du sexe opposé», se décrit elle-même celle qui n'hésite pas à s'habiller avec des costumes trois pièces, utiliser des accessoires comme la canne de dandy, porter une casquette. Sur une photo de Craig McWilliam, elle pose en jean, chemise blanche, cigarette à la main, mais avec boucles d'oreilles et fleurs sur ses tresses.

Figure majeure parmi les icônes de mode, Frida Kahlo a fait de son style mexicain une signature universelle et sans pareille. Les créateurs s'en sont inspiré et on retrouve son esprit chez Gaultier, Givenchy, Erdem, Valentino, Richard Quinn… Des merveilles à découvrir dans l'exposition du Palais Galliera.

Au panthéon des icônes de mode, parmi des figures incontournables comme Jackie Kennedy, Madonna à ses débuts, l'excentrique Björk et la fantasque Lady Gaga, aucune n'a suscité autant de réappropriations de la part de filles et de femmes qui, aujourd'hui encore, se la jouent comme Frida.