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«Comment oses-tu?»: faut-il culpabiliser son entourage pour qu'il devienne plus écolo?

Temps de lecture: 7 min

En septembre 2019, la militante écologiste Greta Thunberg conspuait les dirigeants du monde entier, accusés d'inaction climatique, lors du sommet Action climat de l'Organisation des Nations unies (ONU) avec son fameux «How dare you?». Si, plus de trois ans après, l'action des gouvernements face au changement climatique continue de se faire attendre, la démarche aura eu le mérite d'attirer l'attention des décideurs et du grand public sur les enjeux environnementaux.

D'après Juliette Franquet, directrice de Zero Waste France, association engagée pour la préservation des ressources et la lutte contre le gaspillage, il faut continuer à agir: «Les entreprises et les institutions publiques sont toujours coupables de ne pas agir à la hauteur de l'urgence écologique. Si la réglementation avance, il faut s'inquiéter de l'influence des lobbies qui défendent leurs intérêts financiers court-termistes et du recours massif au greenwashing.»

Mais faut-il adopter la même stratégie et dire «comment oses-tu?» à un membre de son entourage qui mange de la viande tous les jours ou roule en SUV en espérant provoquer un «effet Greta»?

Responsabiliser plutôt que culpabiliser

Myriam, 24 ans, raconte cette difficulté à placer le curseur avec ses collègues d'une agence bancaire, peu sensibles à la cause écologique. «C'est vraiment le dernier de leur souci, ça me choque toujours d'entendre qu'ils prennent l'avion pour se déplacer en France ou pour faire un long week-end à New York, ou de les voir acheter tous les midis de la nourriture qui génère plein de déchets plastiques. Tout ça m'énerve au plus haut point, mais je n'ose rien dire car je ne veux pas avoir l'air d'une donneuse de leçons et finalement, j'ai l'impression d'être lâche. C'est un dialogue intérieur sans fin qui met mes nerfs à rude épreuve.»

Une colère partagée par Cyrielle, 46 ans: «Mes parents ont une grande maison, une piscine creusée, deux grosses voitures. Dès que je dis quelque chose, on me renvoie à la Chine et aux États-Unis qui polluent bien plus que nous. C'est désespérant.»

Difficile, parfois, d'attirer l'attention de son entourage sur l'écologie sans semer la zizanie ou devoir faire face à des arguments fallacieux. Alors que faire de la colère et de la solitude ressenties dans ces situations? Faut-il se taire? Pas d'après Juliette Franquet, pour qui sensibiliser son entourage reste une démarche résolument indispensable: «La majorité des problèmes écologiques sont d'ordre structurel. Mais en tant que citoyens, nous avons aussi une empreinte sur la planète. On est à un tel stade d'urgence qu'il est primordial que chacun prenne ses responsabilités.»

À un détail près: «Il faut faire la différence entre responsabilisation et culpabilisation, poursuit la directrice de Zero Waste France. Aujourd'hui, l'enjeu est de réussir à trouver un équilibre entre la radicalité nécessaire pour changer de modèle de société et la prise en considération de la difficulté pour les citoyens de trouver des alternatives à la surconsommation.»

Privilégier des discours sur l'écologie positive

Élisa Monnot, enseignante-chercheuse spécialiste de la consommation et de la communication responsables à CY Cergy Paris Université, travaille depuis des années sur ces sujets. Elle rappelle que différentes recherches en communication et en marketing ont démontré que susciter la peur ou la culpabilité ne fonctionne pas sur le long terme: «C'est valable aussi bien dans la sphère privée qu'à plus grande échelle dans le cadre de campagnes de publicité ou de sensibilisation des consommateurs. Les chiffres et les catastrophes naturelles restent des réalités immatérielles tant qu'ils n'ont pas d'impact concret dans le quotidien de ses interlocuteurs. On a tendance à réagir seulement quand le danger est proche de soi.»

«À Noël, ma mère m'a offert un pommeau de douche qui devient rouge lorsqu'une certaine quantité d'eau a été utilisée. C'était amené avec humour, alors je ne me suis pas braqué.»
Jean-Baptiste, 32 ans

Autre écueil à éviter: communiquer sur les mauvais comportements des individus. «Montrer des piles de déchets, des mégots dans la nature, des personnes qui prennent l'avion tous les deux jours, ça laisse penser aux personnes les moins sensibilisées que les comportements anti-écologiques sont généralisés et que les gestes individuels sont vains, nuance Élisa Monnot. En fait, ne parler que d'écologie au sens strict à des personnes qui ne s'y intéressent pas est peu efficace. Ce qui fonctionne mieux, c'est de faire appel aux émotions et d'invoquer d'autres leviers en parallèle: la santé, la praticité, l'esthétique, l'aspect économique, le plaisir, etc.»

Lorsqu'on sait s'y prendre, c'est en tout cas bel et bien auprès de ses proches qu'on a le plus de chances de faire passer ses idées: «Le cerveau humain est plus réceptif aux messages véhiculés par des personnes auxquelles on peut s'identifier. Et à ce titre, l'entourage est un puissant levier d'influence. L'une des méthodes les plus efficaces pour faire passer ses idées? L'humour», avance la chercheuse.

Ne pas se prendre trop au sérieux, la clé d'une sensibilisation réussie? «Ma consommation d'eau sous la douche a toujours été un sujet conflictuel avec ma mère. En écolo convaincue, elle ne supporte pas qu'on fasse couler l'eau pour rien. À Noël, elle m'a offert un pommeau de douche qui devient rouge lorsqu'une certaine quantité d'eau a été utilisée. Cette fois, c'était amené avec humour, alors je ne me suis pas braqué. Maintenant, mes colocs et moi, on s'en sert tous les jours et ça marche», illustre Jean-Baptiste, 32 ans.

Zero Waste France a bien compris que les messages écologiques passent mieux lorsqu'ils revêtent un aspect ludique. À l'instar de son défi «Rien de neuf», des programmes sont mis en place pour rendre attractifs les changements de comportements et donner lieu à des imaginaires positifs autour du zéro-déchet, dans un cadre détendu qui favorise les rencontres et le lien social. «Notre démarche n'a pas vocation à culpabiliser les gens, mais plutôt à les accompagner pour qu'ils puissent changer leurs habitudes et, à leur tour, montrer l'exemple au sein de leur cercle de connaissances», explique Juliette Franquet.

Bannir le classisme des discours écolos

L'association qui prône le zéro-déchet cherche à tout prix à s'éloigner de l'image élitiste parfois véhiculée par certains discours moralisateurs, pour montrer que les pratiques écologiques sont l'affaire de tous. «Particulièrement depuis le mouvement des “gilets jaunes”, on ne peut plus parler d'écologie sans faire le lien avec la justice sociale. Le travail de fond à effectuer, c'est de faire coïncider transition écologique et impératifs économiques et sociaux. Ce que nous avons d'ailleurs fait avec notre campagne “Pour une autre empreinte” et la publication du livre Déchets partout, justice nulle part», précise la directrice de Zero Waste France.

«Il faut multiplier les initiatives pour montrer que l'écologie n'est pas réservée qu'aux femmes, aux personnes blanches, urbaines et diplômées», abonde la chercheuse Élisa Monnot.

Le témoignage d'Alexandra, 28 ans, issue d'une lignée d'agriculteurs de la Beauce et aujourd'hui cadre à Marseille, montre la difficulté à parler d'environnement lorsque les enjeux de classes se mêlent à ceux de l'écologie. «Je n'ose plus questionner cette habitude d'acheter des monceaux de nourriture et de cadeaux lors des événements familiaux, regrette-t-elle. J'ai aussi abandonné ma bataille contre le foie gras. J'ai trop peur que mes idées provoquent une cassure entre nous, qu'on me traite de bobo. Donc je préfère ne rien dire.»

«Se responsabiliser en acceptant nos imperfections est bien plus efficace que de se livrer à une forme de compétition morale, qui ne fait que renforcer les crispations autour de l'écologie.»
Élisa Monnot, enseignante-chercheuse spécialiste de la consommation et de la communication responsables à CY Cergy Paris Université

Pour autant, Alexandra reconnaît que dans son entourage familial, la décroissance se pratique naturellement: «C'est une écologie qui ne dit pas son nom. Dans ma famille, on répare plutôt que de racheter, on ne prend quasiment jamais l'avion et on consomme les légumes du potager. En fait, je crois que c'est plus en raison de ma mobilité sociale que du sujet en lui-même que cette conversation est impossible, car l'écologie est encore trop perçue comme étant réservée aux nantis.»

Pour concilier justice sociale et enjeux environnementaux, Verdragon, maison de l'écologie populaire, a ouvert ses portes à Bagnolet (Seine-Saint-Denis) en juin 2021. À travers son action, Fatima Ouassak, sa fondatrice, entend proposer des discours alternatifs à la pensée écologique dominante, «généralement déconnectée de la question sociale, du moins du point de vue des classes et des quartiers populaires. L'écologie en France s'organise autour des projections établies par les catégories socioprofessionnelles supérieures dans des termes abstraits, lointains, et désincarnés qui ne remettent jamais réellement en question le système capitaliste et colonial à l'origine du désastre écologique», expliquait-elle en septembre 2020 à Basta.

Pour faire bouger les lignes, Verdragon permet aux habitants de s'emparer des sujets écologiques par le biais d'ateliers collaboratifs, notamment autour de l'alimentation. Ces dispositifs permettent de mobiliser sans culpabiliser les populations des quartiers, parmi les plus touchées par les enjeux écologiques.

Tous imparfaits: accepter nos contradictions pour aller de l'avant

Pour Élisa Monnot, être crédible face à son entourage, c'est aussi savoir reconnaître qu'on n'est soi-même pas exemplaire. «Personne ne l'est et si on attendait tous de l'être, il ne se passerait rien. Souvent, culpabiliser quelqu'un, c'est reporter sa propre culpabilité sur les autres.» Difficile en effet d'ignorer que dans notre société capitaliste actuelle, être 100% vertueux sur le plan de l'écologie relève plus de l'utopie que de la réalité.

Personne ne peut véritablement être exempt de contradictions, comme noté dans un récent rapport publié par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe): «Un paradoxe s'observe entre, d'un côté, des aspirations croissantes à changer de modèle économique et, de l'autre, des pratiques qui restent largement ancrées dans un modèle consumériste. La consommation exacerbe les injonctions contradictoires dans lesquelles évoluent les Français. La publicité, les offres promotionnelles, la mode, les évolutions technologiques les poussent à renouveler rapidement leurs biens et incitent à la consommation. Ainsi, 90 % des Français pensent que la société les pousse à acheter sans cesse (+ 2 points par rapport à 2021).»

En dépit de cette réalité décourageante, nous disposons tout de même d'une certaine marge de manœuvre. «Se responsabiliser les uns les autres tout en acceptant nos imperfections mutuelles est, à mon sens, bien plus efficace que de se livrer à une forme de compétition morale, qui ne fait que renforcer les crispations autour de l'écologie, affirme Élisa Monnot. Ce n'est que comme ça qu'on réussira à ouvrir de nouvelles portes dans les consciences de chacun.» Et, pourquoi pas, à incarner un levier de pression suffisant pour pousser les décideurs à vraiment agir.