France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Covid : pourquoi ne dispose-t-on pas des données sur le statut vaccinal des Français décédés, toutes causes confondues ?

Depuis le début de la campagne vaccinale, des chiffres ont régulièrement été publiés sur le statut vaccinal des personnes hospitalisés en lien avec le Covid. Ils ont contribué à démontrer l’efficacité du vaccin contre les risques d’hospitalisations, d’admissions en soins critiques, ou de décès, en lien avec le Covid. A en croire Laurent Toubiana, chef de file des «rassuristes» lors de la pandémie (et auteur de plusieurs déclarations contredites par CheckNews), ces données seraient insuffisantes pour mesurer les effets du vaccin. L’épidémiologiste bataille depuis des mois pour obtenir des données de vaccination sur l’ensemble des décès enregistrés (toutes causes confondues). Un combat relayée par la sphère antivax... d’autant plus que les données ne sont pas disponibles (nourrissant ainsi l’idée d’une dissimulation par les autorités). Si ces informations sont jugés d’un intérêt relatif par plusieurs experts contactés par CheckNews, Laurent Toubiana assure qu’elles «permettraient d’écarter ou de confirmer l’hypothèse d’un vaccin dangereux.» L’idée sous-jacente étant que ces informations permettraient de révéler une plus grande mortalité des personnes vaccinées (la thèse des antivax) du fait des supposés graves effets secondaires.

Des recours mis en échec devant le Sénat et le Cada

La démarche de l’épidémiologiste remonte à plusieurs mois. Le 19 février, il sollicite le Sénat pour diffuser une pétition adressée aux parlementaires et destinée à «obtenir l’accès aux données complètes des décès dans le cadre de l’enquête sur les effets secondaires des vaccins Covid-19». Son initiative est ensuite défendue, le 21 mars, par l’intermédiaire d’une tribune cosignées par de chercheurs et universitaires. Puis, le 1er avril, via une pétition en ligne. Après un refus essuyé auprès du ministère de la Santé, une requête est déposée devant la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada).

Cette demande a été déclarée «sans objet» par la Cada, dans un avis rendu le 22 septembre. Très relayé cette semaine sur les réseaux sociaux, l’avis a généré de nombreux intox ou déclarations trompeuses. Parmi les personnalités l’ayant partagé, on peut citer le président des Patriotes Florian Philippot, ou encore la statisticienne Christine Cotton, qui écrit sur Twitter : «Réponse EFFARANTE de la CADA […] Il n’existe aucune donnée relative au statut vaccinal covid des personnes décédées ? Comment font-ils leurs études PROUVANT que le vaccin diminue la mortalité ?»

Comme expliqué au début de cet article, les informations sur le statut vaccinal des personnes hospitalisées ou décédées en liens avec le Covid sont bien disponibles et publiques. Et ont permis de prouver l’efficacité du vaccin. A ce jour, pour assurer la surveillance de l’épidémie et de la vaccination, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), service chapeauté notamment par le ministère de la Santé, exploite trois bases de données qu’elle peut croiser. La base «SI-DEP» permet d’appréhender les résultats des tests Covid-19 ; «SI-VIC» d’observer les hospitalisations, admissions en soins critiques et décès de patients pour ou positifs au test Covid-19 ; «VAC-SI» de suivre les vaccinations contre le Covid-19. La Drees mène, depuis août 2021, des appariements réguliers de ces données (les dernières remontent au 13 novembre). Ainsi, les croisements entre les bases SI-VIC et VAC-SI permettent notamment de prendre connaissance de chiffres sur les décès de patients hospitalisés après avoir contracté le Covid-19 en fonction de leur statut vaccinal le jour du décès.

L’Angleterre, seule à fournir des taux de mortalité par statut vaccinal

En revanche, la Drees n’a pas accès au statut vaccinal des personnes décédées ces deux dernières années «toutes causes de décès confondues». Pour en disposer, il serait «nécessaire d’apparier la base VAC-SI avec une base de données intégrant l’ensemble des décès», répond-elle à CheckNews. La France est très loin d’être le seul pays à n’avoir pas réalisé pareil appariement. Preuve que ce «croisement» n’est pas considéré comme déterminant dans le suivi de l’épidémie ou de la campagne de vaccination. Ainsi, les autorités américaines, canadiennes, ou encore de celles de ses voisins proches (Espagne, Allemagne, Italie) ne publient pas cette information.

Un seul Etat fait, à cet égard, exception : l’Angleterre. Son Office for National Statistics (ONS) fournit sur son site des «taux de mortalité pour tous les décès par statut vaccinal». «Nous avons publié les décès par statut vaccinal pour la mortalité toutes causes, non Covid-19 et Covid-19, afin de donner une image aussi large que possible pour comprendre la pandémie et les tendances de la mortalité en Angleterre», explique l’institut anglais à CheckNews. L’ONS n’exploite pas directement ces données, «bien qu’elles puissent être utilisées pour définir les thèmes de futures études».

Plusieurs interlocuteurs contactés par CheckNews indiquent qu’en France, les données réclamées par Laurent Toubiana pourraient être obtenues. Ainsi, il serait possible de construire ce jeu de données, après les avoir obtenues en se soumettant au processus d’accès aux données du Système national des données de santé (SNDS). Géré par l’Assurance maladie, le SNDS précise d’ailleurs sur son site que ses données peuvent être demandées par «toute personne ou structure» et traitées «en vue de réaliser une étude, une recherche ou une évaluation présentant un intérêt public».

Interrogé sur la pertinence de cette donnée, Bernard Bégaud, professeur de pharmacologie à l’université de Bordeaux, et président du conseil scientifique d’Epi-Phare (le groupement d’intérêt scientifique en épidémiologie des produits de santé créé par l’Agence nationale de sécurité du médicament et l’Assurance maladie) émet des doutes : «Quand vous voulez vérifier l’efficacité d’un vaccin en conditions réelles, vous vous intéressez à ce pour quoi le vaccin a été conçu et non pas à la mortalité toutes causes. Si je développe un vaccin contre la tuberculose, je vais regarder s’il protège de la tuberculose et non pas de la mortalité par accidents de la route ou cancer.»

Des données disponibles mais difficiles à traiter

L’étude du statut vaccinal de tous les Français décédés «ne serait aucunement conclusive», ajoute Mahmoud Zureik, professeur en épidémiologie à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines en épidémiologie et santé publique. Pour celui qui est aussi directeur d’Epi-Phare, «c’est plutôt le profil des personnes qui compte et doit être pris en compte». Par exemple, «il est fort probable que les personnes non vaccinées sont à risque plus élevé de mortalité» en raison des caractéristiques de cette fraction de la population, en termes de «conditions de vie, alimentation, accès aux soins», ou encore de «niveau socio-économique et d’éducation, moins élevé selon l’étude d’Epicov» par rapport à «celui des 90 % de personnes vaccinées». Une mortalité qu’il faut donc mettre en perspective avec ces facteurs de risque, plutôt qu’avec le fait d’être ou non vacciné.

Notamment pour cette raison, un tel appariement de données est très compliqué à analyser : «En croisant deux colonnes dans un Excel, on peut penser qu’on va tirer des conclusions de cause à effet. Or, avant de croiser ces deux colonnes, il faut établir un protocole d’étude, développer une méthodologie adaptée et tenir compte de l’ensemble des paramètres nécessaires à cette étude, ce qui représente des mois et des mois de travail», note Mahmoud Zureik. Et ce n’est pas donné à tout le monde : «Il faut travailler avec du savoir-faire, complète Bernard Bégaud. Si on n’est pas au courant du nombre de biais et d’erreurs d’interprétation, on peut aller dans tous les sens : on pourrait montrer que le vaccin protège de tout ou tue plus que tout.»

Laurent Toubiana, depuis réception de l’avis de la Cada, aurait introduit un recours devant le tribunal administratif. Reste qu’il pourrait obtenir les données convoitées. En effet, la Drees indique à CheckNews que «l‘intégration de la base VAC-SI dans le système national des données de santé […] permettra à terme de produire le même type de statistiques [que l’ONS anglais]», dans la mesure où le SNDS intègre «l’information sur le statut vital des personnes» ainsi que «les informations issues des certificats médicaux de décès». Simplement, «les délais de production de ces données sont beaucoup plus longs pour la France, de l’ordre de 18 à 24 mois». Par conséquent, «les résultats sur l’année 2021, première année pour laquelle des personnes décédées ont pu être vaccinées contre le Covid-19» ne seront pas disponibles avant la fin 2023.