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«Cow» donne à voir la vie quotidienne d'une vache laitière, pour le meilleur et pour le pis

Temps de lecture: 4 min

Ne demandez pas à Andrea Arnold si elle est végétarienne. «Beaucoup de gens me posent la question et je refuse toujours de répondre, car je ne veux pas faire peser mes choix personnels sur mon film.» Si on l'interroge aussi fréquemment à ce sujet, c'est parce que la cinéaste britannique livre un film radical sur l'expérience animale, en salle ce 30 novembre.

Cow suit, sans voix off ni dialogues, la vie de Luma, une vache laitière en Angleterre. Tantôt brutal, tantôt lyrique, ce portrait bovin montre la manière dont les vaches comme Luma sont fécondées à répétition, puis séparées de leurs veaux, pour produire le lait que nous buvons.

C'est un sujet on ne peut plus contemporain, alors que la consommation de viande est constamment remise en question, et son lien avec la crise climatique de plus en plus difficile à ignorer. Mais Cow n'est pas un manifeste: «J'ai essayé de ne pas faire un film polémique, j'ai juste essayé de vous montrer la conscience d'un animal.»

C'est la première fois que la cinéaste britannique, à qui l'on doit Fish Tank ou American Honey, s'aventure dans le documentaire. L'idée lui est venue il y a quinze ans, alors qu'elle faisait des recherches sur l'élevage pour un autre projet. «Je me suis dit que tout ça semblait très déconnecté de nous, comme quelque chose qui se déroulait à l'abri des regards. Je me suis demandé ce qu'il se passerait si je décidais de suivre un seul animal, si l'on pouvait accéder à sa conscience, le voir comme un être individuel.»

Après de longues années de gestation, le résultat est un film singulier et immersif. Pendant une heure et demie, la caméra (opérée par Magda Kowalczyk) reste à la hauteur des vaches, tandis qu'on suit leur quotidien: traite, pâturage, mise à bas ou examens médicaux... «Même quand des gens viennent ou discutent à côté d'elle, j'avais donné à Magda pour instruction de rester focalisée sur elle», détaille la réalisatrice.

Raconter sans anthropomorphiser

Faire de l'animal un personnage de cinéma est un geste de plus en plus fréquent. En 2020, le documentaire Gunda suivait le quotidien d'une truie, tandis que le documentaire Vedette, en 2021, s'intéressait à une vache alpine. Eo, film de fiction de Jerzy Skolimowski récompensé à Cannes en 2022, suit les péripéties d'un âne en Europe, adoptant parfois son point de vue avec une caméra subjective. Cow fait quant à lui le pari de nous placer au plus près de l'animal –sans pour autant prétendre lire dans ses pensées, ni lui attribuer des qualités ou émotions humaines.

Face à l'accusation d'anthropomorphisme que certains pourraient lui opposer, la cinéaste est franche. «Je suis en profond désaccord avec les gens qui pensent que j'ai fait ça: je n'ai pas fait ça, et mon instruction stricte à ma cheffe opératrice était justement de ne jamais entrer dans sa tête, ne jamais mettre la caméra à la place de ses yeux. Juste de l'observer, dans son environnement. [...] On la voit elle, et on voit dans quelle direction elle regarde. Mais on ne peut évidemment pas savoir ce qu'elle pense, juste utiliser notre imagination.»

Chacun est libre d'interpréter Cow comme il le souhaite. Le film n'est pas avare en beauté, notamment lors de superbes moments de pâturage contemplatif, filmés au crépuscule. Les scènes de traite, rythmées par la musique jouée dans le cabanon des éleveurs, ont une qualité presque méditative.

Pourtant, difficile de ne pas y voir un récit d'exploitation, thème déjà exploré par la cinéaste. Dans American Honey, son film précédent, des jeunes marginaux sillonnent les États-Unis en minivan et vendent des abonnements à des magazines pour subsister. «Ce minibus, c'était le capitalisme en action, on ne vend pas que des magazines, on se vend soi-même», analyse Andrea Arnold.

Une réflexion qui revient dans son discours sur Cow: «Il s'agit d'un système, une chaîne de production. C'est un business, et quand les vaches ne donnent plus de lait, elles sont emmenées à l'abattoir. Le capitalisme signifie que tout est à vendre, et pourtant, on parle d'êtres vivants et conscients. Tout ce que je voulais montrer, c'était cet être individuel au sein de ce système dont nous faisons tous partie.»

«Elles mènent une vie de maternité éternelle»

La cinéaste voit aussi dans le destin de ces vaches laitières un lien avec le poids patriarcal et la condition féminine. «J'ai pensé que c'était un environnement tellement féminin… Toutes ces vaches sont des femelles, et elles mènent cette existence au cours de laquelle elles sont mises enceintes, elles donnent du lait, elles donnent du lait, et puis elles sont remises enceintes, et elles redonnent du lait, redonnent du lait, redonnent du lait. Elles mènent une vie de maternité éternelle, mais sans développer de connexion avec leurs veaux.»

À un moment, Luma assiste à un autre vêlage et mugit lorsque le veau est éloigné de sa mère. Une séparation forcée que la cinéaste a étrangement vu se refléter dans les choix de musique diffusée pendant la traite: «C'était principalement de la pop, et j'ai trouvé ça vraiment intéressant, parce que la plupart de ces chansons parlent d'attente et de désir: “je t'aime”, “tu me manques”... Et je me disais: “ça ressemble à ce qui se passe ici”.»

Même lorsqu'elle s'aventure dans un domaine complètement inédit, les thématiques chères à la réalisatrice ne sont jamais loin. De Fish Tank à Red Road ou American Honey en passant par les séries Transparent, I Love Dick et Big Little Lies, Andrea Arnold s'est toujours distinguée par sa représentation complexe et iconoclaste de la féminité, du désir et des enjeux de pouvoir.

Ainsi que par un refus farouche de la binarité et des messages simplistes, que l'on retrouve une nouvelle fois dans Cow. «C'est marrant, parce que je ne pense jamais être politique, mais les gens pensent que je le suis, sourit la cinéaste. Je le suis probablement.»

Cow

d'Andrea Arnold

avec Lin Gallagher

Séances

Durée: 1h34

Sortie le 30 novembre 2022