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Crise énergétique : les musées contraints, eux aussi, à la sobriété

Prière de garder vos manteaux ! Au Musée des beaux-arts de Lille, la température va descendre à 18 °C dans les collections permanentes. C’est la consigne donnée à tous les lieux d’exposition municipaux par la maire Martine Aubry, depuis la mi-septembre. L’édile socialiste a lancé, le 1er octobre avec une vingtaine de villes européennes, un « appel à agir pour une culture durable partagée », listant une quinzaine de propositions comme, par exemple, la réalisation d’un bilan carbone pour chaque grand événement culturel.

Il y a urgence. Face à la crise énergétique conjuguée à la crise climatique, tous les grands établissements culturels nationaux ont dû remettre fin septembre à la ministre de la culture, Rima Abdul Malak, le bilan de leurs actions et propositions pour réduire leur consommation énergétique. Le ministère devrait en tirer mi-octobre une synthèse avec une série de recommandations.

Puis un plan d’action plus global sur la transition écologique du secteur culturel sera publié en janvier 2023, à l’issue d’ateliers thématiques associant les professionnels. Au-delà de la réduction annoncée des éclairages des grands monuments, la baisse des températures dans les musées est à l’ordre du jour.

Le château de Versailles à 19°C

Actuellement, la norme internationale est de 20 °C avec un taux d’hygrométrie de 50 %. « De nombreuses études de musées anglo-saxons montrent que l’on peut assouplir ces critères, tout en gardant des conditions optimales de conservation pour la majorité des œuvres », souligne Bruno Girveau, le directeur du Musée des beaux-arts de Lille, très engagé sur le sujet. Le château de Versailles est descendu, lui, depuis la rentrée à 19 °C, avec des réglages plus fins pour certains espaces aux décors sensibles.

« Baisser la température permet d’augmenter naturellement l’hygrométrie. Comme nos hivers sont plutôt secs, c’est un double gain », affirme Louis-Samuel Berger, administrateur adjoint du château. Plus prudents, le Louvre et le Musée d’Orsay attendent la recommandation du ministère avant de baisser le thermostat dans leurs collections. Quant aux expositions temporaires, impossible d’agir sans un consensus des prêteurs souvent internationaux…

Les éclairages par LED s’étendent dans les collections

Mais les musées disposent d’autres leviers pour passer à la sobriété énergétique. À Orsay, le remplacement progressif des éclairages par des ampoules basse consommation (LED) a réduit la consommation électrique d’un tiers, en trois ans. Le nouveau président, Christophe Leribault, a revu aussi le calendrier des travaux. Il a reporté la création d’un centre éducatif pour rénover, en priorité, la grande verrière de l’entrée, glacière en hiver et four en été, pour un coût de 7 millions d’euros.

La ministre de la culture a d’ailleurs indiqué, en présentant son budget en hausse pour 2023, que « les nouveaux crédits d’investissement seront prioritairement fléchés sur des travaux contribuant à l’isolation thermique et l’amélioration des performances énergétiques des bâtiments ».

Au château de Versailles, qui se convertit aussi aux LED, il n’y a aura bientôt plus de chaudières à énergie fossile, toutes remplacées par des pompes à chaleur. Fort de son vaste parc, l’établissement étudie même la possibilité de recourir à la géothermie. Au Musée des beaux-arts de Lille, Bruno Girveau rêve, lui, d’installer des panneaux solaires sur les toits, « mais il faut que l’on obtienne l’autorisation des monuments historiques », tempère-t-il. « Demain, les ardoises photovoltaïques nous permettront peut-être d’y arriver », veut croire l’administrateur adjoint de Versailles.

La seule modernisation du pilotage des installations de chauffage et climatisation est déjà un outil efficace. Testée au Petit Palais à Paris, elle a permis de réduire la consommation de 22 % entre janvier à août 2022, par rapport à la même période 2019, « si bien que nous allons étendre cette mesure aux 14 musées de la ville », indique Anne-Sophie de Gasquet, directrice de Paris Musées.

Vers des expositions écoresponsables ?

Même effort au Louvre, qui a mis en place un « management de l’énergie », labellisé ISO 50001, et réduit ainsi sa consommation de 17 % en 2021 par rapport à 2018. Depuis douze ans, le grand musée national réalise des bilans carbone et tente de limiter son impact en triant et compactant ses déchets, en veillant à des achats responsables, en donnant ou revendant les panneaux ou vitrines utilisés pour ces scénographies…

« On n’en est pas à les réemployer pour nos propres expositions, car cela poserait des problèmes de stockage », reconnaît Maxime Caussanel, chargé de développement durable au Louvre. Paris Musées fait mieux, qui réutilise désormais « entre 60 et 95 % du matériel de ses expositions », selon Anne-Sophie de Gasquet.

« C’est dès la conception des expositions qu’il faut agir », insiste Bruno Girveau qui a même limité leur nombre dans son musée de Lille. Il y a un an, pour « Expérience Goya », il a réduit également la provenance des prêts : « Seules 40 œuvres sur 80 venaient de l’étranger et seulement de pays européens. » Le réemploi de caisses de transport d’œuvres, le remplacement des convoyeurs des œuvres par de simples constats vidéos ont été négociés avec des prêteurs.

L’association Les Augures, à travers son programme Lab Scénogrrrraphie qui accompagne aussi le Musée d’Orsay et la Réunion des musées nationaux, a également conseillé l’utilisation de projections numériques, plutôt que d’écrans trop polluants. « Le bilan carbone d’ “Expérience Goya” s’est limité à 44 tonnes de CO2, soit les émissions annuelles de 4 Français. C’est peu ! », se réjouit le directeur du musée.

La fin des grandes rétrospectives ?

Serait-ce la fin du rêve et des grandes rétrospectives qui drainaient des foules considérables ? « On aura toujours besoin de grandes expositions », observe Sébastien Allard, directeur du département des peintures du Louvre. « Cependant, on peut monter des projets stimulants sans tomber dans la surenchère consistant, même entre musées partenaires, à vouloir aligner toujours plus d’œuvres. » Autre choix vertueux : miser davantage sur les ressources locales, comme au Musée des beaux-arts de Lyon qui a confronté l’an dernier les natures mortes de ses collections à celles du Musée d’art contemporain (Mac).

La coproduction permet aussi de partager entre partenaires l’impact carbone des expositions, comme des commandes d’œuvres contemporaines. Depuis 2021, Paris Musées s’est ainsi mis en réseau avec des établissements de région. L’exposition « L’art de paraître au XVIIIe siècle » vient ainsi de circuler entre le Palais Galliera, le Musée d’arts de Nantes et celui de Dijon.

Reste une donnée problématique : la pollution émise par les visiteurs eux-mêmes. Au Louvre, qui reçoit 75 % d’étrangers, la plupart arrivés en avion, le public pèse pour 99 % dans le bilan carbone ! À la Cité des sciences de l’industrie de la Villette et au Palais de la découverte où le public est majoritairement français, son impact s’élève encore à 88 % des émissions. Universcience, qui gère ces deux sites, a mis en place sur sa billetterie en ligne une calculatrice de CO2 pour inciter aux mobilités douces. L’établissement étudie aussi pour 2023 un projet de tarification verte.

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Un Mooc et des débats au Centre Pompidou

Le 10 octobre, un Mooc Art et écologie sera lancé au Centre Pompidou à l’occasion d’une soirée de débat et de visites guidées (accès libre). Le réalisateur Cyril Dion, le photographe Sebastião Salgado, le sculpteur Giuseppe Penone et les designers Teresa Van Dongen, Humberto et Fernando Campana ont contribué à ce cours en ligne gratuit et ouvert à tous, scandé en 5 séquences, du « sentiment de nature » à « l’art du vivant ».

Du 2 au 4 décembre, une série d’événements sur « Climat : quelle culture pour quel futur ? » se tiendra également à Beaubourg, en partenariat avec l’Ademe. Le 2 décembre aura lieu un atelier sur « le secteur culturel en transition ».