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D’où vient le scénario d’un possible troisième mandat d’Emmanuel Macron ?

Et si Emmanuel Macron faisait bientôt un troisième mandat ? Depuis la modification de la Constitution en 2008, l’idée paraît impossible puisque le texte prévoit que «le président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct» et que «nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs». mais ces derniers jours, par plusieurs canaux, cette hypothèse s’est frayé un chemin dans la presse et les réseaux sociaux.

C’est d’abord le 25 novembre, sur France Culture, qu’on en a entendu parler. Le billet politique du journaliste et chef du service politique Stéphane Robert se demande si «Emmanuel Macron pourrait jouer les prolongations». Le journaliste assure qu’il existe un «scénario qu’on peut aujourd’hui envisager et qui lui permettrait, peut-être, de rester à l’Elysée au-delà de 2027. Ce scénario est rendu possible par une décision du Conseil d’Etat rendue le 25 octobre 2022, il y a tout juste un mois».

Il fait alors référence à un avis de l’institution qui répondait à une question d’Elisabeth Borne à propos de la situation particulière du président de Polynésie française, Edouard Fritch. Arrivé au pouvoir en 2014, après la démission de son prédécesseur, Fritch a effectué un bout de premier mandat pendant trois ans et demi, puis a été réélu en 2018. Il souhaiterait rempiler en 2023, mais la loi polynésienne limite aussi le nombre de mandats consécutifs à seulement deux. Le Conseil d’Etat lui a cependant dit que c’était possible puisqu’il n’a pas effectué deux mandats complets.

Scénario de fiction juridico-politique

Selon France Culture, «cette décision ouvre le champ des possibles pour Emmanuel Macron» qui pourrait faire le choix de dissoudre l’Assemblée nationale à mi-mandat (puisqu’elle ne lui est pas majoritaire). En cas de nouvelles élections législatives, qui ne lui seraient pas favorables, il pourrait alors démissionner. En tant que président du Sénat, Gérard Larcher assurerait l’intérim, et Macron se représenterait à la présidentielle suivante, estimant qu’il n’a pas effectué un mandat complet. D’où provient cette analyse ? Si la phrase n’est pas dite à l’antenne, le site de France Culture indique que ce scénario de fiction juridico-politique provient «d’une idée suggérée par l’ancien garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas».

Cette même interrogation est ensuite évoquée par la journaliste Nathalie Segaunes de l’Opinion dans un article publié le 27 novembre. La démonstration polynésienne y est de nouveau énoncée, et Jean-Jacques Urvoas (qui est cette fois cité) imagine «que le président de la République dissolve l’Assemblée avant la fin de son mandat, perde les élections législatives et démissionne». Pour le professeur de droit public à l’université de Brest et ancien ministre de la Justice de François Hollande, «le président du Sénat assurerait alors l’intérim et une nouvelle élection serait organisée. Emmanuel Macron n’ayant pas effectué deux mandats successifs complets, il pourrait donc être candidat».

De l’hypothèse à la prévision

Enfin, le 28 novembre, le sujet a été remis sur la table de manière beaucoup plus circonstanciée et «originale» par le journaliste du Figaro, Georges Malbrunot. Dans un tweet, il relaie ainsi une «analyse d’un service de renseignements français» selon laquelle «en 2023, Macron fera passer la réforme des retraites en recourant au 49.3 puis il dissoudra l’Assemblée. Il démissionnerait ensuite, faute de majorité. Ce qui lui permet de se représenter dans la foulée ou au scrutin suivant». On passe d’une hypothèse à une prévision.

La source de ce scénario semble bien être Jean-Jacques Urvoas. Lequel explique à CheckNews : «J’ai évoqué cette spéculation lors d’un déjeuner le 22 novembre avec le bureau de l’association de la presse ministérielle que préside Nathalie Segaunes journaliste à l’Opinion.» L’article de la présidente de l’APM publié le 27 novembre a d’ailleurs été devancé par le billet politique du vice-président de l’association, Stéphane Robert, deux jours plus tôt.

Concernant l’évocation du sujet par Georges Malbrunot, impossible d’en connaître la source précise. Joint par CheckNews, ce dernier indique seulement tenir cette information d’une «source fiable» qui reflète «une prévision» de la direction d’un service des renseignements. Le journaliste précise avoir rencontré sa source le 26 novembre, soit au lendemain du premier billet politique de France Culture. Il est donc possible que sa source ait pu fabriquer un tel scénario à partir de la théorie que Jean-Jacques Urvoas, distillé sur la station publique.

«Détournement de l’esprit de la loi»

Reste l’essentiel : la spéculation, qui a fait son bonhomme de chemin, est considérée comme peu sérieuse par quasiment la totalité des spécialistes du droit qui ont pris la parole dans les médias. Dans l’article de l’Opinion, l’expert du droit constitutionnel Didier Maus souligne des différences dans la lecture du droit français et polynésien. Pour la Polynésie, il note qu’«un mandat incomplet ne compte pas dans le décompte des deux mandats», tandis que pour la France, «le mandat d’un président inférieur à cinq ans est considéré comme un mandat en tant que tel».

Auprès de BFM TV (qui a également évoqué le scénario), deux autres spécialistes du droit constitutionnel rejettent l’interprétation de Jean-Jacques Urvoas. «Emmanuel Macron a été élu deux fois donc il ne peut pas se représenter en 2027, peu importe qu’il aille au bout de son quinquennat», affirme Dominique Chagnollaud, professeur à l’université Panthéon-Assas. Pour Paul Cassia, professeur de droit public à l’université Panthéon-Sorbonne, «si Emmanuel Macron se représentait en 2027, ce serait clairement un détournement de l’esprit de loi». Réagissant sur LinkedIn à l’idée d’Urvoas, le professeur de science politique à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne Bastien François juge qu’«il suffit de lire l’avis du Conseil d’Etat – où l’on voit bien que le raisonnement est lié au statut particulier du président de la Polynésie et ne pourrait pas s’appliquer au président de la République – pour se rendre compte que c’est loufoque».

Malgré ces nombreux avis contraires, Jean-Jacques Urvoas maintient auprès de CheckNews qu’«on peut plaider le contraire» et «que le mandat du président s’entende comme un mandat complet est de l’ordre de l’implicite et de la cohérence». Si d’aventure Emmanuel Macron voulait tenter ce scénario risqué, il reviendrait alors au Conseil constitutionnel de trancher.