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Dans le Michigan, pro et anti-IVG bientôt départagés par un référendum

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C'est désormais confirmé: le 8 novembre, le Michigan se prononcera sur l'inscription du droit à l'avortement dans sa Constitution. Ce référendum, conséquence de la pétition lancée par l'alliance pro-choix Reproductive Freedom for All, a failli ne jamais voir le jour.

Près de trois mois après l'abrogation par la Cour suprême des États-Unis de l'arrêt Roe v. Wade (avec l'arrêt Dobbs v. Jackson Women's Health Organization), qui garantissait le droit à l'IVG dans le pays, un certain nombre d'États ont adopté des lois interdisant l'avortement ou restreignant fortement son accès. Il est aujourd'hui totalement illégal dans près d'une dizaine d'États. Dans le Michigan, pro et anti-IVG se livrent une bataille médiatique et juridique particulièrement acharnée.

Dans le Michigan, un droit légal, mais fragile

L'interruption volontaire de grossesse est, pour l'instant, toujours légale dans cet État du Midwest. Cependant, elle est aussi, à l'heure actuelle, particulièrement fragile et menacée: l'IVG n'est pas protégée par une loi, elle y est même prohibée par un texte datant de 1931 (Michigan Compiled Laws, Section 750.14). Cette loi a elle-même été jugée inconstitutionnelle en 1973 par la Cour suprême du Michigan dans son arrêt People v. Bricker, quelques mois après le fameux arrêt Roe v. Wade. L'IVG est alors autorisée jusqu'à la viabilité du fœtus.

Depuis la révocation historique de Roe v. Wade en juin, l'avortement est resté légal dans cet État gouverné par la Démocrate Gretchen Whitmer, grâce à l'intervention de la justice: le 7 septembre, la juge Élizabeth Gleicher a rendu un jugement en faveur de Planned Parenthood (l'équivalent du Planning familial en France), estimant que la loi de 1931 est inconstitutionnelle. La procureure générale n'a pas fait appel de cette décision, mais d'autres actions en justice suivent actuellement leur cours… Une multiplicité des recours qui amène le juge de la Cour suprême du Michigan Richard Bernstein à penser que c'est son institution qui aura tôt ou tard le dernier mot sur la question.

C'est dans ce contexte judiciaire tendu que le collectif pro-choix Reproductive Freedom for All a lancé une pétition destinée à aboutir à un référendum permettant d'inscrire le droit à l'IVG dans la Constitution du Michigan: la Proposition 3.

Un débat typographique

Cette stratégie, mise en œuvre de concert par l'ACLU Michigan, Michigan Voices et Planned Parenthood, a cependant été confrontée à un écueil majeur. En dépit du nombre impressionnant de signatures recueillies, les documents propres à la pétition du Reproductive Freedom ont souffert d'un problème typographique particulièrement gênant à l'impression: de nombreux mots ont été collés les uns aux autres, sans espace.

Le texte de la pétition, auquel les opposants reprochent des problèmes d'espacement, créant, estiment-ils, des mots qui n'existent pas. | Capture d'écran via Cour suprême du Michigan

Un détail qui n'a pas été sans conséquences: pour être prises en compte, les pétitions doivent répondre entre autres aux dispositions de l'article 168.482 du MCL. Si ce dernier ne mentionne pas explicitement l'espace entre les mots, doit-on pour autant valider une pétition dont la typographie est particulièrement malmenée? Cette question a amené le Board of State Canvassers, un comité responsable de la certification des pétitions, dans l'impasse: les deux Démocrates et les deux Républicains qui le composent n'ont pas trouvé de consensus. Par conséquent, et conformément à l'article 168.479, le Reproductive Freedom for All a porté l'affaire devant la Cour suprême de l'État, laquelle a tranché en sa faveur:

«[L'article] MCL 168.482(3) exige seulement que “[l]e texte intégral de l'amendement ainsi proposé suive le résumé et soit imprimé en caractères de 8 points”. Le “texte intégral” de l'amendement est présent: indépendamment de l'existence ou de l'importance de l'espacement, tous les mots sont présents, dans le même ordre, et il n'est pas contesté qu'ils sont imprimés en caractères 8 points. En l'espèce, le sens des mots n'a pas été modifié par l'espacement prétendument insuffisant entre eux», a ainsi affirmé la juridiction suprême du Michigan.

Pour Christen Pollo, présidente de l'organisation pro-life Citizen To Support Michigan Women And Children, qui dans cette affaire s'est jointe à la défense, cette conclusion est une erreur: «La Cour suprême a pris la mauvaise décision [...]. La pétition était fatalement défectueuse. Le nombre approprié d'erreurs pour la constitution de notre État est zéro, pas soixante.»

Une déconvenue qui fait écho à l'opinion dissidente exprimée par un des juges de la Cour, Brian K. Zahra: «Les mots séparés par des espaces cessent d'être des mots ou deviennent de nouveaux mots lorsque les espaces qui les séparent sont supprimés», estime-t-il. À l'inverse, pour le Reproductive Freedom for All, cette décision de justice offre une chance de «revenir à Roe» et d'inscrire dans le marbre un droit qui a été protégé durant près de cinquante ans.

Opposition exacerbée entre pro et anti

Caroline Taylor Smith, militante opposée à la Proposition 3 et directrice des relations publiques du Progressive Anti-Abortion Uprising, dénonce quant à elle la «nature confuse» de l'amendement, dont les dispositions sont à même d'autoriser l'IVG tout au long de la grossesse et d'accorder une immunité à toute personne «ayant aidé ou assisté une personne enceinte dans l'exercice de son droit à la liberté de procréation avec son consentement volontaire» selon les termes dudit amendement.

Pour le camp pro-life, cela autoriserait donc des personnes étrangères au corps médical à réaliser des avortements clandestins sans courir le moindre risque. «Une fois qu'ils entendent les réalités de la proposition, les électeurs sont choqués par son caractère extrême. En fait, après avoir expliqué les conséquences de cet amendement radical, la grande majorité des électeurs décident de voter non à la Proposition 3. Même de nombreuses personnes qui se disent pro-choix et qui pensent que l'avortement devrait être autorisé dans certaines circonstances ne sont pas d'accord avec cet amendement», assure-t-elle.

Interrogés sur ces interprétations de l'amendement et sur leur ressenti vis-à-vis de l'issue de scrutin, ni le service de presse de Reproductive Freedom for All ni le service juridique de l'ACLU Michigan n'ont pour l'instant donné suite à nos sollicitations.

Un enjeu de taille pour les élections de mi-mandat

Si aucun des deux camps ne semble verser dans l'excès de confiance, les pro-choix entendent bien bénéficier d'un «momentum post-Dobbs» pour sauvegarder le droit à l'IVG dans leur État: l'immense émotion qui a suivi le renversement de l'arrêt Roe v. Wade a provoqué une hausse sans précédent des inscriptions sur les listes électorales, notamment chez les jeunes et les femmes. Un phénomène à même de profiter au Parti démocrate et à ses candidat·es pro-choix lors des élections de mi-mandat, les midterms, qui auront elles aussi lieu le 8 novembre.

En outre, les Démocrates peuvent bénéficier de l'inconsistance des pro-life républicains, à l'instar du sénateur Lindsey Graham: en présentant un projet de loi fédérale qui interdirait l'avortement dans l'ensemble des États-Unis après quinze semaines de grossesse, il contredit ses précédents déclarations selon lesquelles chaque État devrait être libre de légiférer sur cette question... Un revirement éhonté, en plus d'être constitutionnellement discutable.

«Roe est sur le bulletin de vote», déclarait en juin le président Biden, incitant les pro-choix à voter démocrate en novembre. L'appel a-t-il été reçu loud and clear? C'est ce que les midterms détermineront.