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Des industriels de l’agrochimie ont dissimulé la toxicité des pesticides pour le cerveau en développement

Nouveau scandale d’ampleur chez les industriels ? Des géants des pesticides sont accusés par deux chercheurs suédois d’avoir dissimulé la toxicité de leurs produits pour le cerveau humain. L’affaire est révélée par un consortium de médias européens, dont Le Monde, la Bayerischer Rundfunk et Der Spiegel en Allemagne, la Schweizer Radio und Fernsehen (SRF) en Suisse et The Guardian au Royaume-Uni.

Dans une étude publiée ce jeudi 1er juin dans la revue Environmental Health, le chimiste Axel Mie (université de Stockholm, Institut Karolinska) et la toxicologue Christina Rudén (université de Stockholm) démontrent que plusieurs fabricants de pesticides ont soustrait aux autorités européennes des résultats défavorables de tests de toxicité pour le cerveau en développement. Les industriels avaient fait ces tests sur leurs substances en vue d’une autorisation de mise sur le marché.

«Si ces informations sont correctes, alors cela signifie que les fabricants des pesticides ont triché pour maintenir des produits dangereux sur le marché, s’est alarmé l’eurodéputé Pascal Canfin (Renew), le président de la commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire au Parlement européen. Il mentionne une similitude avec le dieselgate, mis en lumière en 2015 lorsque Volkswagen est accusé d’avoir falsifié des contrôles réglementaires de ses moteurs diesel pour en réduire les émissions polluantes. «Nous avons su réagir pour l’automobile, nous devons en faire de même pour les pesticides», martèle l’eurodéputé.

Cette affaire fait aussi écho aux firmes pétrolières, conscientes dès les années 1970 de la possibilité d’un changement climatique catastrophique dû à leurs produits mais qui ont entretenu le doute pour limiter le recours aux énergies fossiles. Ou encore aux industriels du tabac qui, des décennies durant, ont nié les effets délétères de la cigarette sur la santé.

Des études soustraites à l’Autorité européenne

Les deux chercheurs, Axel Mie et Christina Rudén, qui ont également publié des travaux sur le glyphosate fin 2022, ont procédé à un travail titanesque de comparaison de données. Ils ont scruté, dans des milliers de pages de dossiers réglementaires, d’une part les chiffres transmis par les fabricants aux autorités américaines et d’autre part, ceux envoyés aux autorités européennes. . «Ils ont ainsi pu identifier neuf pesticides pour lesquels plusieurs industriels (dont Bayer et Syngenta) ont réalisé et soumis des études sur le cerveau en développement à l’Environment Protection Agency (EPA) américaine, mais pas à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA)», rapporte Le Monde.

Les tests menés sur des animaux de laboratoire entre 2001 et 2007, n’ont donc pas été pris en compte par le régulateur européen. Et ces neuf substances ont été autorisées sur les marchés, pour la plupart à la fin des années 2000.

«Ces travaux doivent être considérés d’autant plus sérieusement que les impacts des pesticides sur les troubles du neurodéveloppement sont avérés de manière univoque, non seulement sur des animaux de laboratoire, mais aussi sur les humains, commente le neurobiologiste Yehezkel Ben-Ari, directeur de recherche émérite à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qui n’a pas participé aux travaux des chercheurs suédois. Sur l’autisme en particulier, mais aussi sur le quotient intellectuel, on sait que les expositions maternelles ont un effet sur l’enfant à naître.»

L’exemple de l’abamectine

En 2005 et 2007, le géant suisse de l’agrochimie, Syngenta, commandite deux tests sur un insecticide : l‘abamectine. Des femelles gestantes de rongeurs sont exposées à la substance pour déterminer les conséquences de cette exposition sur les cerveaux en développement de leur progéniture. «Ces études n’ont pas été communiquées par Syngenta aux agences européennes, ni avant, ni après que la décision initiale d’autorisation a été prise en 2008, ni à l’occasion de la demande, en 2013, d’une modification des conditions d’usage [de la substance]», relèvent Axel Mie et Christina Rudén.

En 2016, un consortium de firmes agrochimiques fait une demande de renouvellement de cette autorisation. Là encore, «le dossier soumis ne contient pas les études sur le cerveau en développement, ni aucune référence à leur existence», affirment les chercheurs. Ce n’est qu’en cours de procédure, en 2019, que les experts de l’Etat rapporteur, l’Autriche, chargés de l’expertise préliminaire au nom de l’UE, requièrent ces données auprès de Syngenta, qui les leur fournit. Finalement, l’abamectine est réautorisée en Europe, mais cette fois-ci avec des contraintes drastiques, liées précisément aux impacts démontrés par les tests de Syngenta en 2005 et 2007, c’est-à-dire dix-huit ans et seize ans plus tôt.

Autre exemple inquiétant : l’éthoprophos. «Selon l’évaluation qui en est faite par [les experts américains de] l’EPA en janvier 2005, l’éthoprophos a provoqué des effets comportementaux [sur les animaux de laboratoire] à toutes les doses testées», relatent les chercheurs suédois. Mais les scientifiques de Bayer disent ne détecter aucun effet dans les mêmes données. Ce sont leurs conclusions, en faveur de la substance donc, qu’ils transmettent aux autorités européennes. Sans signaler l’analyse divergente des experts américains de l’EPA. L’éthoprophos est autorisé en Europe en 2007.

Près d’une décennie plus tard, une autre société agrochimique, désormais propriétaire de la molécule, demande la réautorisation de l’éthoprophos en Europe, retrace Le Monde. Cette fois, alertée par les chercheurs de l’existence d’une analyse divergente de l’EPA, l’agence européenne se range à l’avis de son homologue américaine, tout en notant que des données industrielles ne lui ont pas été transmises. En 2020, l’éthoprophos est interdit en Europe. Soit seize années après la preuve de sa toxicité pour le neurodéveloppement.

Lanceurs d’alerte

Ainsi, Axel Mie et Christina Rudén ont fait office de lanceur d’alerte en prévenant les autorités européennes de l’existence, outre-Atlantique, de tests réglementaires qui ne leur avaient pas été fournis. Pour cinq des neuf pesticides épinglés, c’est leur vigilance qui a permis à l’EFSA d’exiger des industriels les données manquantes. Au total, quatre produits n’ont, à ce jour, pas été renouvelés, quatre sont en cours de réexamen, seule l’abamectine s’étant vue réautorisée en 2023. Une décision d’ailleurs attaquée en justice début mai par l’ONG Pesticide Action Network Europe.

De leur côté, les industriels interrogés - en particulier Bayer et Syngenta - assurent avoir scrupuleusement suivi la réglementation européenne. Selon eux, celle-ci n’exigeait pas, au moment des faits, d’études sur le cerveau en développement dans les dossiers réglementaires. Ils contestent aussi le fait que les études non soumises aux autorités européennes aient été déterminantes. A la Commission européenne, on rappelle que les firmes «doivent notifier aux Etats membres la découverte d’effets indésirables [de leurs produits] en vertu de la directive de 1991 et du règlement de 2009». Une exigence sujette à interprétation, en particulier sur la caractérisation d’un «effet indésirable». Les informations transmises par les deux chercheurs suédois ont malgré tout été accueillies avec inquiétude, la situation étant même qualifiée de «grave problème» par un haut représentant de la Commission européenne.