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Désobéissance civile : « Fallait-il arrêter Greta Thunberg ? »

Les images de l’arrestation de Greta Thunberg lors des manifestations contre l’expansion de la mine de charbon Garzweiler II à Lützerath, en Allemagne, sont profondément troublantes. On ne peut s’empêcher de se demander qui a « raison ». La légitimité appartient-elle aux policiers allemands ? Ou est-ce que ce sont les manifestants pour le climat qui agissent conformément à la justice ?

Pour certains, les policiers qui ont expulsé Greta Thunberg et d’autres manifestants pour le climat ne font que garantir l’état de droit. Au nom de l’État allemand, ils veillent à ce que RWE puisse effectivement exercer ses nouvelles activités d’extraction, comme convenu avec le gouvernement. Par conséquent, leur légitimité normative se fonde sur du droit privé. Elle découle de l’accord contractuel entre les autorités et RWE.

Pour d’autres, cependant, les militants qui s’opposent à l’expansion de la mine de charbon sont raisonnables et justes. Parce que l’expansion de Garzweiler constituerait une « bombe à carbone », ils affirment que l’accord avec RWE n’est pas conforme à l’engagement de l’Allemagne en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Se référant l’Accord de Paris, les activistes climatiques fondent leur légitimité normative sur les traités internationaux auxquels le pays a souscrit.

Impasse de légitimité

Dans cette impasse de légitimité normative, Joseph Raz, un philosophe respecté qui a consacré ses travaux aux fondements de l’autorité, peut nous éclairer. Sa « thèse de la justification normale » nous dit qu’une autorité est légitime lorsque les personnes soumises à cette autorité sont mieux loties en se conformant aux directives de l’autorité qu’en essayant de suivre leurs propres raisons.

Plus de 35 000 manifestants de tous horizons se rassemblent dans le froid et la boue, depuis des jours et des jours, et pacifiques face à la contrainte par la force. Il est clair que ces manifestants ne considèrent pas qu’ils se porteraient mieux en se conformant aux directives de l’autorité. L’urgence de réduire les émissions de carbone et de s’attaquer au changement climatique et autres dommages environnementaux est leur raison d’agir – motivée par les questions de menace existentielle et d’équité.

Conservatisme et progressisme

C’est également le cas des millions d’autres voix qui restent silencieuses. Pour elles, aucune autorité ne peut être légitime tant qu’elle entrave une action ambitieuse contre le changement climatique. Légitime ni d’un point de vue moral, ni d’un point de vue populaire. Il semble délicat de distinguer le fondement normatif le plus légitime entre la police défendant l’application d’un contrat et les manifestants demandant le respect d’engagements internationaux. Quand on regarde du côté de la légitimité morale et populaire en revanche, les allégations du camp des activistes climatiques semblent éminemment plus justifiables et crédibles.

Notre perception des actions que nous considérons comme légitimes dans la sphère politique peut changer au cours du temps. Nous savons désormais que nous sommes entrés dans une époque que les scientifiques appellent l’anthropocène – une période de l’histoire dans laquelle l’action humaine affecte à grande échelle les équilibres environnementaux. Cela nous oblige à repenser ce que nous considérons comme légitime ou non. Feu l’anthropologue Bruno Latour décrit intelligemment la nouvelle signification que conservatisme et progressisme acquièrent dans l’anthropocène.

Le conservatisme et le progressisme ne consistent plus à défendre la place et l’organisation que doit avoir l’économie de marché. La division actuelle entre conservatisme et progressisme est devenue plus profonde. Il s’agit d’accepter de vivre avec cette nouvelle conscience. Celle que nos actions ont un impact sur l’humanité et la planète qui nous héberge.

Ainsi, il importe peu d’être de droite ou de gauche dans l’ancien clivage conservateur-progressiste. La question est de savoir ce qui est légitime aujourd’hui : agir avec la conscience d’être dans l’ère de l’Anthropocène ou refuser cette nouvelle donne ?

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