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« Discipline » de Dash Shaw : un quaker à la guerre

Discipline

de Dash Shaw

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Martin Richet

Çà et Là, 304 p., 28 €

« Qui voudrait traverser la vie en cueillant des roses dont les épines auraient déjà été arrachées ? » Derrière la poésie, une rupture. Presque une apostasie. Celle de Charles Cox, un jeune quaker de l’Indiana, qui cède à l’appel de l’aventure et s’enrôle dans l’armée nordiste, en pleine guerre de Sécession. Sauf que chez les quakers, chrétiens pacifistes menant une vie frugale et paysanne, prendre part à la guerre est un interdit absolu. Le départ de Charles, en cachette et en pleine nuit, laisse sa famille et sa communauté abasourdies et déchirées.

La métaphore florale, Charles l’adresse à sa sœur Fanny, avec qui il entretiendra, au long de son périple guerrier, une relation épistolaire. Cette correspondance faite d’affection et d’incompréhensions mutuelles, fil rouge du récit, constitue le cœur du propos de Dash Shaw.

Est-il acceptable de participer au mal, dès lors que celui-ci vise à combattre un mal plus grand ? Charles le croit et, au fil des missives, ne cesse de s’en justifier auprès de sa sœur, qui, en retour, lui dit son incompréhension. Fanny milite même pour que sa communauté refuse de s’acquitter de l’impôt militaire.

Deux visages de l’Amérique des années 1860, face à face

« La paix n’est pas la réponse aujourd’hui. Nous devons faire le mal plutôt que d’en souffrir », rétorque Charles, tout acquis à une morale de l’action. « J’aimerais mieux accomplir une seule bonne action que d’aller toute ma vie à l’église sans l’accomplir, et aimerais mieux prendre le risque de cette seule action que de toutes les professions de foi du monde. (…) La bonté est le fruit de l’action. »

Au fil de ces 300 pages en noir et blanc, économes en texte, avec un trait à la limite de l’esquisse et un découpage totalement libre, Dash Shaw livre un récit historique solidement documenté, qui met face à face deux visages de l’Amérique des années 1860.

L’auteur, né quaker, parle en connaisseur de cette communauté, dissidence de l’Église anglicane méconnue de ce côté-ci de l’Atlantique. Il raconte surtout la brutalité de la guerre de Sécession, entre charges à la baïonnette, pillages, maladies… À l’image d’une scène montrant l’armée nordiste abandonnant à la mort des esclaves qu’elle est pourtant censée libérer, le parcours de Charles raconte aussi ses illusions perdues. À se demander si les arguments envoyés à sa sœur ne visent pas d’abord à le convaincre lui-même.