France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

DOCU. “Toute la beauté et le sang versé“ relate le combat de Nan Goldin contre les opioïdes

Dès l'ouverture, le documentaire se présente comme un film de braquage. Vous savez, ces scènes de casse rythmées au millimètre où tous les protagonistes se répartissent l'air de rien dans la banque avant de se dévoiler tous ensemble et de commettre le hold-up.

Si ce samedi 10 mars 2018 au Metropolitan Museum of Art de New York, effraction il y eut, c'est dans la bonne conscience des visiteurs de l'aile Sackler. Venus admirer l'une des actions caritatives, une de plus, de la richissime famille Sackler, ne voilà-t-il pas que des troubles fêtes se mettent à jeter au sol des dizaines de flacons de médicaments, des ordonnances s'envolent en grappes du niveau supérieur où certains activistes viennent subitement de suspendre des banderoles “Honte sur les Sackler“. Et certains de s'allonger sur le sol comme morts, tandis que d'autres continuent de scander leurs slogans revendicatifs contre ces si généreux donateurs.

Et pour animer, discrètement, cette joyeuse troupe d'empêcheurs de penser en rond, la célèbre photographe Nan Goldin. Qui se trouve avoir une exposition permanente en ces lieux. Ce qui donne tout le poids, et le sel, de ses revendications. En résumé : Moi, ou les Sackler ?...

Sur les étiquettes des flacons vides concoctées pour l'occasion, on peut lire “OxyContin, prescrit pour vous par les Sackler“.

L'oxycodone, un antalgique très puissant commercialisé sous le nom d'OxyContin

Explications : L'oxycodone est un antalgique très puissant dérivé d'un composé de la famille des opioïdes et commercialisé notamment sous le nom OxyContin par Purdue Pharma, compagnie détenue par la famille Sackler. Depuis les années 90, une véritable épidémie d'usagers de drogue, dite “crise des opioïdes“ frappe les Etats-Unis. Principalement des cas d'addiction à l'OxyContin. Les chiffres sont en constante augmentation en Amérique du Nord. Entre 1999 et 2019, cette crise des opioïdes a fait un demi-million de morts par overdose aux Etats-Unis.

Le responsable est parfaitement connu : l'avidité de la famille Sackler qui a vu dans l'OxyContin une corne d'abondance. Favorisé par un marketing agressif qui a caché aux médecins traitants, et donc aux patients, les risques de dépendance forte du produit et sa durée d'action, le médicament a été prescrit sur tout le territoire nord-américain de manière excessivement large pour traiter des douleurs lombaires ou dorsales.

En France, heureusement, son utilisation reste beaucoup plus limitée, principalement pour traiter les douleurs cancéreuses. Avec raison, car l'oxycodone est un opioïde dit “fort“ beaucoup plus puissant et addictif que les opiacés classiques, et proche en cela de l'héroïne. Mais, par la magie de chiffres maquillés, de courbes mensongères et d'une armada de visiteuses et visiteurs médicaux rompus aux techniques de vente, Purdue Pharma a pu convaincre que l'OxyContin n'entraînait que rarement une addiction. La société a ainsi écoulé sa drogue comme des petits pains, se créant au passage une gigantesque clientèle de dépendants, toujours plus grande jour après jour.

J'ai survécu à la crise des opioïdes. J'ai eu du mal à m'en extirper […]. Lorsque je suis sortie de traitement, je me suis plongé dans tous les cas de morts par overdoses à cause de ma drogue, l'OxyContin“ témoigne Nan Goldin début 2018 dans la revue ArtForum*.

La vie qui gravite autour de l'OxyContin

Son premier contact avec le médicament s'était fait à Berlin plusieurs années plus tôt. “Bien que je l'ai pris comme indiqué, j'ai été accro en une nuit. C'était la drogue la plus propre que je n'avais jamais rencontré". Très vite, elle passe de sa prescription, 3 comprimés par jour, à 18 ! Comme elle l'écrit, sa vie entière s'est mise à graviter autour de l'OxyContin, comptant et recomptant ses cachets, les écrasant et les sniffant, la drogue faisant de moins en moins effet. Lorsqu'elle se retrouve à court d'argent pour se fournir en OxyContin, elle se rabat sur autre chose, du fentanyl par ex. trouvé au marché noir qui lui provoque une overdose...

Heureusement, sa notoriété lui a permis de se faire prendre en charge par un excellent hôpital et de se faire sevrer efficacement, “ce qui est rarement le cas pour les drogués“, admet-elle. En 2017, elle fonde le groupe P.A.I.N (Prescription Addiction Intervention Now) pour mettre les Sackler devant leurs responsabilités. “Pour avoir leur attention, nous ciblons leur philanthropie. Ils ont blanchi leur argent sanglant dans les halls des musées et des universités à travers le monde. Nous voulons, poursuit-elle, que les Sackler et Purdue Pharma utilisent leurs fortunes à des fins d'éducation et pour des traitements de l'addiction“.

Les années Sida

En plus de son ancienne addiction à l'OxyCodon, le combat de la photographe est déterminé parce qu'elle refuse de voir l'histoire se répéter comme durant les années Sida (années 80-90) lorsque les politiques ne faisaient rien, les pouvoirs publics pas plus. “J'ai perdu la plupart de ma communauté à cause du Sida. Je ne supporte pas de voir une autre génération disparaître.“

Du désarroi à la colère donc quand l'histoire bégaie et qu'à nouveau avec l'OxyContin, Nan Goldin assiste aux ravages d'une maladie mortelle. D'autant plus quand celle-ci a été provoquée et encouragée par une poignée de cols blancs soucieux uniquement de la bonne santé de leur portefeuille d'actions...

Documentaire passionnant, “Toute la beauté et le sang versé“ est émaillé d'images d'archives rares où viennent s'entrechoquer l'insouciance du New-York underground des années 80 et les clichés des corps flétris, rongés par le virus, quelques années plus tard. Mais, il est aussi un témoignage du présent et la réalisatrice, à travers les happenings des activistes, sait toujours où le mieux placer sa caméra pour rendre l'image la plus percutante possible. Aussi percutants que certains clichés de Nan Goldin, cette artiste activiste acharnée. 

Voir également à ce sujet la série de fiction Dopesick (diffusée cette année sur la plateforme Disney+ avec Michael Keaton qui résume bien la genèse et l'ampleur de cette hécatombe aux EU.

*Toutes les citations de Nan Goldin sont extraites d'un essai paru en Janvier 2018 dans la revue Artforum : https://www.artforum.com/print/201801/nan-goldin-73181.