France
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Doliprane, amoxicilline : les pharmacies françaises font-elles face à une pénurie de médicaments ?

Question posée sur Twitter le 5 décembre 2022.

«Pénurie.» A en croire les réseaux sociaux, c’est le mot qui s’impose lorsqu’il s’agit de décrire l’état des étagères des pharmacies de l’Hexagone. Deux médicaments, largement utilisés par les Français, concentrent les inquiétudes. D’une part, les versions pédiatriques du paracétamol, molécule soignant les douleurs et la fièvre, plus connue (lorsqu’elle est commercialisée par le laboratoire Sanofi) sous le nom de Doliprane. D’autre part, l’amoxicilline, l’antibiotique le plus prescrit en France, principalement pour traiter les angines et otites infantiles.

«Ce jour, à la pharmacie, à Paris, il n’y a plus de Doliprane enfant en sirop. […] Le médicament de base pour toutes les familles, pour l’enfant qui a de la fièvre ou qui a mal, il n’y en a plus», a ainsi tweeté la journaliste de RMC Apolline de Malherbe, dimanche. La veille, l’actrice et chroniqueuse de Touche pas à mon poste Beatrice Rosen avait fait part sur Twitter d’une mésaventure similaire : «Je viens de faire trois pharmacies pour acheter de l’amoxycilline pour enfant (infection streptocoques). Ils me disent tous : pénurie nationale. On est obligé d’acheter des doses pour adultes qui sont aussi menacées de pénurie.» Le même discours a été porté par le député insoumis François Ruffin sur RMC la semaine dernière. «On est en France, en 2022, et on a le ministère de la Santé qui recommande aux médecins de donner moins de Doliprane, de dire qu’à la place que ce soit un toutes les 6 heures, désormais ce doit être un toutes les 8 heures, et absolument en cas de grand besoin, parce qu’il y a une pénurie en cours», a déploré l’élu de la Somme, ajoutant ensuite : «C’est sans doute encore plus grave sur l’amoxicilline. On sait maintenant qu’il va y avoir une pénurie sur un médicament qui est nécessaire pour les enfants.»

Ce matin sur RMC j'ai ramené une boîte de Doliprane et d'Amoxicilline. C'est pas qu'Apolline de Malherbe me donne mal à la tête, mais contrairement à Agnès Pannier-Runacher, je ne fais pas confiance à Sanofi... (à part pour faire du profit) : en France, en 2022, c'est la pénurie. pic.twitter.com/zO1njWw4Wb

— François Ruffin (@Francois_Ruffin) November 30, 2022

Au sein de l’exécutif, l’heure est à la dédramatisation. Invité dimanche de BFM Politique, le ministre de la Santé, François Braun, a assuré qu’en ce qui concerne «le Doliprane, il n’y a pas de problème. Les industriels nous ont garanti que là, c’était bon. Nous avons rétabli nos stocks. Il faut voir que quand on parle de pénurie, ça veut dire que nos stocks diminuent, mais nous avons toujours un peu de stocks.» Sur la production d’amoxicilline, le ministre est moins optimiste, indiquant qu’à ce jour, «les industriels font le maximum pour remonter». Quelques jours plus tôt, le ministre délégué à l’industrie, Roland Lescure, reconnaissait devant l’Assemblée nationale l’existence de «tensions sur le marché», tout en insistant sur les actions gouvernementales censées y remédier.

«Tension d’approvisionnement»

Alors, entre constats alarmants en officines et parole officielle optimiste, où en sont réellement les stocks de ces médicaments essentiels ? Première réponse sur le site de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), qui recense, à partir des déclarations que les laboratoires pharmaceutiques sont tenus de lui transmettre, «les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur faisant actuellement l’objet de difficultés d’approvisionnement et pour lesquels il n’y a pas ou pas suffisamment d’alternatives thérapeutiques disponibles sur le marché français».

S’agissant de l’amoxicilline, le dernier signalement remonte au 18 novembre, et fait état d’une forte «tension d’approvisionnement» depuis le 10 octobre sur l’ensemble des produits en contenant. Une tension d’approvisionnement est observée lorsque «le fabricant dispose d’une quantité insuffisante de médicaments, d’où une incapacité temporaire à fournir le marché habituel», note le Leem, l’organisation professionnelle des entreprises du médicament opérant en France. On parle de «pénurie» en cas d’«indisponibilité temporaire d’un médicament». En l’occurrence, l’amoxicilline reste donc disponible, mais en quantités insuffisantes pour répondre à la demande, d’après l’état des lieux dressé par l’ANSM.

Dans le détail, «les formes les plus impactées sont principalement les suspensions buvables en flacon, qui sont majoritairement prescrites en ville chez les enfants», les difficultés d’approvisionnement allant jusqu’à une «rupture de stock pour certaines références». Contactée par CheckNews, l’autorité du médicament souligne que «ces pénuries en amoxicilline concernent toute l’Europe, ainsi que d’autres marchés internationaux», et estime qu’elles pourraient «durer jusqu’en mars». En conséquence, la distribution des références médicamenteuses à base d’amoxicilline a été «contingentée dans les établissements de santé» ainsi qu’«en ville à 50 % auprès des grossistes répartiteurs», quand le «canal de vente directe aux officines» a été bloqué. En parallèle, «l’ANSM a demandé aux laboratoires de mettre tout œuvre pour augmenter leur capacité de production», et étudie des pistes d’importation. Dans le cas du paracétamol, les premières remontées de tensions d’approvisionnement datent du printemps, selon l’ANSM.

«La situation se dégrade» dans les pharmacies

Les deux producteurs français de paracétamol, Sanofi et UPSA, relativisent ces tensions. Le premier insiste sur l’absence «de rupture de produits à base de paracétamol». Malgré les contingentements, «toutes les formes de la gamme Doliprane restent ouvertes à la commande pour approvisionner toutes nos parties prenantes – hôpitaux, grossistes et pharmaciens», affirme le principal opérateur sur ce marché. En réponse aux difficultés sur l’approvisionnement en formes «enfants» du Doliprane, le laboratoire a «convenu avec les autorités de prioriser les grossistes-répartiteurs pour la suspension pédiatrique, ce qui assure plus de flexibilité et d’adaptabilité pour ensuite répartir sur les pharmacies».

Chez UPSA (un quart des parts de marché sur les formes adultes, avec les marques Dafalgan et Efferalgan – contre seulement 2 % sur les formes pédiatriques, pour lesquelles Sanofi est en quasi-monopole), on fait état de «stocks suffisants». «En pharmacie, il y a à peu près trente jours de stock sur nos références», énonce Laure Lechertier, qui dirige l’accès au marché au sein du laboratoire. Pour pallier (en partie) les difficultés rencontrées par son principal concurrent, UPSA a au cours de l’année «augmenté de 20 % [sa] capacité de production sur l’adulte, et l’a plus que doublé sur la pédiatrie». Une adaptation qui a des limites : «Arrive un moment où on ne peut pas faire plus dans notre usine.»

Gilles Bonnefond, ancien président de l’Union de syndicats de pharmaciens d’officine, estime pour sa part que «la situation se dégrade» dans les pharmacies : «Aujourd’hui, les pharmaciens sont obligés de rappeler les médecins», de «se rabattre sur l’ibuprofène» à la place du paracétamol, ou d’«épuiser d’autres antibiotiques, qui ne sont pas ceux qui étaient prioritairement prescrits» afin de «compenser la pénurie d’amoxicilline». Mais si «le focus est mis sur le paracétamol et l’amoxicilline», ces molécules ne sont pas les seules concernées, pointe le pharmacien retraité : «On a en permanence 30-40 spécialités qui restent momentanément en rupture de stock.»

Covid, grippe et bronchiolite

La problématique n’est pas nouvelle, mais elle s’est aggravée ces derniers temps. Le groupement d’intérêt économique Gers, piloté par les entreprises du secteur pharmaceutique, recensait ainsi 12,5 % des références de médicaments en rupture d’approvisionnement au mois d’août dernier, contre 6,5 % en janvier. Quant à l’ANSM, elle a reçu en 2021 pas moins de 2 160 signalements de ruptures de stock et de risque de ruptures (contre 2 446 en 2020, 1 504 en 2019, et moins de 1 000 les trois précédentes années).

Déjà au centre des préoccupations ces dernières années, le sujet des pénuries de médicaments avait ainsi fait l’objet d’un rapport parlementaire en septembre 2018, puis d’un long rapport commandé en septembre 2019 à l’ancien président de l’Ecole polytechnique Jacques Biot. Entre-temps, une feuille de route ministérielle pour 2019-2022 a été adoptée en vue d’«améliorer la disponibilité des médicaments en France». S’appuyant sur cette feuille de route, l’ANSM demande «aux industriels de déclarer le plus en amont possible tout risque de rupture afin de pouvoir anticiper au maximum».

L’ANSM lie les pénuries d’amoxicilline observées dans certaines pharmacies à «une augmentation très importante de la consommation en antibiotiques couplée à des difficultés sur les lignes de production industrielle qui n’ont pas retrouvé leur capacité de production d’avant la pandémie de Covid-19». De même, Sanofi insiste sur l’importance des besoins depuis la pandémie, «qui se sont accentués récemment avec la conjonction de trois épidémies»Covid, grippe et bronchiolite. Concrètement, Sanofi fait face à «une augmentation de +47 % des demandes de livraisons de la part des pharmacies pour notre gamme pédiatrique sur la période janvier-novembre 2022 comparé à la même période en 2021».

«Il est difficile de suivre»

Une augmentation circonstancielle qui renforce une hausse déjà marquée de la demande de médicaments. Les besoins explosent, «à hauteur d’environ 6 % par an sur le plan international», chiffre Thomas Borel, directeur scientifique du Leem. Sachant que, même français, les laboratoires exportent une partie de leur production (43 % des volumes dans le cas d’UPSA), «pour les entreprises du médicament, il est difficile de suivre».

S’ajoutent à cela les tensions géopolitiques, et en premier lieu l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui compliquent notamment l’approvisionnement des éléments de packaging. «C’est compliqué pour les entreprises d’obtenir du verre, du carton, de l’aluminium… détaille Thomas Borel. On est dans une activité très normée, donc on ne peut pas changer d’un seul coup le contenant.»

Une explication qui tient plus globalement à l’internationalisation du processus de fabrication des médicaments. Pour leurs matières premières, y compris le principe actif à la base du médicament, les entreprises du secteur dépendent «de quelques acteurs de production, géographiquement éloignés de nos frontières», observe Thomas Borel. De ce fait, «il suffit qu’il y ait un problème dans la chaîne de production ou une fermeture d’usine pour que ça déstabilise complètement l’approvisionnement». Pandémie ou pas, guerre ou pas, les producteurs de médicaments sont donc structurellement exposés à des risques de pénurie.