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Drame en Italie: les Américains auraient inventé la carbonara

Temps de lecture: 2 min — Repéré sur BBC

Cataclysme. Le 23 mars, le Financial Times publiait un article dans lequel Alberto Grandi, expert en gastronomie italienne, affirmait que la carbonara avait été inventée par des Américains ayant vécu en Italie juste après la Deuxième Guerre mondiale. Imaginez un peu le scandale, surtout que le même jour, l'Italie demandait à ce que sa cuisine intègre le patrimoine matériel immatériel de l'Unesco.

Pour la BBC, la journaliste Anna Bressanin s'est intéressée à cette affaire insensée, qui a choqué toute l'Italie («Nous n'arrivons plus à parler d'autre chose», lui a écrit un de ses amis). L'association agricole Coldiretti évoque ainsi «une attaque surréaliste», tandis que les réseaux sociaux sont devenus le théâtre de débats fleuris et infinis. Cela valait bien le coup de se demander pourquoi une telle passion –et, à l'occasion, de se se mettre en quête des véritables inventeurs de la carbonara.

Pour Eleonora Cozzella, journaliste gastronomique, il s'agirait en fait d'une «combinaison entre le génie italien et les ressources américaines». Six années de suite, l'experte a couvert la Journée de la carbonara, un événement très sérieux se déroulant chaque 6 avril.

Autrice du livre La carbonara parfaite, Cozzella a pu interroger les petits-enfants d'aubergistes du quartier romain de Trastevere qui, dans la deuxième partie des années 1940, ont nourri des soldats américains. Ces derniers demandaient régulièrement ce qu'ils appelaient un «spaghetti breakfast», composé d'œufs, de bacon et de pâtes –bacon américain et œufs en poudre provenant du Royaume-Uni, le tout au marché noir.

Persil et gruyère

C'est en 1952 que la première recette de pâtes à la carbonara a été publiée; et c'est bien dans un livre américain qu'elle se trouve. Son titre: Vittles and vice: an extraordinary guide to what's cooking on Chicago's Near North Side, écrit par Patricia Bronté. Parmi ses adresses favorites, l'autrice cite le restaurant italien Armando, tenu par les chefs Armando Lorenzini et Pietro Lencioni, dont elle glisse par la même occasion la recette du plat signature, la carbonara. Or celui-ci est né aux États-Unis, de parents italiens.

La première recette publiée en italien, elle, date d'août 1954. On la trouve dans la revue La Cucina italiana, mais les puristes risquent de s'arracher les cheveux: on y trouve du persil et du gruyère. Ce qui est doublement proscrit dans la recette prétendument officielle de la carbonara.

«Le débat est ridicule et dangereux», tranche Michele Fino, professeur de droit à l'université des sciences gastronomiques (si si) de Pollenzo, dans la région italienne du Piémont. Pointant la dimension politique de la polémique, il affirme qu'une bonne part de nationalisme se cache dans cette discussion, et ajoute au passage que les Italiens sont bien trop «obsédés» par leurs origines pour que cela soit sain.

D'autant que le purisme gastronomique italien repose parfois sur du vent, ajoute le spécialiste. Lorsque des adeptes acharnés de la carbonara se mettent à hurler parce que quelqu'un a osé proposer d'ajouter de la crème fraîche, ils oublient que Gualtiero Marchesi, considéré comme le «père de la cuisine italienne moderne», n'hésitait pas à utiliser lui-même cet ingrédient dans sa recette.

Mais n'en voulons pas trop aux Italiens, résume la journaliste: faire la cuisine, c'est leur façon de prendre soin des autres. D'où cette envie débordante d'alimenter des débats sans fin à propos du meilleur moment pour saler l'eau des pâtes, de l'ajout ou non de sucre dans une sauce tomate, ou de la «vraie» recette de la carbonara –cette dernière étant, quelle que soit sa véritable origine, un pilier de l'identité italienne.