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Echecs : C’est quoi cette histoire de triche qui rend fou le numéro 1 mondial Magnus Carlsen ?

Dans l’imaginaire populaire, le mystérieux univers des échecs ressemble au monde du silence. Pourtant, le milieu des fous et des tours traverse depuis trois semaines un moment de bruit et de fureur, que la dernière sortie du roi Magnus Carlsen a encore alimenté. L’indiscutable meilleur joueur de la planète, depuis une bonne décennie, a publié un communiqué dans la nuit de lundi à mardi dans lequel il accuse de tricherie Hans Niemann (19 ans).

Ce document se trouve au centre du troisième épisode d’une saga démarrée au début du mois. Premier acte : le Norvégien (31 ans) se retire de la prestigieuse Coupe Sinquefield après avoir étonnamment perdu face au jeune Américain le 4 septembre. Deuxième acte : une semaine plus tard, Carlsen jette carrément l’éponge après un seul coup, lors d’une rencontre en ligne face au même adversaire. Un comportement inouï, comme si Arnaud Duplantis refusait de sauter à la perche face à un concurrent qui plafonne d’habitude à 5,70 m.

« Je crois que Niemann a plus triché, et encore plus récemment, qu’il ne l’a admis publiquement », a lâché Carlsen, sommé de s’expliquer sur ses réactions épidermiques par quelques sommités, dont Garry Kasparov. « Sa progression en face-à-face est inhabituelle », a-t-il poursuivi, en s’étonnant du calme olympien voire de la désinvolture du Californien, même dans les moments critiques, et de sa manière de le battre « comme seule une poignée de joueurs peut le faire ».

L’aveu de tricheries passées

Or, Niemann, 49e mondial, n’est pas censé faire partie du gratin susceptible de renverser l’empereur de l’échiquier. « Il connaît une progression assez fulgurante depuis deux ans, observe le Français Fabien Libiszewski, grand maître international. Il n’était pas mauvais, mais ce n’était pas un talent méga prometteur. Là, il est en train d’entrer dans l’élite mondiale. » Après sa défaite au début du mois, Carlsen - « l’un des trois ou cinq meilleurs joueurs de l’Histoire, peut-être le meilleur » dixit Libiszewski – avait publié un tweet couplé à une vidéo de José Mourinho période Chelsea : « Je préfère ne pas parler. Si je parle, j’aurai de gros problèmes. »

Le Norvégien a fini par parler, mais sans pouvoir apporter aucune preuve de fraude récente. Après sa victoire retentissante du 4 septembre, Niemann avait avoué avoir triché deux fois en ligne lorsqu’il avait 12 et 16 ans, mais jamais en face-à-face, et se disait même prêt à jouer en tenue d’Adam pour lever les doutes. Car on ne parle plus d’antisèches à papa façon Daniel Auteuil dans Les Sous-Doués.

Cette fois, il est question de dopage technologique, avec d’éventuelles oreillettes ou des objets vibrants à même le corps. La rumeur de l’utilisation d’un plug anal a d’ailleurs fait beaucoup pour que la querelle Carlsen – Niemann déborde de la sphère des échecs. « C’est parti d’un délire sur un forum, mais il n’y a absolument rien qui étaye ça », balaie Fabien Libiszewski, qui collabore à la chaîne YouTube spécialisée Blitzstream, créée par Kevin Bordi et forte de 175.000 abonnées.

Le grand maître souligne la dangerosité que l’usage dévoyé de la technologie fait peser sur sa discipline.

C’est bien pire que du dopage dans le sport. Si je joue au tennis chargé comme une mule, je pense que je ne mets pas un point contre un joueur classé à l’ATP. A l’inverse, le joueur ATP qui se pointe avec un ordinateur va battre tout le monde aux échecs. Cela devient injouable, comme un gars avec des jambes bioniques qui courrait le 100 m en trois secondes. »

En fait, le monde des échecs n’a plus jamais vraiment été le même depuis que Deep Blue a dominé Garry Kasparov, alors prince des échecs, le 11 mai 1997. Pour la première fois, un superordinateur terrassait un humain. Depuis, l’intelligence artificielle fait toujours mieux, dans un format de plus en plus réduit. « Deep Blue, c’était un immeuble, plaisante Libiszewski. Aujourd’hui, même mon smartphone joue mieux que moi aux échecs. »

En mai 1997, le Russe Garry Kasparov avait perdu contre l'ordinateur d'IBM Deep Blue. Des fans d'échecs avaient assisté à la retransmission de la partie depuis New York.
En mai 1997, le Russe Garry Kasparov avait perdu contre l'ordinateur d'IBM Deep Blue. Des fans d'échecs avaient assisté à la retransmission de la partie depuis New York. - Stan Honda / AFP

Le cas du sulfureux Niemann, banni durant plusieurs mois par le site de référence chess.com, n’est pas un éclair dans un ciel tout bleu. L’histoire de la discipline regorge d’embrouilles plus ou moins croquignolesques.

En 2019, l’ancien espoir français Sébastien Feller et deux autres joueurs, dont son entraîneur Arnaud Hauchard, étaient condamnés à six mois de prison avec sursis (avant de faire appel) par le tribunal de Thionville (Moselle), pour des faits remontant à neuf ans plus tôt, lors de la très renommée Olympiade de Khanty-Mansïïsk en Russie. Resté en France et suivant les parties en direct, le troisième homme simulait les coups à jouer par ordinateur et les transmettait au coach qui se débrouillait pour les communiquer à son joueur.

Surpris sur son portable dans les toilettes

Toujours en 2019, le grand maître tchèque Igor Rausis, aux résultats bondissants malgré ses 58 ans, s’était fait surprendre en plein tournoi dans les toilettes à Strasbourg. Le quinquagénaire consultait un logiciel sur son portable, planqué comme dans un mauvais film.

« C’est difficile d’attraper un tricheur en flagrant délit, observe Libiszewski. Il faut donc essayer de prendre des mesures pour l’empêcher, quitte à ce que ce ne soit pas très confortable. On pourrait imaginer des fouilles aléatoires après la partie, des scanners à l’entrée des compétitions. Il faudrait peut-être un délai dans la retransmission des parties, une demi-heure d’écart plutôt qu’une diffusion en live, pour qu’une personne qui suit la partie ne puisse pas transmettre d’informations. Ou bien instaurer des contrôles inopinés, un peu comme dans le cyclisme. »

« Une mauvaise pub pour les échecs »

Sans aller jusqu’à parler d’une affaire Armstrong version grand échiquier, Libiszewski redoute les conséquences d’un psychodrame qui dépasse de loin les simples personnalités de Carlsen et de Niemann. « Quoi qu’il en soit, c’est une mauvaise pub pour les échecs. Soit il y a des tricheurs, et on ne peut pas les détecter. Soit le champion du monde accuse à tort un jeune joueur. Le plus probable est que Carlsen ait raison, mais il reste à le prouver. »

La balle est dans le camp de la Fédération internationale (Fide), bien embêtée par la situation. Vendredi dernier, elle a pondu un communiqué façon jugement de Salomon. Son président Arkady Dvorkovich jugeait « qu’il y avait de meilleures façons de gérer cette situation » que les coups d’éclat de Carlsen. Mais il assurait « partager la profonde préoccupation » du Norvégien quant à l’impact négatif de la triche sur la discipline et annonçait que des mesures préventives étaient déjà en place dans les compétitions que la Fide organise. Seulement, dans les échecs comme partout ailleurs, les tricheurs gardent souvent un coup d’avance.