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Eco-anxiété chez les personnes âgées : «On est plus proches de la sortie, donc on n’est pas tellement concernés»

Face au changement climatique, tous les aspects de la ville et de la vie de ses habitants sont à réinventer. En mai, le temps d’un week-end, le Climat Libé Tour a exploré les pistes de réflexion. Un événement auquel se sont associés des élèves de la promotion lyonnaise du Centre de formation des journalistes.

«Libération, c’est plutôt de droite ou de gauche ? Si c’est de gauche, je ne parlerai pas», avertit d’emblée une dame âgée, les bras croisés, décidée à ne pas aborder la thématique de l’éco-anxiété. A l’angle de la rue Delandine à Lyon, la résidence intergénérationnelle Rinck accueille 80 seniors, en cohabitation avec des jeunes issus de logements Crous. Le café Chez Daddy a pris place dans les locaux de la résidence en janvier 2022 : ici, le principe est de rompre la solitude des personnes âgées.

Ce 10 mai, le gérant Benjamin Giacobbi attend plusieurs participants pour un atelier discussion d’environ deux heures, où sera abordé le sujet de l’éco-anxiété – les angoisses que l’être humain ressent face aux crises environnementales. S’ensuivra un échange sur «les petits bonheurs de la vie», de quoi pallier la déprime que peut engendrer le thème des défis climatiques.

A 15 heures tapantes, sept femmes de 76 ans et plus s’affairent autour d’une table dans la salle de restauration, après qu’une pluie battante eut forcé tout le monde à rentrer. Sylvie, l’animatrice du groupe de discussion, a apporté des bonbons pour les plombages les plus robustes.

Après un long silence, Marie-Claude est la première à se lancer. Devenue grand-mère il y a un mois, l’année de ses 78 ans, elle avoue être très préoccupée par le futur de ses petits-enfants : «S’ils m’avaient annoncé la naissance de la petite il y a deux ans, j’aurais sauté de joie. Là, j’ai ressenti toute l’angoisse qui pouvait résulter du futur de cet enfant.»

Sa voisine d’en face, Huguette, alias «Mamie Rinck» comme elle aime à le préciser, a 80 ans : «Je n’ai pas d’enfants mais je pense aux jeunes qui arrivent derrière nous. Moi, je suis heureuse d’avoir l’âge que j’ai pour vivre dans ce monde, qui en effet se dégrade.» Pour Benjamin Giacobbi, les seniors se sentent souvent moins concernés. «C’est une affaire de génération» ; certains, enfants, ont vécu la Seconde Guerre mondiale et «en ont encore les traces».

Réduction de la viande

«On est plus proches de la sortie, donc on n’est pas tellement concernés», admet Geneviève, ex-pharmacienne de 76 ans. Pour autant, la résidente aux yeux pétillants a conscience que les habitudes de sa génération sont vouées à disparaître. «Avant, on prenait un vol pour un oui ou pour un non quand on voulait voyager. Vous imaginez, l’empreinte carbone ?» culpabilise-t-elle.

Aujourd’hui, les petits plaisirs du quotidien ne peuvent plus être assouvis comme dans le temps. «Moi, je prenais des bains jusque-là», reconnaît Geneviève, en mimant de ses mains la quantité d’eau qu’elle faisait couler. Maintenant, celle qui admire la militante suédoise Greta Thunberg n’utilise plus sa baignoire. Jeannine, assise à côté d’elle, ajoute fièrement se servir de l’eau usée de sa douche pour arroser ses fleurs.

Afin de favoriser les gestes écologiques des seniors, l’association Chez Daddy a installé un composteur en bois dans le parc, que toutes autour de la table utilisent. «J’ai mon sceau sur mon déambulateur, et je viens de le vider !» s’exclame une résidente, accoudée sur son appareil.

Mais de nombreuses traditions sont à déconstruire chez les personnes âgées, selon Benjamin Giacobbi. Par exemple, des plats végétariens sont proposés pour inviter à une réduction de la consommation de viande. «Un repas sans viande, ça n’est pas possible pour eux. Ils ont l’impression de manquer d’une denrée alimentaire», indique-t-il.

Goût de bataille des générations

Les sept femmes présentes s’alarment aussi de la pénurie d’eau. Selon l’ONU, 2,3 milliards de personnes vivaient dans des pays en situation de stress hydrique en 2021, un chiffre voué à augmenter. Très sérieuse, Huguette interpelle ses consœurs, les deux mains posées sur la table : «Dites, j’ai une question idiote. La fonte des glaciers fait monter le niveau des mers et des océans. Alors, pourquoi on ne trouve pas le moyen d’aller puiser cette eau, pour nous venir en aide ?»

La discussion prend alors une nouvelle tournure. Comment protéger cet or bleu, encore, quelques années ? Car des restrictions d’eau se mettent en place, comme dans le Vaucluse ou les Pyrénées-Orientales. S’ensuivent des souvenirs d’un passé où la pénurie d’eau et la préservation des écosystèmes n’étaient pas des priorités.

Le défi climatique réveille également une autre sorte de débat, comme un goût de bataille des générations. «Nous aussi on a vécu des catastrophes, et nous avons survécu», s’exclame Jeannine. Car la quinquagénaire est positive pour l’avenir. «Le réchauffement climatique, c’est comme la mode, estime celle qui voit en la dégradation des écosystèmes un cercle qui se renouvelle. Il faut garder une part d’optimisme, ne pas voir que le tragique, sinon on tombe malade.»

Comparer coutumes vestimentaires et catastrophe climatique ne semble pas mettre tout le monde d’accord. Pour nourrir le débat, Marie-Claude partage avec émotion son inquiétude face à la montée des températures, notamment en Espagne, où les 40 degrés ont été atteints à la fin du mois d’avril. Ce qui ne manque pas de faire réagir Jeannine, qui s’apaise profondément lorsqu’elle comprend que l’on ne parle pas de la France, mais de sa voisine ibérique.

Selon une étude de The Lancet, 60 % des jeunes de 16 à 25 ans se déclarent très inquiets face au changement climatique, et le moral et la vie de 45 % d’entre eux s’en trouvent touchés. Certains éco-anxieux atteignent même le stade de dépression. Ce qui ne manque pas de faire réagir plusieurs résidentes. Ou de faire glousser Huguette, qui semble y voir là une aberration…