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Effet placebo : c'est aussi un moyen (efficace) de soigner

Mica panis est un remède venu de la nuit de temps. Jusqu'au début du X Xe siècle, il avait une place d'honneur chez les apothicaires. Son atout : il fonctionnait pratiquement sur tous nos maux. Il était notamment prodigieux contre la constipation des dames de la Cour. "Mica panis", c'est de la mie de pain. Eau distillée, sucre, farine, amidon, les placebos ont tous en commun de ne contenir aucune molécule active ; toutefois, couronnés d'un nom scientifique et précédés d'une réputation flatteuse, ils agissent comme de véritables médicaments.

Si l'exemple de la mie de pain peut faire sourire, les études menées depuis plusieurs décennies permettent de comprendre comment fonctionne l'effet placebo et surtout comment l'utiliser pour mieux soigner.

Même la chirurgie peut être placebo

Des thérapies manuelles, des psychothérapies, des médicaments dûment homologués… et même des chirurgies peuvent être placebo. L'expérience la plus connue dans ce domaine concerne la ligature des artères mammaires. Cette chirurgie fine a longtemps été proposée pour traiter les symptômes de l'angine de poitrine, une pathologie due à la diminution du calibre des artères qui irriguent le cœur. L'intervention soulageait 75 % des patients. Pour évaluer cette technique, un cardiologue de Seattle (États-Unis) a eu l'idée de la comparer au placebo. Une partie des patients était réellement opérée, l'autre recevait un simulacre d'opération. Surprise : le bénéfice était identique dans les deux groupes de patients. Leonard Cobb venait de démontrer que la chirurgie placebo existait.

D'autres expériences semblables ont été menées. Ainsi, comparée à la ménisectomie (ablation chirurgicale du ménisque), une opération fantôme s'est révélée aussi efficace pour soulager les genoux douloureux. Premier miracle du placebo : il peut dans certains cas remplacer des chirurgies inutiles.

L'effet placebo est extrêmement puissant

Pour lutter contre la douleur, l'effet placebo peut avoir une efficacité comparable à celle de molécules telles que la morphine. Comment ? De nombreuses équipes travaillent sur les mécanismes neurobiologiques, psychologiques et sociaux sous-jacents. "Notre cerveau est une véritable usine pharmaceutique capable de fabriquer presque tous les médicaments dont nous avons besoin", indique le Dr Patrick Lemoine, psychiatre. «"Comprendre comment cela marche nous permettra de savoir l'utiliser au mieux", ajoute le Pr Didier Bouhassira, neurologue.

Les premières études ont montré qu'un traitement placebo à visée antalgique (médicament inerte, techniques comme l'hypnose… ) déclenche dans le cerveau la production d'endorphines capables de faire taire des douleurs, même intenses… Mais ce n'est pas tout. Dans les troubles anxieux ou la dépression, un traitement placebo entraîne des modifications de l'activité électrique de certaines zones du cortex cérébral, et stimule la production de sérotonine, le neurotransmetteur du bien-être.

Plus étonnant, l'administration d'un traitement placebo à des parkinsoniens active les neurones responsables de la production de dopamine ! Les myriades d'études qui se sont succédé montrent que l'effet placebo modifie en profondeur la chimie cérébrale, et entraîne en cascade des réactions neurologiques, immunitaires, hormonales, contribuant à l'autoguérison. Cela explique que le placebo soit remarquablement efficace dans un grand nombre de maladies. Même dans les pathologies qu'il ne peut guérir (cancer… ), il est un adjuvant intéressant.

L'effet placebo fait agir le médicament plus vite

Des travaux récents ont établi l'importance de l'association entre un médicament actif et un placebo. L'association est double. D'une part au moment de la prise du traitement, le placebo vient renforcer l'efficacité de la molécule chimique. Ainsi, quand on consomme du paracétamol pour calmer un mal de tête, l'effet est quasi instantané. Cette instantanéité est due au placebo. Dans un second temps seulement, le médicament libère ses principes actifs pour soulager durablement la douleur.

Plus intéressant encore, le corps est capable d'apprendre et de mémoriser l'action d'un médicament. "Un placeboest d'autant plus puissant que l'on a déjà eu par le passé l'occasion de se soigner avec une molécule active. Comme si le placebo mimait l'action du “vrai” médicament », indique Didier Bouhassira. L'une des explications tiendrait au réflexe « pavlovien », c'est-à-dire la reproduction par l'organisme d'un comportement appris.

L'effet placebo marche aussi sur les nourrissons

Depuis la prime enfance, toutes nos douleurs et nos maladies sont médicalisées. Le nourrisson "apprend" que l'ingestion d'un médicament entraîne un soulagement. Par réflexe pavlovien, son corps se met en état de se soigner lui-même si ses parents lui administrent une pilule. Autre mécanisme important : l'intentionnalité. Cela explique pourquoi l'effet placebo marche aussi sur les bébés et les animaux domestiques : la conviction du parent ou du maître dans l'efficacité du traitement stimule chez le bébé ou l'animal des mécanismes de guérison.

Se soigner par placebo, pourquoi pas ?

Le placebo existe déjà dans nos traitements. On sait que la couleur du médicament, sa taille, sa galénique (injection, pilule… ) ont un impact sur son effet. Un petit comprimé est réputé plus puissant, un médicament bleu plus apaisant… De même, la conviction d'un médecin lorsqu'il prescrit un traitement renforce fortement son efficacité. Bien employé, l'effet placebo aide donc à mieux soigner à moindre coût (moins de médicaments et moins d'effets secondaires).

À Lyon, le Dr Lemoine utilise le placebo pour sevrer ses patients. Paradoxe : le patient fabrique lui-même ses gélules placebo, il sait donc que certains jours il prend une molécule inerte. Et pourtant, ça marche ! Pour Thierry Janssen, psychothérapeute, s'intéresser à l'effet placebo permet de remettre au centre du soin la relation patient/médecin. Au lieu de "subir", le patient devient pleinement acteur de sa guérison. In fine le placebo réintroduit de l'humain, de l'empathie dans une médecine qui a souvent tendance à devenir trop techniciste. Indubitablement, c'est un grand progrès !

Nos experts :

  • Pr Didier Bouhassira, neurologue, chercheur à l'Inserm, ex-président de la Société française d'étude de la douleur (SFETD)
  • Dr Thierry Janssen, ancien chirurgien, psychothérapeute, fondateur de l'École de la posture juste (EDLPJ) à Bruxelles
  • Dr Patrick Lemoine psychiatre, docteur en neurosciences, auteur de Le mystère du placebo (éd. Odile Jacob)