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Election présidentielle au Brésil : Les enjeux du duel entre deux présidents que tout oppose

La démocratie brésilienne peut-elle vaciller ? Dimanche 2 octobre, 156 millions d’électeurs sont appelés aux urnes pour élire le nouveau président. Le duel final devrait voir s’affronter entre deux habitués de la fonction, Jair Bolsonaro, le président sortant et candidat du parti Libéral (PL), et Luiz Inacio Lula da Silva, dit Lula, déjà à la tête du pays entre 2003 et 2010, et candidat du parti Travailliste (PT). Malgré neuf autres adversaires, les deux candidats sont en tête des derniers sondages et présentent des programmes radicalement opposés dans une société extrêmement polarisée.

Les intentions de vote l’illustrent bien : 47 % pour Lula, 33 % pour le président d’extrême droite élu en 2018, selon un sondage de l’institut brésilien Datafolha. Dans les urnes, ce sont deux visions de la société, de l’économie, des questions sociales, de sécurité, culturelles et écologiques qui s’opposent. Et au-delà, c’est « l’avenir de la démocratie » qui se joue, estime Juliette Dumont, maîtresse de conférences en Histoire contemporaine à l’Institut des Hautes Études de l’Amérique Latine et chercheuse au Creda (Centre de Recherche et de Documentation sur les Amériques), interrogée par 20 Minutes. Car, « Bolsonaro n’a eu de cesse d’attaquer les institutions brésiliennes pendant son mandat, mettant le pays dans un état catastrophique à de nombreux niveaux », ajoute-t-elle.

Bolsonaro et ses irréductibles

Deux candidats, deux styles différents et surtout deux bilans. Jair Bolsonaro continue à être soutenu par plus de 30 % de la population après quatre années de mandat qui ont traversé une crise économique, une crise politique, la gestion vivement critiquée de la crise sanitaire et une perte de vitesse sur la scène internationale. Le président sortant peut en effet se targuer d’avoir tenu sa ligne, « il n’a pas infléchi son discours entre sa campagne de 2018 et aujourd’hui, il est resté fidèle à ses idées », souligne Juliette Dumont. Par ailleurs, il a tenu ses promesses, du moins dans la marge de manœuvre de ce que « l’establishment », comme il l’appelle, a pu lui laisser : la libéralisation du port d’armes, la lutte contre l’avortement, et plus globalement la moralisation de la société et de la classe politique. Il a mis l’ordre au cœur des préoccupations. Il conserve ainsi un socle de sympathisants qui adhèrent à ses valeurs ultra-conservatrices autour de Dieu, la patrie, la famille. Des idées qui donnent des « repères dans une période globalement très mouvementée, pas seulement au Brésil », analyse la spécialiste.

En cas de victoire, il poursuivra sa politique, conservera son cap, celui « de détruire systématiquement les institutions, les acquis sociaux, l’économie du pays », prévient encore Juliette Dumont. Si le chômage affiche une diminution et que l’inflation reste moins importante que dans des pays voisins tels que l’Argentine, « l’équilibre budgétaire n’est pas du tout présent », insiste-t-elle. Dans son lot de destructions, on ne peut pas éviter d’aborder l’environnement, notamment la déforestation record de la forêt amazonienne en plus des « attaques systématiques de populations indigènes », abonde la spécialiste. Cette politique a mis le Brésil au ban de la communauté internationale. Le géant d’Amérique latine est devenu « un nain sur la scène mondiale », tranche Juliette Dumont.

Un souvenir optimiste du bilan de Lula

Lula partait avec un avantage : lorsqu’il a quitté le pouvoir en 2011, il était crédité de 80 % d’opinion favorable. Un score impressionnant qui en dit long sur son bilan en tant qu’ancien président du Brésil. Une vague positive sur laquelle surfe aujourd’hui le candidat à une nouvelle élection avec un programme se résumant à son slogan : « Soyons heureux à nouveau ». Son bilan avait en effet laissé un Brésil économiquement fort, en pleine croissance, avec une présence non négligeable sur la scène internationale. Une image néanmoins ternie par les accusations de corruption et de blanchiment d’argent de cet ancien chef d’Etat puis ministre de la Maison civile sous Dilma Rousseff en 2016, passé par la case prison, avant d’être finalement libéré après l’annulation de ses condamnations. Mais la petite musique reste entêtante, surtout lorsqu’elle est chantonnée à tue-tête par son adversaire politique.

Aujourd’hui, outre son bilan, Lula tire sa force de son alliance avec le Parti de la social-démocratie brésilienne, une sorte de front républicain contre l’extrême droite de Bolsonaro. « C’est un peu comme si, en France, le PS et LR s’unissaient, illustre Juliette Dumont, ce qui risque de poser un problème de gouvernabilité ». Mais le front tient pour le moment et représente aujourd’hui « l’espoir de tourner la page Bolsonaro », ajoute la chercheuse. Grâce à cette équation, Lula est en tête, et pourrait même être élu dès le premier tour dimanche.

Un scénario à la « Trump » ?

Jair Bolsonaro, par ses prises de paroles provocatrices, ses positions extrêmes et son style « antisystème » a souvent été surnommé le « Trump brésilien ». Et il persiste dans l’analogie. Depuis plusieurs mois, il instille l’idée que le scrutin pourrait être frauduleux en raison du vote par urne électronique, sans fournir la moindre preuve dans un pays où cette formule a démontré sa fiabilité depuis 1996. Le sulfureux chef d’Etat laisse ainsi penser qu’il n’acceptera pas les résultats du vote… En cas de défaite.

Après la victoire de Joe Biden fin 2020, les Etats-Unis ont vu les partisans les plus ultras de Donald Trump prendre d’assaut le Capitole. A quoi faut-il s’attendre si Jair Bolsonaro perd l’élection ? « Ses électeurs vont-ils accepter le résultat ? Comment les militaires, qui ont beaucoup à perdre avec le candidat du PT, vont-ils réagir ? S’il perd, que va-t-il se passer ? », s’inquiète Juliette Dumont.

Depuis ces déclarations, le président brésilien sortant a toutefois modéré ses propos afin d’attirer un électorat plus large que sa base militante. « Si c’est la volonté de Dieu, je continue. Sinon, je vais rendre l’écharpe et je vais rester en retrait, parce qu’à mon âge, je n’ai rien de plus à faire ici sur Terre, si mon passage arrive à son terme le 31 décembre », a-t-il déclaré le 13 septembre dernier. Reste à voir ce que ses électeurs, eux, penseront du résultat.