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«Elle m'a juste dit qu'elle allait prendre un couteau, l'égorger, et lui couper les mains»

Temps de lecture: 11 min

L'audition de Josette, la mère de Céline Vasselin, débute le jeudi 8 novembre 2018 à 13h57. Elle est entendue en tant que simple témoin. Face aux enquêteurs, ses propos sont confus.

Nous ne comprenons pas, lui fait remarquer l'enquêtrice. Vous dites que [Sliman Amara] était là cette semaine, mais vous ne savez pas où, et ensuite qu'il a disparu depuis un mois.
– C'est ma fille qui a...

Josette ne finit pas sa phrase. Elle fait le signe d'un égorgement.

– Pourquoi faites-vous ce geste? interroge l'enquêtrice.
– Je ne sais pas, moi.

Josette est immédiatement placée en garde à vue. Toutes les deux semaines, elle gardait le fils de Céline Vasselin et Sliman Amara –son petit-fils de 3 ans et demi– pour le week-end. Celui du 3 et 4 novembre 2018 était l'un de ceux-là. Dans le bureau du SRPJ de Rouen, on demande à Josette si la date du meurtre était programmée. Elle répond par l'affirmative. On lui demande si elle n'a pas tenté de raisonner sa fille quand elle a commencé à lui parler de tuer Sliman Amara. Josette répond: «Elle voulait tellement le tuer, je ne pouvais rien faire.» On lui demande, enfin:

– Votre fille vous a-t-elle parlé de son projet?
– Non, elle m'a juste dit qu'elle allait prendre un couteau, l'égorger, et lui couper les mains.

À plusieurs reprises, elle insiste: «Mais c'est pas elle, c'est la dame!»

Dès sa première audition en garde à vue, Céline Vasselin a reconnu avoir donné la mort à son conjoint, Sliman Amara, dans la soirée du samedi 3 novembre 2018. Lors de la perquisition à son domicile du Petit-Quevilly, des sacs-poubelle, un rouleau d'adhésif gris et des «outils tranchants» ont été retrouvés. Le Bluestar, révélateur de sang, réagissait partout dans la maison, de l'évier de la cuisine au sol en terre battue de la cave. Dans le jardin, des pierres blanches avaient disparu.

Ses déclarations collaient avec les constatations médico-légales. Les enquêteurs ont un corps, le nom de la victime, une mise en cause et des aveux circonstanciés. Malgré tout, ils sont persuadés que Céline Vasselin ment. Elle n'a pu agir seule. À la quarante-cinquième heure de sa garde à vue, ils l'informent de l'interpellation de Jessica Adam.

«Je savais que seule, je n'y arriverais pas»

La présidente de la cour d'assises de la Seine-Maritime, Nathalie Gavarino, se tourne vers Jessica Adam dans le box des accusées. Elle lui demande, probablement parce que c'est un comportement rare lors d'une première audition de garde à vue, pourquoi elle a tout de suite avoué aux enquêteurs avoir participé à l'assassinat de Sliman Amara. Derrière la vitre, Jessica Adam la regarde: «Je suis quelqu'un de droit, dans la vraie vie et... J'assumais. J'allais pas dire non, alors que...» Elle laisse sa phrase en suspens, la présidente poursuit l'énoncé des faits.

À la psychiatre venue la rencontrer en détention, Céline Vasselin raconte: «Jessica est une cliente de longue date. Je lui en ai parlé. Je savais que seule, je n'y arriverais pas.»

Céline Vasselin avait déjà tenté de tuer son conjoint. Elle «ne sait plus du tout» comment elle a entendu parler du Seresta, un anxiolytique de la famille des benzodiazépines. Ni même comment elle en a eu en sa possession la première fois. Quand, au printemps 2018, Céline a annoncé à Sliman son intention de se séparer de lui, qu'il a brandi un couteau et l'a séquestrée plusieurs heures, «elle s'est sentie dans une impasse», déclare l'experte psychiatre, qui ajoute: «Quand la terreur dépasse la morale, on voit le passage à l'acte dans un état presque défensif.»

La première tentative avait eu lieu en juillet 2018. Céline Vasselin avait écrasé des comprimés de Seresta 50 milligrammes. Les cachets sont oranges, alors elle les avait mélangés à de la sauce tomate, qu'elle avait étalée sur des toasts. Une fois son conjoint endormi, elle avait pris une seringue et piqué pour injecter de l'air dans ses veines, «mais c'était plus dans les muscles qu'autre chose».

La seconde tentative avait eu lieu en août 2018, après les vacances. Le procédé est identique: Seresta 50 milligrammes, nourriture, endormissement. Cette fois, Céline Vasselin avait posé un oreiller sur la tête de Sliman «pendant cinq secondes» pour l'étouffer. Elle n'avait pas réussi à aller au bout de l'acte.

«Je ne l'ai pas prise au sérieux. J'aurais dû»

En septembre 2018, elle parle à ses amies de ses tentatives. À la barre, Pauline* assure: «Ce n'était que des mots, je n'y croyais pas.» Son mari est psychologue, il pensait aussi que c'était «des paroles en l'air». Quand Céline lui annonce son plan tandis qu'elles se rendent à un spectacle de danse, Pauline rigole. Puis, voyant son air sérieux, répond: «T'es dingue, n'importe quoi! Il y a d'autres solutions!» Céline lui oppose qu'elle est allée consulter une voyante qui lui a promis qu'elle s'en sortirait, qu'elle allait apprendre à vivre avec et qu'il fallait qu'elle arrête d'avoir ce genre de pensées. Pauline coupe court: «Je ne veux plus en entendre parler.» À la cour d'assises de Rouen, les avocats des parties civiles la pressent de questions: elle n'y a pas cru, vraiment? En est-elle sûre? À la barre, Pauline baisse la tête: «Je ne sais pas, je ne sais plus.» Au début de l'instruction, elle a été placée en garde à vue. Le SRPJ de Rouen la soupçonnait d'avoir aidé Céline Vasselin.

Céline en parle aussi à son amie Isabelle, sa «grande sœur», comme elle l'a nommée dans son répertoire téléphonique. Elle lui dit avec ces mots: «Je vais le tuer. C'est lui ou moi.» Isabelle secoue la tête: «Arrête de dire n'importe quoi.» À la barre, elle s'en veut: «Je ne l'ai pas prise au sérieux. J'aurais dû.»

L'expert psychologue Olivier Jan commente: «Le lien avec ses amies est l'un des étayages primordiaux qui a atténué l'angoisse.» Mais parce que Céline Vasselin considère Sliman Amara comme «inatteignable» et «tout-puissant», elle n'accorde «aucun crédit aux recours classiques» et «l'attitude incrédule de ses amies» est pour elle «dure à admettre».

«Je me suis confiée à Madame Adam, raconte Céline à propos de Jessica, à côté d'elle dans le box. On s'est rencontré quand je travaillais à l'institut. On s'entendait très bien. À chaque fois qu'on se voyait, c'était par rapport à une prestation. Elle repassait pour [mon fils] surtout, pour qu'il ait du linge propre. Et moi je lui faisais des épilations.»

Lors d'une de ces séances, Céline évoque ses tentatives à Jessica. Cette dernière est d'abord dubitative: «Connaissant la douceur de Céline... je me suis dit: “Peut-être qu'elle fait ça pour voir ma réaction. Peut-être que c'est un appel au secours”.»

«Jessica Adam n'a pas tenu compte de la désorganisation de Céline Vasselin, mais au contraire comprenait, poursuit l'expert Olivier Jan. Elle le voyait non comme une aberration, mais comme un état logique face à un homme comme monsieur Amara.» À l'instar de toutes les autres amies de Céline, Jessica l'enjoint de partir. «C'est possible», lui promet-elle. Elle lui propose des solutions: la police, les associations, et même son propre foyer. «Tu peux venir chez moi, il ne viendra pas, il ne sait pas où j'habite.» Elle prononce cette phrase: «Si tu as besoin de quoi que ce soit, je serai là pour toi.»

C'est ainsi que le projet prit forme.

«Jusqu'au dernier moment, je me suis dit qu'on n'allait pas le faire»

L'exploitation des images de vidéosurveillance a été «très long», relate à la barre le major Patrick Fayeulle. Dans la voiture de Jessica, les enquêteurs avaient retrouvé deux gros rouleaux de papier absorbant, un rouleau de sacs-poubelle, et un ticket de caisse du magasin Action à Saint-Étienne-du-Rouvray concernant «de nombreux articles dont une bâche bleue et du scotch gris». À son domicile, du matériel de protection était saisi: masques oculaires, masques respiratoires, gants, combinaisons blanches et charlottes. Les caméras de surveillance du Leroy Merlin de Tourville-la-Rivière montraient Jessica Adam effectuer à deux reprises –quatre jours avant le meurtre et le jour même– plusieurs achats, dont une hachette de marque Dexter, une scie et une masse.

«Pour moi, jusqu'au dernier moment, je me suis dit qu'on n'allait pas le faire», assure Jessica Adam. Céline Vasselin, elle, a eu l'impression que tout s'est décidé «ensemble». «On s'était mis d'accord, lance-t-elle, le corps secoué de sanglots, tant qu'on ne le fait pas, on ne peut pas savoir si ça arrivera.»

En octobre 2018, Céline Vasselin se fait prescrire du Seresta 50 milligrammes auprès de SOS Médecins. Elle pose une date: le samedi 3 novembre. Elle prévient sa mère et Isabelle: «Ce week-end, Maman garde [mon fils] et si tout va bien, je passe à l'action», annonce-t-elle à son amie. Isabelle vient de perdre son frère de façon brutale, elle est très triste, et l'enterrement doit se tenir la semaine suivante. «Je ne la croyais tout simplement pas», affirme-t-elle à la barre.

Comme Pauline, Isabelle a été placée en garde à vue. Elle ne sait plus trop ce qui s'y est passé. Elle se souvient juste d'avoir eu froid pendant que les enquêteurs l'interrogeaient. Par la suite, elle a fait trois semaines de détention préventive, où elle ne parvenait plus à s'alimenter.

«Faut en finir. C'est lui ou moi»

Le samedi 3 novembre 2018, Céline Vasselin s'impatiente et envoie des messages à Jessica Adam. Elle a bu deux ou trois verres, alors qu'elle ne boit pas une goutte d'alcool d'habitude, «pour se donner du courage». Elle a écrasé «une boîte et demi» de Seresta 50 milligrammes dans les toasts de Sliman Amara.

Jessica arrive vers 19h30 et entend un «gros boum» dans le salon. Sliman est tombé au sol, sans avoir eu le temps de finir son repas. Céline lui parle, il ne réagit pas. Jessica revêt une combinaison blanche. Elle s'agenouille près de Sliman et passe la feuille de boucher sur son cou. «Je ne m'en étais jamais servie, explique-t-elle. On m'avait offert un coffret d'accessoires...» Sa gorge saigne. D'un coup, il se réveille. Les deux femmes prennent peur et s'enfuient dans la pièce adjacente. Depuis le salon, Jessica entend Sliman crier: «Céline, qu'est-ce que tu m'as fait? Qu'est-ce que tu m'as fait Céline?» Puis: «Je vais te tuer!» avant de retomber, assommé par les médicaments. Jessica pleure près de la porte d'entrée. Elle prévient Céline: «On ne va pas y arriver, c'est pas possible.» Céline l'encourage: «Si, si! Faut en finir. C'est lui ou moi.» Elle la regarde et lui tend un couteau.

«J'étais là mais j'étais plus là», souffle Jessica Adam face à la présidente de la cour d'assises.

Céline monte à califourchon sur Sliman, lui pince le nez et lui ferme la bouche. Sliman bouge à nouveau et essaie de la soulever, alors elle crie à Jessica: «Viens, vite, vite!» Jessica lui assène un premier coup de couteau, puis un second. Céline enfile sa combinaison blanche. Sliman ne bouge plus.

Vous pensez qu'il s'est vu mourir?, demande la présidente à Jessica Adam.
– Pendant longtemps, j'aurais dit non. Mais aujourd'hui, je sais que oui.

Céline et Jessica descendent le corps à la cave dans la bâche bleue. Jessica souffre d'une tendinite à l'épaule, elle lâche, Céline continue de le tirer dans les escaliers en brique rouge jusqu'en bas. À deux, elles installent des bâches de protection transparentes sur les murs de la cave.

«Qu'est-ce que je fais là?»

Quand Céline Vasselin avait exposé ses idées meurtrières pour la première fois à Jessica Adam, cette dernière lui avait fait remarquer, perplexe: «Et après, tu fais quoi du corps? Tu vas pas faire comme cette femme qui a découpé et haché son mari!» Dans le box des accusées, Jessica Adam se pince les lèvres: «Je lui ai posé une question, et je lui ai apporté la réponse derrière...» Céline Vasselin lui avait alors répondu: «Ah oui, bonne idée!» C'était deux semaines avant le meurtre. Céline lui avait donné de l'argent, 390 euros, pour acheter un hachoir électrique semi-professionnel sur Leboncoin.

«Je lui ai dit que si c'était compliqué, il fallait se séparer, sanglote Lydie*, l'amie de Céline à la barre. Elle m'a dit que c'était plus compliqué que ça, que je ne connaissais pas vraiment Sliman.» Face aux jurés, Lydie craque: «J'ai pas été à la hauteur de la conversation... J'ai pas pris la mesure de la gravité de la chose!»

Dans la cave, Sliman Amara a la tête recouverte d'un sac plastique. «Cacher le visage, c'était presque primordial pour elle», note l'experte psychiatre. Elles le déshabillent. Jessica commente la pilosité du corps, Céline répond: «On va quand même pas lui faire une épilation!» Jessica demande à Céline par quoi elle va commencer. Elles ont convenu à l'avance du déroulement des faits. Céline répond: «Par les pieds.»

Elle découpe d'abord un orteil, le pose sur un plateau et le met dans le hachoir électrique qui se coince immédiatement. Jessica verse de l'acide chlorhydrique sur le sac qui recouvre le visage de Sliman Amara. Pendant que Céline découpe les membres, Jessica l'entend dire: «Tu me pensais pas capable de faire un truc pareil! Regarde dans quel état tu es.»

Face à la cour, Céline Vasselin ne dément pas. Elle dit simplement n'avoir gardé aucun souvenir de ce qu'elle a pu prononcer. Olivier Jan, l'expert psychologue, parle d'«état crépusculaire», à savoir l'état dans lequel se trouve une personne connaissant un épisode d'affaiblissement de la vigilance, avec déréalisation, tout en conservant ses repères temporospatiaux et une activité coordonnée. «J'ai tout fait mécaniquement, exposera-t-elle par la suite à l'experte psychiatre. Ce n'était plus un humain pour moi.» Avant d'ajouter: «Je revois la scène. C'est un puzzle.»

Après la découpe du corps, Céline le met dans des sacs-poubelle. Avec Jessica, elle part en repérage au milieu de la nuit pour savoir où se débarrasser des sacs noirs. Au bout de l'île Lacroix, elles jettent le tronc dans la Seine. Sur le chemin, à 00h50, Céline Vasselin envoie un SMS à Isabelle: «lol». «Je ne comprenais pas. J'ai répondu “lol”, raconte Isabelle à la barre. Après, j'ai repensé à ce qu'elle m'avait dit, j'ai eu une montée d'angoisse, je me suis dit: “C'est pas possible...” J'ai effacé le message.»

Au cours de l'instruction, Isabelle a été renvoyée devant la cour d'assises de la Seine-Maritime pour un délit connexe, «abstention volontaire d'empêcher un crime». Elle comparaît en même temps que Céline Vasselin et Jessica Adam, mais libre.

Cette nuit du 3 au 4 novembre 2018, Jessica Adam rentre finalement chez elle. Elle vomit, prend une douche, et ne ferme pas l'œil du reste de la nuit. Pendant ce temps, Céline Vasselin nettoie la maison. Dans le jardin, elle récupère des pierres blanches qui serviront à lester les autres paquets à jeter dans la Seine.

Au petit matin, elle décommande par SMS le carreleur qui doit venir finir les travaux dans la maison. Il est un peu agacé: s'il avait su, il ne serait pas levé si tôt. Il demande à récupérer ses outils dans le garage. Elle accepte. À son arrivée, Céline lui dit que Sliman dort. L'artisan ne remarque rien de spécial, si ce n'est que Madame Vasselin ne lui paraît pas en forme: «On aurait dit qu'il y avait rien derrière les yeux», relate-t-il à la barre. Au tout début de l'enquête, l'artisan sera également placé en garde à vue, et son logement passé au Bluestar.

Le dimanche 4 novembre au soir, Céline Vasselin passe prendre Jessica Adam chez elle, vers 21h. Elle lui montre la pulpe des doigts qu'elle a découpée, pour empêcher l'identification du corps s'il venait à être découvert, et mise dans un essuie-tout. Elles roulent en silence. Là, avec les sacs-poubelle contenant les membres du corps entreposés dans le coffre en attendant d'être jetés à l'eau depuis Pont-de-l'Arche et Oissel, Jessica Adam pense: «Qu'est-ce que je fais là?» Et durant les quatre années qui suivront à la maison d'arrêt de Caen, elle se demandera encore: comment elle a fait pour en arriver là?

*Le prénom a été changé.