France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

En Bulgarie, une victoire à la Pyrrhus pour la droite

Boïko Borissov se retrouve dans un joli pétrin. Et entraîne toute la Bulgarie dans une nouvelle impasse. Sa victoire aux élections législatives du 2 octobre a tout d’une victoire à la Pyrrhus. Gerb-UDF, la coalition conservatrice qu’il dirige, a certes remporté le scrutin avec 25,3 % des voix, devançant de cinq points le parti progressiste et anticorruption Continuons le changement de l’éphémère premier ministre Kiril Petkov.

« Mais le Gerb de Borissov n’a même pas donné de conférence de presse le soir des élections, c’est dire s’il n’y a pas de sentiment de victoire », constate Anna Krasteva, politologue à la Nouvelle Université bulgare. Car, ce n’est pas le moindre paradoxe de ce quatrième scrutin en dix-huit mois, « Gerb a gagné la première place mais n’a quasiment aucune possibilité de former une coalition, tandis que Continuons le changement a perdu la première place et conserve, lui, une capacité à rallier. D’ailleurs, les deux partenaires de son gouvernement souhaitent rester dans la coalition », poursuit la politologue qui fustige « l’irresponsabilité et l’élan destructeur des élites politiques ».

« Aucun projet politique alternatif »

Boïko Borissov, colosse de 63 ans, est un ancien garde du corps de l’ex-dictateur communiste Todor Jivkov dans les années 1990. Il a dominé la vie politique bulgare pendant dix ans, avant d’être évincé, après de nombreux scandales de corruption qui avaient éclaboussé le Gerb et fait massivement descendre les Bulgares dans la rue à l’été 2020.

Dans l’opposition, il a œuvré à faire chuter le gouvernement Petkov, sept mois après sa prise de fonction, imposant de nouvelles élections. « Mais il n’avait aucun projet politique alternatif, aucune perspective viable, dénonce Anna Krasteva. Les Bulgares, fatigués qu’on leur demande leur avis tous les trois mois, voulaient un gouvernement. »

Dans cet « élan destructeur » voué à perpétuer l’instabilité, le président Roumen Radev a joué un rôle clé, avec sa critique systématique et virulente contre Continuons le changement. Selon la politologue, il se préparait en sous-main à bâtir une coalition entre le Gerb et deux petits partis qu’il soutient. Mais si le tout nouveau parti conservateur Elan bulgare, créé en mai par son ancien premier ministre et militaire Stefan Yanev, entre au Parlement avec 4,6 % des suffrages, le parti antisystème Il y a un tel peuple, de la star du showbiz Slavi Trifonov, en a lui été évincé, après y avoir fait une percée fracassante l’an dernier.

Impossible majorité

Le Gerb ne désespère pas d’attirer les partis Mouvement pour les droits et les libertés (de la minorité turque) et Bulgarie démocratique, respectivement 13,8 % et 7,5 % des voix. Or si le premier entend participer à l’exécutif et profiter de la distribution des fonds européens, son image est très écornée par sa figure emblématique, l’oligarque et ancien député Delyan Peevski, inscrit sur la liste noire américaine pour son rôle majeur dans la corruption en Bulgarie.

« Gerb voudrait ses voix sans que cela ne soit formalisé dans une coalition ouverte », précise Anna Krasteva. Quant à Bulgarie démocratique, une alliance s’apparenterait à un suicide politique tant son électorat est viscéralement anticorruption. La lutte contre la corruption était la priorité du gouvernement Petkov, résolument proeuropéen et très antirusse et anti-Poutine. Boïko Borissov a, lui, toujours ménagé l’UE et la Russie, dont la Bulgarie est historiquement et culturellement proche.

Entre Moscou et Bruxelles

Une semaine avant le scrutin, le média d’investigation Bird révélait ainsi des documents confidentiels à l’époque où Boïko Borissov, premier ministre, a financé le tronçon bulgare du gazoduc russe Turkish Stream avec de l’argent bulgare, pour un montant équivalent à 1,5 milliard d’euros, pour faire transiter du gaz sans qu’il ne profite à la Bulgarie. « Avec ce financement contraire aux intérêts bulgares, Boïko Borissov a fait allégeance à Moscou, mais pour quel avantage ? », interroge Atanas Tchobanov, rédacteur en chef de Bird.

Quant à ses liens avec Bruxelles, « il a toujours joué un jeu subtil, se déclarant loyal, tout en voulant qu’on ne mette pas le nez sur la gestion interne des fonds européens qui sont le moteur de l’économie, profitent aux entreprises qui sont sa clientèle, mais ces fonds sont aussi le carburant de la corruption », explique encore Anna Krasteva.

Même si aujourd’hui, les enjeux géopolitiques, l’inflation qui avoisine les 20 %, les inquiétudes sur comment passer l’hiver et s’approvisionner en énergie ont pris le pas sur la lutte contre la corruption endémique dans le pays, peu d’observateurs misent sur la capacité de Boïko Borissov et de son parti à tenir les rênes du pays et redoutent, qu’une fois de plus, les Bulgares ne doivent retourner aux urnes dans les mois à venir.