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En Israël, la fronde des élites économiques pour défendre une démocratie en danger

Les manifestations contre la très controversée réforme de la justice portée par le gouvernement israélien reçoivent depuis une quinzaine de jours un soutien inattendu : banquiers, économistes et start-uppers montent eux aussi au créneau pour dénoncer les risques que fait peser un recul de la démocratie sur l’économie.  

En Israël, le secteur financier est en pleine turbulence. Alors que le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, est, jeudi 2 février, en visite officielle en France, analystes des sociétés d’investissement, entrepreneurs et acteurs financiers israéliens montent au créneau et, fait rare, se mêlent de politique. Tous redoutent en effet que les réformes controversées portées par le gouvernement d’extrême droite ne fassent fuir les investisseurs et bouleversent l’économie.  

Dans leur ligne de mire, la réforme de la Haute Cour de justice, présentée le 5 janvier dernier. Largement dénoncée en Israël comme une menace pesant sur l’État de droit, elle entend limiter les pouvoirs de la plus haute instance judiciaire du pays. Divisée en quatre volets, la mesure veut notamment réduire le contrôle qu’exerce actuellement cette Cour sur les lois adoptées par le Parlement et modifier les modes de nomination des juges et des conseillers au sein des ministères.  

>> Projets de loi en Israël : ce que Benjamin Netanyahu cède aux extrêmes

Inquiétude de directeurs de banque 

Depuis un mois, le gouvernement reste sourd aux manifestations massives organisées chaque semaine, dont certaines par les employés du secteur de la tech. Mais celles-ci ont reçu un soutien inattendu : la semaine dernière, le gouverneur de la banque centrale israélienne, Amir Yaron, a, selon les médias israéliens, appelé Benjamin Netanyahu à la prudence, redoutant qu’un recul de la démocratie en Israël ne fasse fuir les investisseurs étrangers.

À sa suite, plusieurs directeurs de banque ont exprimé leurs inquiétudes. "Vous devez immédiatement vous arrêter et n’avancer les changements qu’avec prudence et consensus, a ainsi déclaré le PDG de la Banque Discount, Uri Levin. Peut-être avons-nous tort et avez-vous raison, mais le prix d’une erreur pourrait être fatal pour la démocratie et l’économie." 

Moshe Hazan, un haut-responsable à la Banque d’Israël, a même démissionné avec fracas, affirmant ne pouvoir rester à son poste "alors que la démocratie israélienne est en danger."  

L’argument fait mouche, tant par sa rareté que par ses auteurs : difficile d’accuser l’élite économique israélienne de "gauchisme", comme aime à le faire Benjamin Netanyahu pour discréditer ses opposants.

"C’est le seul argument auquel Netanyahu puisse être sensible" 

"Généralement, les débats en Israël tournent autour du risque d’isolement diplomatique et des tensions avec la diaspora. Là, c’est la première fois qu’on met en avant le lien entre démocratie et retombées économiques. Je pense que c’est le seul argument auquel Netanyahu peut être sensible, analyse ainsi Denis Charbit, professeur de sciences politiques à l’Université Ouverte d’Israël. Il se moque des 100 000 personnes qui manifestent tous les samedis. Mais la prise de position des élites économiques pèse bien davantage."  

Du jamais vu en Israël, une "lettre d’urgence" a ainsi été signée le 25 janvier par plus de trois cents économistes – universitaires et prix Nobel, mais aussi conseillers du ministère des Finances, préposés au budget et gouverneurs de banques centrales. Ces acteurs de premier plan, peu enclins d’ordinaire à prendre position en politique, y alertent sur le risque économique représenté par les réformes judiciaires portées par le gouvernement.  

"Sur les vingt dernières années, observe Denis Charbit, toutes les recherches montrent que le passage d’une démocratie libérale vers un régime illibéral, comme en Turquie, en Hongrie ou en Pologne, par exemple, s’est traduit par une chute des investissements étrangers. C’est ce que redoutent les acteurs de l’économie israélienne, et c’est le principal argument qu’ils mettent en avant." 

Fuite des licornes 

Et ce, d’autant que les investissements étrangers en Israël sont déjà mis à rude épreuve en raison de l’insécurité régnant dans le pays et des campagnes de boycott condamnant l’occupation des Territoires palestiniens. "Y ajouter le risque d’une perte d’indépendance de la justice pourrait être la goutte d’eau, poursuit Denis Charbit. Personne ne sait si cela va effectivement se produire, mais la menace suffit pour affoler."  

Des dirigeants de licornes, ces start-ups cotées en Bourse à plus d’un milliard de dollars, ont ainsi annoncé leur intention de s’exiler et de retirer leurs investissements du pays si la réforme était adoptée. Mardi, Tom Livne, PDG de la licorne israélienne Verbit, a incité les cadres du secteur de la high-tech à suivre son exemple et à quitter Israël pour ne plus y payer d’impôts. Papaya Global, une autre licorne basée à Tel-Aviv, a quant à elle déclaré qu’elle retirait tous ses investissements d’Israël. 

Face au risque d’effet boule de neige, Nir Barkat, le ministre de l’Économie, a entrouvert pour la première fois, mercredi, la porte de la négociation, en affirmant : "Je suis favorable à la discussion, mais ne mêlons pas la politique et l’économie." Pas sûr, néanmoins, que cela suffise à calmer les esprits.