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En Normandie, la télémédecine au secours de la désertification médicale

Comment bien se soigner, bien vivre, bien vieillir ? Rendez-vous à Caen, les 9 et 10 décembre au MoHo avec le LibéCare pour débattre avec médecins, intellectuels et experts. En attendant l’événement, réalisé en partenariat avec la région Normandie, la MGEN et l’ADMD, Libération publiera dans un espace dédié articles, tribunes et témoignages.

Dans son petit bureau de Louvigny (Calvados), Myriam Nouvel-Meller fait face à deux grands écrans et une webcam. Sur ses oreilles, un casque dernier cri. Elle n’est pas gameuse, non, mais infirmière spécialisée (armée d’un DU). Détachée du CHU de Caen, elle tient depuis 2012 des permanences de téléconsultations Domoplaies dans les locaux de Normand’e-Santé (NES), le groupement régional d’appui au développement de la e-santé (Grades). Elle rencontre virtuellement des patients et leur soignant (de l’infirmière au chirurgien vasculaire) de tout la Manche et le Calvados 8 à 10 fois par jour pour leur apporter son expertise en termes de plaies, de cicatrisation et de pansements.

Myriam intervient à distance dans les cabinets d’infirmiers et de médecins, mais aussi en Ehpad ou à domicile, dans le cadre des soins de suite et de réadaptation (SSR) ou de l’hospitalisation à domicile. Une activité qu’elle juge aussi importante (la cicatrisation serait 33 % plus rapide) que gratifiante : «Voir le patient dans son cadre de vie et non à l’hôpital a changé ma pratique : désormais, je peux adapter ma prescription. Par exemple, certains patients à la campagne n’ont pas l’eau chaude, je dois en tenir compte pour l’hygiène. De même, je ne vais pas prescrire des dizaines de boîtes de compresses stériles à quelqu’un dont l’armoire normande en regorge déjà !»

Une multitude d’acteurs privés

Même si la Normandie n’est pas la plus touchée par la désertification médicale, elle présente selon les dernières données de l’ARS une densité en médecins spécialistes de 140 pour 100 000 habitants (la moyenne en France métropolitaine étant de 178). Concernant les généralistes, le ratio est de 137 pour 100 000 contre 149 à l’échelle nationale – avec d’importantes disparités, comme dans l’Eure, avec 96 pour 100 000 habitants. Alors qu’une multitude d’acteurs privés (Doctolib, Qare, Tok Tok Doc, Medadom…) se battent pour gagner les faveurs de patients devenant usagers de télémédecine, la région finance des projets à destination des soignants et des structures d’accueil. Au total, 321 établissements médico-sociaux sont accompagnés par l’ARS de Normandie pour développer la télémédecine, et 76,8 % des Ehpad ont réalisé au moins un acte de téléconsultation en 2022.

Comme Myriam, plus de 400 professionnels de santé locaux ont choisi la plateforme Therap-e, développée par NES. Cette initiative est née après la loi de financement de la sécurité sociale de 2012 et s’est lancée dans le cadre de deux projets innovants nationaux : Domoplaies et Télé-AVC. «Si quelqu’un fait un AVC à Deauville, les urgentistes de l’hôpital local vont pouvoir accéder directement à un neurologue du CHU de Caen grâce à nos outils, ce qui évite un transfert dangereux», résume Jérémie Bronsard, responsable de projet pour NES. Therap-e permet aussi de faciliter le travail des spécialistes sur le territoire, grâce à l’e-staff : «Le CHU de Caen est le centre de référence pour la sclérose en plaques sur le territoire, poursuit Jérôme Bronsard. Les représentants des centres périphériques de Bayeux ou de Cherbourg devaient se déplacer chaque semaine pour présenter les cas. Désormais ils se retrouvent de façon dématérialisée, échangent les imageries en un clic.» D’autres outils, comme la télésurveillance des patients en insuffisance cardiaque ou l’accompagnement des patients post-cancer, ont également été développés.

«La télémédecine constitue un gain de temps pour les professionnels des Ehpad et une meilleure qualité de vie pour leurs patients, pour qui de nombreux déplacements sont coûteux moralement», considère Isabelle Crinière, gériatre dans la région de Caen. La fervente utilisatrice des outils NES reste prudente face à l’envolée des actes de télémédecine (401 738 actes remboursés en 2021 contre 10 777 en 2019, selon les chiffres de l’ARS) : «C’est un bon outil, le stéthoscope connecté de NES fonctionne bien, mais cela n’a rien à voir avec une véritable consultation avec son patient : il faut toucher la peau, palper l’abdomen, il faut parler. Les émotions ressortent plus clairement quand on est physiquement dans la chambre et la caméra peut être très troublante pour les personnes âgées ou sujettes à des troubles cognitifs.»

Egalité dans l’accès au soin

Outre NES, d’autres acteurs de la santé ont lancé leurs propres initiatives, plus détachées de l’hôpital, plus au creux des territoires. Ainsi, cet été, trois points d’accès spécifiques à la téléconsultation ont été mis en place à Cabourg (Calvados), Valognes et Avranches (Manche) pour répondre à l’augmentation de la demande de soins. L’opération a été coordonnée par la région, l’ARS, les unions régionales des médecins libéraux (URML) et des professionnels de santé (URPS), les infirmiers, les Samu du Calvados et de la Manche, et la cellule de soins non programmés (CNSP) de Caen.

Antoine Leveneur est président de l’URML de Normandie et n’est pas peu fier d’être à l’origine, avec son équipe, de la CNSP, installée au quatrième étage du pôle de santé, dans le centre historique de Caen. Cette cellule permet à tous d’accéder par téléphone à une prise en charge rapide par téléconsultation avec des médecins libéraux du territoire (si le patient ne requiert pas d’aide vitale, dévolue au Samu). Le médecin est convaincu que la télémédecine est une bonne solution pour protéger l’égalité dans l’accès au soin. En plus d’être un outil passionnant : «Je me souviens encore avec émotion du premier tympan que j’ai vu en grand écran.»

Depuis des années, Antoine Leveneur s’est attelé à rendre la médecine tout-terrain : en 2020, il a participé à l’implantation des médicobus dans l’Orne et dans le Calvados, permettant de porter la médecine aux patients isolés. En 2018, avec l’URML, il a participé à la mise en place d’une salle de téléconsultation dans la commune rurale de Saint-Georges-de-Rouelley (Manche) : les habitants peuvent y être accueillis plusieurs créneaux par semaine, accompagnés par une dizaine d’infirmiers. Une plus-value pour la commune qui va faire des petits dans toute la région : suite à la signature de la charte partenariale pour l’accès aux soins ambulatoires en Normandie, en 2021, l’équipe de la CNSP a lancé un chantier pour identifier dans la région 50 lieux où l’accès au soin fait le plus défaut afin d’y installer des salles de téléconsultation.