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Enseignants contre la réforme des retraites : "Après la sidération du 49.3, la colère monte"

Lundi, les syndicats enseignants ont lancé un mouvement d’action durant les épreuves de spécialisation du bac pour protester contre la réforme des retraites. Pour les professeurs mobilisés, il ne fait aucun doute que l’utilisation du 49.3 a attisé les braises du mouvement.

Les épreuves écrites de spécialité du baccalauréat ont débuté lundi 20 mars en début d’après-midi, dans un contexte social pour le moins tendu. Aux quatre coins de la France, des professeurs ont organisé des rassemblements devant les lycées pour exprimer leur opposition à la réforme des retraites.

Vendredi, douze syndicats avaient annoncé, dans un communiqué commun, un préavis de grève durant la période des épreuves. Ces organisations, dont Snes-FSU premier dans le secondaire (collèges et lycées) , la CGT Éduc'action ou bien encore Sud-Éducation, y appelaient les enseignants à poursuivre la mobilisation "y compris par la grève de surveillance lorsque cela est possible". 

L’appel a suscité depuis d’intenses débats parmi les professeurs, très majoritairement opposés à la réforme mais soucieux d’accompagner au mieux leurs élèves.

"Mesure symbolique"

Conséquence de la réforme du lycée mise en place en 2019 par Jean-Michel Blanquer, les épreuves de spécialité du baccalauréat se tiennent pour la première année en mars au lieu de juin. En 2021, en raison du Covid-19, le gouvernement avait été contraint de reporter l’entrée en vigueur de cette mesure. Et il était cette fois bien décidé à la maintenir, malgré les appels à la grève.

Dès vendredi, le ministère avait promis "des surveillants supplémentaires" afin de garantir le bon déroulement des examens, et des mesures pour empêcher d’éventuels blocages. En visite lundi au lycée Claude-Bernard, dans le 16e arrondissement de Paris, le ministre de l'Éducation nationale, Pap Ndiaye, a assuré qu'il n'y avait "pas de points d'inquiétude particuliers" dans les 2 600 centres d'examens ouverts.

"Il n’était bien sûr pas question de bloquer des établissements et d’empêcher les élèves de passer leur bac", assure Jean-Paul Clot, enseignant mobilisé contre la réforme. "Pour nous, il s’agit avant tout d’une action symbolique en plein mouvement social, alors qu’avaient lieu à l’Assemblée les votes des motions de censure". Le professeur d’histoire au lycée du Parc Impérial de Nice était censé surveiller les épreuves de géopolitique. À la place, il a participé à un rassemblement interprofessionnel devant un autre établissement scolaire de la ville, et distribué des prospectus contre la réforme.

Jean-Paul Clot explique avoir été surpris par l’utilisation de l’article 49.3 jeudi dernier pour passer la réforme, alors qu’un vote était censé avoir lieu à l’Assemblée nationale. "J’avais bien conscience que le gouvernement tenait obstinément à cette mesure mais je suis étonné qu’ils ne soient pas parvenus à s’assurer une majorité parlementaire", commente-t-il. Pour Sandrine Rousset, militante syndicale, également présente au rassemblement, il ne fait aucun doute que le passage en force de la réforme a galvanisé le mouvement : "Après la sidération, on le sent, maintenant c’est la colère qui monte".

Manifestation intersyndicale devant le lycée Masséna de Nice, avant le début des épreuves du bac, le 21 mars 2023.
Manifestation intersyndicale devant le lycée Masséna de Nice, avant le début des épreuves du bac, le 21 mars 2023. © Sandrine Rousset

Le bac, "un tabou"

Selon l’intersyndicale, près d’une centaine d’établissements étaient touchés lundi par le mouvement de grève, bien que celui-ci ait été suivi de manière très minoritaire par le corps enseignant. Certains professeurs ont rejoint le mouvement spontanément tandis que d’autres se sont rassemblés lundi en assemblées générales pour décider de participer ou non à la surveillance des épreuves. "C’était une décision difficile à prendre mais nous avons finalement décidé de ne pas faire grève", explique Maxime Pouvreau, représentant CGT et enseignant de mathématiques au lycée Joliot-Curie à Nanterre.

"Certes, le bac offre un coup de projecteur médiatique, et donc une opportunité pour nous d’exprimer notre mécontentement. Mais nous connaissons bien nos élèves, nous les accompagnons pour cette épreuve et nous savons à quel point certains sont stressés". Dans cet établissement, seule une petite minorité d’enseignants a décidé de faire grève au lieu de surveiller les examens.

Pour Isabelle Vuillet, secrétaire générale de la CGT Éduc'action, le sujet est hautement sensible : "Le bac est un sujet tabou chez nous, on n’y touche pas !", souligne-t-elle. "C’est comme le personnel hospitalier qui se doit d’être là pour ses patients, faire grève pendant les épreuves est un cas de conscience pour beaucoup d’enseignants". 

Accumulation de griefs

Alors que plusieurs secteurs stratégiques se sont engagés ces dernières semaines dans une grève reconductible – le ramassage et le traitement des déchets, les raffineries –, les enseignants ont jusqu’ici majoritairement concentré leurs efforts sur les grandes journées de mobilisation nationale pour faire entendre leur voix.

"Il est vrai que nous avons parfois du mal à entretenir la mobilisation entre les grands rendez-vous syndicaux", reconnaît Isabelle Vuillet. "Il faut dire que même si la fermeture des petites classes peut poser problème, nos mobilisations n’ont pas le même impact que celles des grands secteurs industriels. Mais il ne faut pas s'y méprendre, la colère du corps enseignant est bien réelle", souligne-t-elle. 

Pour nombre de professeurs, l’opposition au gouvernement ne se limite pas au recul de l’âge de la retraite de 62 à 64 ans. Les précédentes mesures sur l’école, et en particulier la réforme du lycée, ne passe toujours pas. Les syndicats affirment que la tenue des épreuves de spécialité en mars, décidée afin que leurs résultats soient mieux pris en compte pour les admissions dans le supérieur, contraint à accélérer les programmes, au détriment des autres matières, générant un stress important pour les élèves et les professeurs.

Le ministre Pap Ndiaye a affirmé lundi que le bilan de cette première session serait fait "le moment venu", affirmant des "ajustements dans les programmes" pourraient être envisagés.

"Le gouvernement n’aura pas le choix : il finira bien par constater que cette course permanente pour boucler les programmes ne fonctionne pas", estime pour sa part Maxime Pouvreau. "Il en va de même pour les retraites, l’État ne peut pas ignorer indéfiniment l’opposition massive face à sa réforme. Il peut et doit reculer", insiste-t-il. Comme la plupart de ses collègues militants de la CGT, l’enseignant se dit déterminé à poursuivre le combat. Il défilera jeudi dans Paris lors de la neuvième journée de mobilisation nationale contre la réforme des retraites.

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