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Entre Russie et Chine, le jeu d’équilibriste mongol

ENTRETIEN. La Mongolie enclavée entre Chine et Russie tente de vivre son indépendance, malgré les pressions. Explications d’Antoine Maire, chercheur à la FRS.

Propos recueillis par Théo Sauvignet
Des centaines de personnes ont manifeste devant le palais du gouvernement a Oulan-Bator, en Mongolie, apres la revelation d'un scandale de corruption lie a l'industrie miniere. Les exportations mongoles sont presque toutes dirigees vers la Chine, ce qui pose des problemes au vaste pays pourtant enclave.
Des centaines de personnes ont manifesté devant le palais du gouvernement à Oulan-Bator, en Mongolie, après la révélation d'un scandale de corruption lié à l'industrie minière. Les exportations mongoles sont presque toutes dirigées vers la Chine, ce qui pose des problèmes au vaste pays pourtant enclavé.  © BYAMBASUREN BYAMBA-OCHIR / AFP

Temps de lecture : 5 min

Des centaines de manifestants contre la corruption ont envahi lundi 5 décembre le palais du gouvernement mongol à Oulan-Bator, la capitale. La grogne est partie de la révélation d'un énième scandale de détournement des recettes de l'export du charbon vers la Chine voisine par les élites du pays et des investisseurs chinois.

Pour cause : 89 % de ce qu'exportent les Mongols ont pour destination la Chine, qui en profite pour faire pression sur le pays et menacer son indépendance. Considérant l'unique autre voisin de la Mongolie, l'agressive Russie au nord, la Mongolie doit jouer un jeu d'équilibriste pour conserver son indépendance. « C'est une équation délicate à résoudre », note Antoine Maire, chercheur et spécialiste de la question à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), qui décrypte la situation pour Le Point.


Le Point : Comment la Mongolie gère-t-elle l'influence chinoise dans le pays ?

Antoine Maire : Cette dépendance économique à la Chine rend la Mongolie très sensible aux problèmes économiques chinois, avec des conséquences importantes. Le pays a par exemple subi de plein fouet la crise du Covid-19 avec le fort ralentissement de l'économie de son voisin. Il y a une forme de vulnérabilité, qu'il faut ajouter à la capacité des autorités chinoises à l'utiliser comme une pression politique : après la visite du Dalaï-Lama en Mongolie, le Premier ministre a dû se rendre à Pékin pour présenter des excuses publiques à la Chine à la suite d'une diminution des échanges commerciaux.

À LIRE AUSSILe grand bond en arrière de l'économie chinoise au nom du zéro Covid Il y a eu, par ailleurs, un long processus politique pour arriver à contrôler les investissements étrangers dans des secteurs stratégiques qui soient assez contraignants pour limiter les entrées chinoises (sans être clairement dirigé contre Pékin) sans pour autant dissuader les investisseurs occidentaux. Les Mongols ont donc fait le choix délicat de se focaliser sur le contrôle des investissements étrangers qui émanent de sociétés étatiques.

Quels sont les enjeux de la politique étrangère d'Oulan-Bator ?

La Mongolie est confrontée à une situation géographique compliquée : elle est enclavée entre deux voisins durs à gérer que sont la Chine et la Russie. La préservation de son indépendance et de son intégrité est donc une équation délicate à résoudre. Elle fait finalement cas d'étude sur « comment un petit pays peut-il préserver son indépendance » ? Ils pourraient faire le choix d'un alignement, ce qu'ils ont fait au XXe siècle en suivant la Russie pour se préserver des velléités chinoises, mais à partir de 1990, la Mongolie a fait le choix de l'indépendance.

Sa politique étrangère repose donc sur trois piliers : le premier, fondamental, étant le maintien de bonnes relations avec la Chine et la Russie. Si elle n'y parvient pas, elle subira de fortes pressions de part et d'autre et rien ne sera possible. Il y a donc dans ce pilier des éléments de réassurance comme l'interdiction de stationnement d'armes nucléaires ou du transit de troupes étrangères sur le territoire Mongol. En parallèle, elle négocie des partenariats stratégiques globaux avec chacun des voisins : en général, lorsqu'un texte est signé avec la Chine, la même chose suit avec les Russes pour tenir l'équilibre.

La Mongolie a-t-elle des contacts avec d'autres pays ?

Le deuxième pilier de la politique étrangère mongole tient à la diversification des relations extérieures pour tenter de sortir de cette enclave entre Russie et Chine. Elle cherche d'autres partenaires pour se créer une marge de manœuvre dans leur situation contrainte. Les Mongols appellent ça la politique du « troisième voisin » qui consiste à aller chercher des pays développés et démocratiques qui seraient susceptibles de défendre l'indépendance mongole. Cela se traduit par des relations approfondies avec le Japon surtout, mais les États-Unis, l'Inde et l'Union européenne sont aussi considérés comme des « troisièmes voisins ».

Le dernier pilier tient à l'intégration de la Mongolie dans la communauté internationale. Elle participe donc activement aux opérations de maintien de la paix, et tente par exemple de se poser en médiateur dans le conflit opposant les deux Corées. Leur but est d'être reconnue comme un acteur pertinent sur la scène internationale, et donc légitime pour être défendue en cas d'ingérence grave.

Comment Chine et Russie réagissent-elles à cette volonté d'émancipation ?

Ça a un effet pervers : la Mongolie est en fait considérée avec méfiance par ses voisins directs. Il y a eu pendant longtemps la crainte que la Mongolie se transforme en nouvelle Ukraine, en espace tampon entre la Russie et la Chine. Alors qu'Oulan-Bator aimerait se poser comme un espace d'échanges entre la Russie et la Chine, elle n'est pas vraiment intégrée dans la politique régionale : elle n'est pas membre de l'Organisation de coopération de Shanghai, elle ne fait pas partie du grand projet de nouvelles routes de la Soie (pour relier commercialement la Chine à l'Europe par la terre, NDLR).

À LIRE AUSSILes nouvelles routes de la SoieÀ quoi ressemble la politique intérieure mongole ?

La Mongolie passe du socialisme à la démocratie et l'économie de marché lors d'une révolution à l'hiver 1989, avec la chute de l'URSS. Elle conquiert par là une réelle indépendance, qui n'est pas seulement sur le papier. La particularité de la Mongolie, c'est d'avoir opté pour une démocratie libérale, ce qui fait sa spécificité en Asie centrale. Par ailleurs, il y a eu un approfondissement de la démocratie ces dernières années avec un régime semi-présidentiel qui tend vers un régime parlementaire, ce qui est une exception dans la plupart des régimes post-soviétiques qui vont plutôt vers un exécutif fort. Cela participe aussi de leur volonté d'indépendance et de limiter les ingérences, puisqu'il est plus dur d'influencer un Parlement qu'un président.

Il y a en revanche encore des défis importants en matière d'efficacité de l'État, de capacité à mettre en œuvre des politiques publiques sur le temps long et de lutte contre la corruption, comme le récent scandale en témoigne.