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Et si Twitch n’était finalement qu’une pâle copie de la « télé de Papa » ?

Squeezie a-t-il vraiment provoqué Laink et Terracid de Wankil Studio en leur chipant leur créneau du mercredi soir ? Bienvenue dans le (encore) petit monde de Twitch, son univers (presque) impitoyable et ses streameurs en quête de visibilité. « Exactement comme à la télévision, c’est la loi du plus populaire qui gagne, s’exclame Virginie Spies, analyste et sémiologue des médias. La guerre des access entre Hanouna et Quotidien, c’est la même chose : c’est le plus fort qui gagne ». Twitch n’est-il alors que la version années 2020 de la « télé de Papa » ? OK, ce sont deux médias de l’image. Et après ? Quelles sont leurs similitudes ? Va-t-on assister à l’arrivée d’une programmation bien huilée sur Twitch et d’un Télé-Loisirs de la plateforme ?

Alors les Wankilos, c'était comment votre été ? 😎
Bah on vient de se faire chourer notre créneau 😁👍

Prêts pour la reprise ? 🔥 https://t.co/qDduLrLq0g

— Wankil Studio 🍌 (@WankilStudio) August 29, 2022

Mais d’abord, petit retour en arrière. A la fin de l’été, alors que les émissions bien installées sur Twitch annoncent leur rentrée, un tremblement de terre survient dans le monde des streamers et de leurs communautés : le créneau du mercredi soir à partir de 20h est soudain squatté simultanément par deux poids lourds de la plateforme, Wankil Studio et Squeezie. Ce dernier, star de YouTube, n’a pas fait l’unanimité en basculant du jeudi au mercredi pour son stream. Il a même déclenché une avalanche de tweets d’internautes mécontents. Pas de quoi déstabiliser Squeezie, qui n’a pas répondu à notre demande d’entretien et a gardé le cap en imposant son stream le mercredi soir.

Le sacro-saint direct

Pour le créateur de contenu et sa très grande communauté, constituée majoritairement d’ados et de jeunes adultes, l’arrivée sur Twitch s’est faite dès les débuts de la plateforme, en 2017. Squeezie a vu l’intérêt de la plateforme en complément de YouTube, le réseau social qui l’a fait connaître, et sur lequel il comptabilise plus de 17 millions d’abonnés. Pas étonnant pour Virginie Spies, qui relève la complémentarité des deux : « YouTube et Twitch sont tous deux des médias audiovisuels, mais la différence essentielle, c’est l’ADN de Twitch, qui est le même que celui de la télévision, à savoir le direct ».

Car durant un stream, c’est bien en direct que le créateur échange avec sa communauté. « Quand la télévision arrive pendant la Seconde Guerre mondiale, mais surtout après-guerre, sa principale différence avec le cinéma, qui existait depuis déjà cinquante ans, c’est le direct », rappelle la chercheuse.

Et ce direct « porte plusieurs concepts : tout peut arriver, il ne peut y avoir de cut ou de montage. C’est du vivre ensemble, le vivre au même moment que le diffuseur, mais aussi que les autres spectateurs. C’est donc le partage avec une communauté. », analyse Virginie Spies, qui en a fait un épisode sur sa chaîne YouTube Des médias presque parfaits, dans un épisode de 2017 intitulé Les pouvoirs du direct.

« Ce qui cartonne sur Twitch dans les talk, ça ressemble de plus en plus à de la télé »

Pour partager et éprouver la puissance du direct, le streamer a besoin, comme le diffuseur TV, d’imposer un horaire de date. « Oui, c’est vrai, Twitch donne l’impression de réinventer la télévision de rendez-vous », s’enthousiasme la sémiologue, qui souligne que d’un média pour les gamers, « Twitch prend du galon en devenant une plateforme de divertissement ». Comme la télévision donc.

Samuel Etienne, journaliste pour France Télévisions et désormais poids lourd sur Twitch - notamment avec sa revue de presse quotidienne –, partage la vision d’une essence commune entre la plateforme de streaming et la TV. « Ce qui cartonne sur Twitch dans les talk, ça ressemble de plus en plus à de la télé, affirmait-il dans l’émission du vendredi L’Hebdo est tienne le 9 septembre. Quand on prend l’émission phare Popcorn, c’est un plateau, des gens en studio, des chroniqueurs, une régie ». « C’est de la télévision et ce n’est pas un gros mot, abondait dans le stream Thierry Moreau, journaliste et streamer. Les jeunes regardent moins la télévision mais ils regardent du contenu audiovisuel. Il est seulement sous une autre forme dans sa temporalité, sa durée, sa créativité, ses interactions ».

Emprunter les codes en les adaptant

Virginie Spies parle, elle, « d’un glissement de plateforme et de génération. On voit souvent des parents qui ont des craintes vis-à-vis de Twitch et de leur progéniture. Mais ce n’est qu’une plateforme adaptée à cette nouvelle génération. Là où les parents regardaient Dechavanne à 19h, les plus jeunes se branchent sur Twitch pour suivre les streamers les plus en vue ». Pour Samuel Etienne, l’heure est au « concept hybride. Toutes les inventions sur les nouveaux écrans, les expérimentations menées sur les nouvelles plateformes, comme Twitch, sont l’avenir ».

Si utiliser des codes de la TV pour les streamers, voire reprendre des programmes et les adapter à la plateforme est a priori chose courante, le contraire n’est pas vrai : la TV a vraiment du mal à s’adapter à Twitch. « Une chaîne comme TF1 ne peut faire du TF1 sur Twitch ou sur TikTok, explique Virginie Spies. Elle doit adapter son contenu, voire en créer un spécifique ». Histoire d’éviter l’échec retentissant de l’interview de Gabriel Attal par EnjoyPhenix dans l’émission #SansFiltre, sur la chaîne du ministre des Comptes Publics en 2021 ? « Un transfert sur Twitch de la “télé de Papa”, une émission en plateau où des politiques sont interrogés par des influenceurs, ça ne marche pas », assure l’analyste des médias. Emprunter les codes de la télé, voire piocher dans les jeux TV existants, c’est un grand oui, mais le maître-mot, c’est l’adaptation.

Le modèle économique, le nerf de la guerre

Comme pour Youtube il y a une quinzaine d’années, Twitch est un réseau qui rassemble les plus jeunes, cible favorite des annonceurs, pourtant très difficiles à capter. « Aujourd’hui, certains Youtubeurs ont 40 ou 50 ans, mais ils sont là où se passent les débats et les enjeux, c’est-à-dire sur Twitch », rappelle Virginie Spies. Or ces jeunes publics consomment des plateformes où le règne de la publicité et des subventions est aboli. « Sur Twitch comme sur les autres plateformes, les modèles économiques sont très mouvants. Comme sur Youtube, il est pluriel : il y a les abonnées, la pub, le crowdfounding, les partenariats, le sponsoring, l’écriture de livres, la production de films, etc. », explique-t-elle encore.

Diminution de 20% de mon CA annuel de Twitch à partir de mi 2023 sans qu’on puisse discuter ni faire quoi que ce soit. Et non, changer de plateforme n’est pas viable et en monter une encore moins. C’était la bonne année pour “transformer” les gros projets hein 👍🏼🫣 https://t.co/WelTPLujoz

— ZeratoR (@ZeratoR) September 21, 2022

Si la dernière annonce de Twitch sur la façon dont elle va faire évoluer la rémunération des créateurs de contenus n’est pas du goût de tous, elle permet encore aux petites chaînes de proposer des contenus inédits. « C’est vraiment une force de Twitch ce vent de liberté, ça fait penser au début des radios libres », compare la chercheuse. Alors radio ou télé, finalement, Twitch ?