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Etats-Unis : malgré les réformes, la violence policière au plus haut depuis la mort de George Floyd

La vidéo a choqué des millions d’Américains. On y voit Tyre Nichols, jeune Afro-Américain de 29 ans, être passé à tabac par cinq policiers de Memphis. Trois jours plus tard, le 10 janvier, il succombe à ses blessures à l’hôpital. Les images de son lynchage ont été publiées vendredi soir, au lendemain de l’inculpation pour meurtre des cinq policiers, eux aussi Afro-Américains. Ce drame n’est pas sans rappeler la mort de George Floyd, décédé le 25 mai 2020 lors de son interpellation à Minneapolis. La vidéo de l’agonie de l’homme de 46 ans, étouffé pendant neuf minutes sous le genou d’un policier, avait entraîné une vague de manifestations dans tout le pays, uni sous le slogan «Black Lives Matter». La contestation avait nourri l’espoir d’une réforme de la police, au niveau fédéral comme au niveau local.

Au niveau fédéral, l’échec au Sénat

Quand les manifestations éclatent après la mort de George Floyd, les républicains contrôlent le Sénat, les démocrates la Chambre des représentants, et Donald Trump est au pouvoir. Mais plus pour longtemps : en novembre 2020, Joe Biden est élu. Parmi ses promesses de campagne, une mesure plus qu’attendue par les millions d’Américains descendus dans la rue : une profonde réforme de la police, via une loi fédérale. Le «George Floyd Justice in Policing Act», soit la «loi George Floyd sur la justice dans la police», est voté par la Chambre basse à majorité démocrate dès mars 2021. Le texte prévoit notamment d’interdire les prises d’étranglement, de limiter les transferts d’équipements militaires aux forces de l’ordre, très répandus depuis le 11 Septembre, ou de créer un registre national des policiers accusés de brutalité et visés par des mesures disciplinaires. Surtout, le texte s’attaque à la très controversée «immunité qualifiée», qui préserve la police de procès en responsabilité lors de violences, sauf en cas de «violation patente des droits de la victime».

C’est précisément ce point qui bloque le texte de loi. Après le vote à la Chambre, la loi George Floyd est débattue au Sénat, où les élus démocrates doivent convaincre une dizaine de républicains pour en assurer l’adoption. Après des mois de discussions, les négociations échouent en septembre 2021. Joe Biden signe finalement un décret en mai 2022 pour encadrer davantage les forces de l’ordre fédérales, mais qui ne va pas aussi loin que la loi George Floyd.

Localement, quelques avancées

Faute d’avancées fédérales, le débat s’est poursuivi localement. Une nécessité tant les forces de l’ordre américaines sont profondément décentralisées. Il existe aux Etats-Unis près de 18 000 entités policières (polices municipales, shérifs des comtés, patrouilles des Etats, polices fédérales…), qui répondent chacune à des règles propres en matière de recrutement, formation ou pratiques autorisées. D’après une analyse du Howard Center for Investigative Journalism de l’Université du Maryland, près de 300 réformes locales de la police ont été approuvées depuis la mort de George Floyd. Parmi elles : surveillance renforcée de la police par la mise en place de commissions citoyennes, formations des agents aux préjugés, limitation plus strictes pour l’usage de la force ou encore des alternatives à l’arrestation pour les personnes atteintes de maladies mentales.

En parallèle, de nombreux Etats américains ont tenté de s’en prendre à l’immunité qualifiée des policiers. Sans grand succès : les projets d’au moins 35 Etats ont été retoqués dans les dix-huit mois qui ont suivi le meurtre de George Floyd, rappelle le Washington Post. Seuls le Colorado et le Nouveau Mexique sont parvenus à interdire complètement cette défense juridique des policiers. La ville de New York a emboîté le pas et mis fin à l’immunité qualifiée de sa police municipale. Dans le Connecticut, une loi limite le recours à l’immunité qualifiée, sans l’interdire totalement. Le point commun de ces trois Etats et de la ville ? Tous sont dirigés par des démocrates.

L’exemple de Memphis

La ville de Memphis, où est mort Tyre Nichols, faisait pourtant figure de bon élève en matière d’efforts pour améliorer les pratiques policières. Après la mort de George Floyd, le maire de la ville, Jim Strickland, avait mis sur pied un comité consultatif qui a publié un rapport intitulé «Reimagining Policing» («réinventer la police»). Certaines recommandations du comité ont été adoptées, dont l’interdiction des prises d’étranglement et des mandats exécutés sans frapper («no-knock warrants»), la mise en place de règles de déséscalade et le durcissement des conditions pour ouvrir le feu.

Mais le regain de criminalité consécutif à l’épidémie de Covid-19 n’a pas épargné Memphis, qui a enregistré un record de 346 homicides en 2021. Suffisant pour reléguer au second plan les ambitions de réforme et relâcher la pression sur les policiers. La création, en novembre 2021, de l’unité spéciale «Scorpion», chargée de réduire la violence armée et patrouiller dans les quartiers sensibles, en est le parfait exemple. La responsable de la police de Memphis, Cerelyn Davis, s’était félicitée du succès supposé de l’unité, avec une baisse de la criminalité en 2022. Mais avec quelles méthodes ? Les cinq policiers responsables du passage à tabac fatal de Tyre Nichols faisaient partie de l’unité Scorpion, qui a été démantelée dimanche.

La violence armée bat des records

En deux ans, malgré l’onde de choc et les efforts locaux, les brutalités policières n’ont pas reculé. Au contraire : en 2022, le nombre de personnes tuées lors d’interactions avec la police a battu un record, avec 1 176 décès. Parmi les victimes, 26% étaient des Afro-Américains, alors qu’ils ne représentent que 13% de la population globale des Etats-Unis. Depuis 2013, selon le site Mapping Police Violence, plus d’un millier de personnes meurent chaque année sous les balles de la police.

Les Etats-Unis font face ces dernières années à une recrudescence de la violence armée. Selon le site de l’ONG Gun Violence Archive, plus de 44 000 personnes sont mortes par armes à feu l’an dernier, dont environ 24 000 suicides et 20 200 homicides. Un bilan certes en baisse par rapport à 2021, qui avait battu des records absolus avec plus de 45 000 décès par armes à feu, mais nettement plus élevé que les années précédentes.

Ce regain de violence se traduit aussi par l’augmentation du taux d’homicide national, passé de 5,8 pour 100 000 habitants en 2019 à 7,5 en 2020 et 7,8 en 2021, selon les chiffres officiels des centres pour le contrôle et la prévention des maladies. Une recrudescence que les autorités sanitaires américaines, dans un rapport de l’an dernier, expliquaient par différents facteurs dont la pandémie, la pauvreté, les inégalités sociales, le «racisme structurel» et les «tensions dans les relations entre la police et le public».