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Fabrice Hyber à la Fondation Cartier: l’école de tous les possibles

Décortiquer les savoirs

Si vous manquez parfois d’enthousiasme à l’idée d’aller voir une exposition d’art contemporain, par peur de vous ennuyer ou peut-être de n’y rien comprendre, cette exposition à la Fondation Cartier pourrait changer votre regard.

Transformer le musée en école, y installer des salles de classe dont les tableaux noirs de notre enfance sont remplacés par des œuvres d’art: c’est l’approche peu commune choisie pour La Vallée (du 8 décembre 2022 au 30 avril 2023). Mais elle semblait parfaitement naturelle à Fabrice Hyber: «j’ai toujours considéré que mes peintures étaient comme des tableaux de classe, ceux sur lesquels nous avons appris à décortiquer nos savoirs par l’intermédiaire d’enseignants ou de chercheurs

Fabrice Hyber, Les Hyberhéros, 2022- Fusain, peinture à l’huile sur toile, punaises sur toile, 200 x 700 cm © Fabrice Hyber / Adagp, Paris, 2022.

L’artiste, élu à l’académie des Beaux-arts en 2018, dit «apprendre en faisant» et «vouloir transmettre» à son tour. Si le père du célèbre Homme de Bessines est connu pour s’exprimer à travers de nombreux biais artistiques, ce sont ses toiles qui sont à l’honneur à la Fondation Cartier.

Il y en a ici une soixantaine, dont une quinzaine d’œuvres réalisées spécialement pour l’occasion. Les visiteurs sont invités à les découvrir au fil de «salles de classe» équipées de rangées de chaises alignées face au tableau. Le chemin de pensée et de création de Fabrice Hyber, avec ses ramifications et bifurcations, déroule un fil conducteur invitant à «toutes les hypothèses».

Fabrice Hyber, La Serrie, paysage biographique de mes parents, 2022 Fusain, peinture à l’huile, pastel sur toile, 240 x 700 cm © Fabrice Hyber / Adagp, Paris, 2022.

Artiste-capteur

Avec ses inénarrables «P.O.F.» («Prototypes d’Objets en Fonctionnement», comme le fameux Pantachaise), Fabrice Hyber proposait déjà de modifier la carte du réel, en réinventant le mode d’emploi d’objets variés. Lui-même a pour habitude de «formuler des hypothèses, associer des idées, inventer des formes, jouer avec les mots», un processus directement exprimé sur de grandes toiles. «Quand j’ai beaucoup d’informations, j’essaie d’en faire un paysage.»

Un paysage omniprésent. Et plus particulièrement celui d’une forêt, dans le bocage vendéen, qui lui est chère. A partir de 1990, Hyber a entrepris de semer, selon sa propre technique, environ 300 000 graines d’arbres sur les terres où ses parents élevaient jadis des moutons.

«Avec La Vallée, je voulais d’abord reconstituer un paysage arboré autour de la ferme de mes parents pour créer une barrière naturelle avec l’agriculture industrielle environnante et ceux qui la développaient». Depuis, La Vallée est devenue la matrice de son œuvre, tout naturellement. L’analogie lui semble évidente: «l’artiste est un capteur, comme une plante: il se nourrit de son environnement».

Fabrice Hyber, Paysage biographique de la Vallée, 2022 - Fusain, peinture à l’huile, pastel sur toile, 220 × 700 cm © Fabrice Hyber / Adagp, Paris, 2022.

Le cadre de la Fondation Cartier, où l’extérieur est intimement lié à l’intérieur, se prête idéalement à l’expérience. Le bâtiment de verre et d’acier, imaginé par l’architecte Jean Nouvel, est indissociable de son jardin, une «œuvre en devenir permanent», petit conservatoire de bio-diversité planté d’œuvres et chargé d’une foisonnante histoire (Chateaubriand, un temps propriétaire, l’a notamment évoqué à plusieurs reprises dans ses Mémoires d’Outre-tombe).

Semer le possible et l’impossible

Les œuvres de Fabrice Hyber sont une invitation à sortir du cadre, inscrite dans l’origine de sa vocation. Alors jeune étudiant en mathématiques, il se remémore un choc fondateur éprouvé devant des œuvres du mouvement Supports/Surfaces. Lequel, né comme Fabrice Hyber, dans les années 1960, a profondément changé le paysage de la production artistique française en questionnant l’approche picturale traditionnelle.

Tout en poursuivant ses études, Hyber s’est décidé à présenter le concours d’entrée de l’école des Beaux-arts de Nantes. Artiste, certes, mais aussi curieux d’histoire, féru de sciences, de sociologie… A la Fondation Cartier, sa «possible école» fait germer dans l’esprit des visiteurs l’idée «d’autres mondes, de projets possibles ou impossibles».

Tous les domaines de la vie sont répertoriés dans La Vallée. Les sciences s’associent à l’art, on «étudie» au fil des tableaux les mesures du monde, les formes des fruits, l’hybridation des corps, l’amour, l’histoire, la météo, le sport, le jeu, les neurosciences, la digestion, le commerce ou encore, bien sûr, les mutations du vivant.

Fabrice Hyber, Homme de terre, 2022 - Fusain, peinture à l’huile, pastel sur toile, 150 × 250 cm © Fabrice Hyber / Adagp, Paris, 2022.

Un lieu où l’on apprend

Pour Fabrice Hyber, une exposition est un lieu où on apprend. Treize classes d’écoles primaires et de lycées horticoles de Vendée et de région parisienne travailleront tout au long de l’année sur les thématiques soulevées par l’œuvre de l’artiste. Elles seront accueillies dans son atelier en Vendée et à la Fondation Cartier de façon régulière. L’expérience donnera lieu à un documentaire.

Un programme de cours du soir, Les Voix de la Vallée, aura lieu dans l’exposition tous les jeudis de 19h à 20h. Ils seront enregistrés et diffusés en direct sur le site de la Fondation Cartier et la radio *DUUU, et disponibles ensuite sur toutes les plateformes d’écoute sous forme de podcasts. Ils seront dispensés en duo et mettront face-à-face un chef et un jardinier, une athlète et un philosophe, une climatologue et une écrivaine, un chorégraphe et une sexologue, ou encore un paysagiste et une historienne de l’art, qui questionneront les hypothèses formulées par l’artiste dans ses peintures.

Vue de l'exposition Fabrice Hyber, La Vallée, présentée à la Fondation Cartier pour l'art contemporain - Crédit: Michel Slomka/MYOP-Lumento

Autant de portes ouvertes sur un infini champ des possibles: «je sème les arbres comme je sème les signes et les images. Elles sont là, je sème des graines de pensée qui sont visibles, elles font leur chemin et elles poussent. Je n’en suis plus maître.»

Au visiteur de perpétuer cette dynamique et de cultiver ses propres hypothèses.

Illustration en tête: Fabrice Hyber en studio, Vendée 2022 - Photo: © Lumento/ Charles-Henri Paisan