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Face à la guerre menée par Poutine en Ukraine, la Chine peine à se positionner

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Il semble bien que du côté chinois, «l'amitié sans limites» déclarée en février à la Russie de Vladimir Poutine connaisse actuellement de sérieuses restrictions. Au nom d'un rapprochement avec Moscou qui, depuis quelques années, faisait contrepoids aux États-Unis, Pékin s'est abstenu de condamner publiquement l'intervention militaire russe en Ukraine. Comme la Russie, le régime a multiplié les critiques à l'égard des pays occidentaux coupables de soutenir l'Ukraine. Mais, à l'évidence, les dirigeants chinois ne sont plus d'accord avec la poursuite de l'offensive russe. Et il est probable que Xi Jinping l'ait fait savoir à Vladimir Poutine au cours du sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) qui se tenait les 15 et 16 septembre à Samarcande, capitale de l'Ouzbékistan.

Lors de cette réunion où se retrouvaient plusieurs dirigeants asiatiques, le Premier ministre indien Narendra Modi ne s'est pas privé de faire savoir qu'il désapprouvait l'offensive russe en Ukraine. D'abord, il n'est pas venu au dîner des chefs d'État qui précédait ce sommet. Et le lendemain, au cours des quelques minutes où son entretien en tête-à-tête avec Vladimir Poutine était filmé, il a affirmé que «l'heure n'est pas à la guerre» avant de souligner l'importance «de la démocratie, de la diplomatie et du dialogue». Toujours devant les caméras, Vladimir Poutine n'a pu que répondre à Narendra Modi qu'il «comprenait les inquiétudes de l'Inde» et qu'il souhaitait terminer «le plus vite possible ce conflit en Ukraine».

Xi Jinping a été nettement plus discret que son homologue indien. Certes, lui non plus ne s'est pas rendu au dîner des chefs d'États et il n'a publiquement émis aucune critique sur l'offensive russe en Ukraine. S'il en a sans doute parlé en tête-à-tête avec Vladimir Poutine, aucune expression de soutien ou de solidarité de la Chine à la Russie n'a été prononcée à Samarcande. Lors de la conférence de presse donnée au cours du sommet, le 15 septembre, Xi Jinping a soigneusement évité de prononcer le nom de l'Ukraine. Il s'est contenté d'indiquer en termes vagues que la Chine était prête à travailler avec la Russie pour «un soutien mutuel de leurs intérêts fondamentaux».

Vladimir Poutine qui, au cours de cette conférence de presse était installé aux côtés de Xi Jinping, a évoqué l'Ukraine en disant –comme il l'avait déjà fait avec le Premier ministre indien– qu'il «comprenait les questions et les préoccupations de la Chine» et en indiquant, sans préciser ni où ni comment: «Nous expliquerons en détail notre position.» Il a cependant tenu à déclarer, sans qu'il soit possible de savoir si c'était de l'ironie: «Nous apprécions beaucoup la position équilibrée de nos amis chinois en ce qui concerne la crise ukrainienne.» Il a poursuivi en proclamant en direction de l'Occident que «les tentatives de créer un monde unipolaire ont récemment pris une forme absolument laide et sont totalement inacceptables».

L'argument économique

À l'évidence, le président chinois ne veut surtout pas être entraîné dans une alliance qui conduirait la Chine à participer à l'effort de guerre mené par Moscou. Pékin ne peut se permettre de se mettre à dos les États-Unis et l'ensemble des pays occidentaux dont les économies continuent d'être largement alimentées en produits chinois. Ce sont des raisons pour lesquelles, vu de Pékin, «l'amitié sans limites» avec la Russie ne peut être totale. D'autant que la Chine est mal à l'aise avec le principe même de l'offensive russe en Ukraine qui, de surcroît, est actuellement loin de marquer des points sur le terrain.

Certes, ces derniers mois, les chiffres du commerce entre la Russie et la Chine ont augmenté. Entre juillet et août, tandis que l'économie russe était atteinte par les sanctions internationales, la Chine a importé de Russie l'équivalent d'environ 72 milliards de dollars. Ce chiffre, qui concerne principalement des hydrocarbures, est en hausse de 50% par rapport à la même période en 2021. Et il comprend du gaz russe dont une partie, une fois importée, est revendue par la Chine à l'Europe à un prix élevé.

Quant aux exportations chinoises vers la Russie –notamment d'acier, de semi-conducteurs ou d'équipements agricoles–, elles se sont accrues de seulement 9% par rapport à 2021, pour un total de 44 milliards de dollars. Ce qui est loin du montant des ventes de produits chinois au reste du monde.

Mais en tout cas, la Chine évite de vendre du matériel militaire à l'armée russe. Ce point est bien entendu surveillé de très près par les satellites américains et Michael McFaul, un ancien ambassadeur des États-Unis à Moscou, répétait récemment que la Russie ne recevait de Chine «ni armes, ni munitions, ni puces informatiques».

Un rôle à jouer sur la scène internationale

Dans ce contexte, les dirigeants chinois cherchent actuellement à renouveler leur position par rapport au conflit en Ukraine. Jusque-là, la Chine faisait en sorte d'afficher sa neutralité et était soupçonnée en Occident de masquer de bonnes relations avec la Russie.

Le 21 septembre, elle a annoncé qu'elle proposait un processus de paix. Alors qu'à Moscou, Vladimir Poutine décrétait une mobilisation militaire partielle, Pékin a appelé à ce que soit prononcé en Ukraine un «cessez-le-feu à travers le dialogue et la consultation».Wang Wenbin, l'un des porte-paroles du ministère chinois des Affaires étrangères, a détaillé cet appel en déclarant que «la souveraineté et l'intégrité territoriale de tous les pays doivent être respectées [...] et que tous les efforts propices à une résolution pacifique des crises doivent être soutenus, en insistant sur la nécessité de les respecter».

La Chine sort ainsi de la position de neutralité qu'elle a adoptée depuis le début de l'intervention russe en Ukraine. Elle entre dans une tentative de pacification. Ce qui ne peut être négatif sur la scène internationale.

«Nous appelons toutes les parties concernées à empêcher la crise de déborder [...] La priorité est de faciliter des négociations de paix.»
Wang Yi, ministre chinois des Affaires étrangères

À Samarcande, Xi Jinping a-t-il annoncé cette initiative diplomatique chinoise à Vladimir Poutine? Probablement, mais rien n'a été révélé de leur conversation. On peut juste supposer que, s'ils en ont parlé, le numéro un russe n'a pas apprécié le projet de son homologue chinois.

Question parallèle: la Chine estime-t-elle possible d'entraîner la Russie dans une négociation de paix avec l'Ukraine? Là non plus, rien ne permet de l'affirmer. Mais ce qui compte sans doute le plus pour la Chine, c'est d'apparaître comme un pays qui tente de mettre fin aux hostilités. Et de la sorte, de pouvoir jouer un rôle le jour où un processus de paix pourrait démarrer.

Le 24 septembre, à la tribune de l'Assemblée générale de l'ONU, Wang Yi, le ministre chinois des Affaires étrangères, a insisté sur la nouvelle ligne chinoise en déclarant: «Nous appelons toutes les parties concernées à empêcher la crise de déborder.» «La priorité est de faciliter des négociations de paix», a-t-il poursuivi, en insistant pour qu'aient lieu des «discussions justes et pragmatiques» qui pourront permettre une «résolution pacifique de la crise ukrainienne».

Avant ces propos, le 23 septembre, Wang Yi a eu un entretien avec son homologue ukrainien, Dmytro Kouleba. Il a tenu à lui dire, à propos de la guerre en Ukraine: «Le président Xi Jinping a souligné que la souveraineté et l'intégrité territoriale de tous les pays devaient être respectées.» Puis, il a ajouté que «la Chine s'est toujours engagée à promouvoir des pourparlers de paix, sans jamais rester les bras croisés, jeter de l'huile sur le feu ou profiter de la situation pour en tirer un bénéfice personnel».

Cette phrase, qui pourrait viser la diplomatie américaine, est complétée par une autre affirmation du ministre chinois: «Les préoccupations légitimes de toutes les parties en matière de sécurité doivent être prises au sérieux.» Là, c'est manifestement une allusion aux inquiétudes provoquées en Russie par les perspectives d'expansion de l'OTAN en Europe et notamment en Ukraine.

De son côté, Dymtro Kouleba s'est félicité de cet entretien. Il a publié un tweet avec une photo le montrant en train de serrer la main à Wang Yi avec, derrière eux, des drapeaux chinois et ukrainien.

I met with State Councilor and Foreign Minister Wang Yi to discuss relations between Ukraine and China. My counterpart reaffirmed China’s respect for Ukraine’s sovereignty and territorial integrity, as well as its rejection of the use of force as a means of resolving differences. pic.twitter.com/4Q6kJxfNJB

— Dmytro Kuleba (@DmytroKuleba) September 23, 2022

«Mon homologue a réaffirmé le respect de la Chine pour la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine, ainsi que son rejet du recours à la force comme moyen de résoudre les différends.»

Le lendemain, le 24 septembre, également au siège de l'ONU à New York, Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, donnait une conférence de presse. Un journaliste lui a demandé si la Chine faisait pression pour mettre fin à la guerre en Ukraine. Sergueï Lavrov s'est contenté de répondre: «Vous pourrez dire […] que j'ai évité de répondre à votre question.»

Un enjeu de politique intérieure

Il est à noter que la nouvelle attitude de modération de la Chine, avec l'appel au cessez-le-feu en Ukraine, survient un mois avant le prochain congrès du Parti communiste chinois. La préparation de cette réunion au sommet du pouvoir chinois bat son plein en ce moment à Pékin.

Depuis qu'en 1949, la démocratie populaire a été instituée en Chine, les congrès ont lieu tous les cinq ans. La vingtième édition débutera le 16 octobre et va durer une dizaine de jours. Les questions intérieures, politiques et économiques, seront prioritaires. Cette année, Xi Jinping n'a aucun intérêt à afficher une trop grande proximité avec Vladimir Poutine. Il est beaucoup plus prudent de proposer un arbitrage sur le conflit en Ukraine et de demander au Congrès de se rallier à cette position.

Rappelons que Xi Jinping, qui a déjà accompli deux mandats de cinq ans, a modifié la constitution du Parti afin de se maintenir au pouvoir indéfiniment. Depuis 1990, ses prédécesseurs ne pouvaient rester en fonction plus de dix ans. Pour obtenir l'approbation du Congrès, mieux vaut que la situation politique chinoise soit aussi apaisée que possible.

D'autre part, en signe d'autorité, quelques opposants viennent d'être jugés et condamnés au motif d'enrichissement excessif. Ainsi Sun Lijun, 53 ans, qui fut vice-ministre de la Sécurité publique, a été accusé d'avoir reçu l'équivalent de 93 millions d'euros de pots-de-vin. Il a été condamné à mort avec deux ans de sursis, à l'issue desquels sa peine devrait être commuée en détention à perpétuité. Avec de telles pratiques, la prolongation du pouvoir de Xi Jinping semble assurée.

Mais il pourrait être négatif pour lui de montrer son amitié pour Vladimir Poutine. Le mieux, pour celui qui va rester secrétaire général du Parti communiste chinois, est de garder ses distances... Tout en espérant éventuellement jouer un jour un rôle dans le règlement du conflit en Ukraine.