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Face à un Congrès désuni, Joe Biden vante son bilan

«L’histoire de l’Amérique est une histoire de progrès et de résilience… Nous sommes le seul pays qui est sorti de chaque crise plus fort que lorsque nous y sommes entrés», entonne Joe Biden au perchoir du Congrès. Pour son troisième discours rituel sur l’Etat de l’Union, prononcé dans la nuit de mardi à mercredi, le président américain cajole la fibre patriotique en même temps qu’il vante le bilan de ses deux premières années de présidence, et avant tout les 12 millions d’emplois créés depuis la sortie de la pandémie.

Mais face à un Congrès désormais divisé politiquement, le démocrate, à mi-mandat et probable candidat à sa réélection en 2024, entend aussi élever le niveau et marquer la fin d’une ère. «Il y a deux ans, notre démocratie a fait face à sa plus grande menace depuis la guerre civile, a-t-il martelé. Aujourd’hui, bien que meurtrie, notre démocratie reste inébranlable et intacte».

Devant des dizaines de millions de téléspectateurs pris à témoin, il envoie le souvenir encore récent de l’attaque contre le Capitole, le 6 janvier 2021, au visage des républicains du Congrès, détenteurs d’une courte majorité à la Chambre des représentants. Face à des élus pro-Trump qui ont nié - et continuent de nier - sa victoire, Biden entend conforter sa stature d’homme d’Etat et «d’adulte dans la maison», sage gardien des valeurs en butte au cirque puéril de l’opposition républicaine.

« Finir le boulot »

Pour le principe, et sans illusion aucune, Joe Biden fait même mine de tendre la main à l’ennemi, l’élu californien Kevin McCarthy, nouveau président républicain de la Chambre. «Je ne veux pas ruiner votre réputation mais je me réjouis de travailler avec vous», ironise-t-il, avant de décrier «le conflit pour le conflit, le pouvoir pour le seul pouvoir, qui ne nous mènent nulle part» et d’appeler les républicains à finir avec lui «le boulot» accompli depuis son entrée en fonction.

Le boulot ? Joe Biden rappelle qu’en deux ans à la Maison Blanche, il a réussi à faire voter, avec la minorité républicaine de l’époque, un plan de refonte des infrastructures de 1 600 milliards de dollars, un autre de soutien à la production nationale et hautement stratégique de semi-conducteurs pour contrer la domination chinoise, ainsi que la loi Inflation Reduction Act (IRA), vaste plan de réformes sur la santé et surtout le climat, qui inclut notamment un gigantesque dégrèvement de taxes de près de 300 milliards destinés à promouvoir l’industrie des énergies renouvelables américaines.

En champion de la réindustrialisation verte, le Président tente, dans une longue partie de son discours, de damer le pion à l’ère Trump en misant sur le «populisme économique», une ode au labeur du col-bleu et à l’âme de la middle class que son prédécesseur Bill Clinton avait mué en art dans les années 90. «Un job n’est pas qu’un job, me disait mon père, c’est ta dignité», martèle-t-il en rappelant que le travailleur américain prime et que la chaîne d’approvisionnement industrielle «commence ici, en Amérique». N’en déplaise aux Européens outrés de son protectionnisme, et qui tentent de préparer leur riposte à l’IRA.

Doper son image

Quand bien même les républicains ont raté la contre-offensive des élections de mi-mandat en perdant un siège de plus au Sénat et en n’obtenant qu’une majorité infime à la Chambre, ils n’ont toutefois aucune intention de pactiser avec le camp adverse, au risque de contribuer au succès d’une Maison Blanche démocrate avant 2024.

Et pour cause : ils ont en face d’eux un président octogénaire à l’élocution laborieuse, dont les sondages ne reflètent en rien les prouesses législatives depuis 2021. En dépit d’une sortie du Covid réussie et d’un déclin constant de l’inflation et des prix de l’essence, d’un taux de chômage de 3,4 % inédit depuis 1969, 60 % des Américains jugent que «Biden n’a pas fait grand-chose». Contre toute évidence, malgré le plan massif d’infrastructure, seuls 32 % pensent que leurs routes et leurs ponts ont été améliorés.

Biden, qui révolutionne en ce moment ses services de communication pour tenter de doper l’image de sa présidence pendant deux années préélectorales compliquées par le contrôle de la Chambre par les Républicains, sait qu’il a peu de chances de faire voter le programme dit «de gauche» qu’il ambitionne, comme le triplement des impôts sur le rachat d’actions par les entreprises, ou une réforme fiscale des revenus financiers, grossièrement favorisés par rapport aux salaires.

Huées et « menteur »

Mais il peut compter sur les bévues extrémistes de l’autre camp pour redorer son blason présidentiel. Au soir du discours sur l’Etat de l’Union, les Républicains lui offrent une occasion en or. Alors que le Président les titille depuis la tribune sur le projet de leur frange d’extrême droite de couper les retraites publiques et l’assurance santé d’Etat des personnes âgées, Medicare, tout le groupe républicain explose en huées. Marjorie Taylor Greene, l’impossible élue conspirationniste de Géorgie, hurle «menteur» dans l’hémicycle.

Biden crée la surprise. Il leur répond au débotté. «Appelez mon bureau et je vous montrerai votre texte de loi», ironise-t-il, avant de les interroger, œil malicieux de vieux briscard de la politique. «Alors si je comprends bien, on ne parle plus de couper les retraites ? Cela me va». Ce sera son moment mémorable. Une résurrection «hors script» d’un stratège de Washington rompu aux simagrées du Congrès depuis sa première élection en 1972.

Biden convoque aussi l’émotion : son invitation des parents du jeune Tyre Nichols, mort tabassé par cinq policiers noirs de Memphis, avait fait grincer des dents dans l’intelligentsia démocrate, mais elle offre au président l’occasion de prononcer les mots les plus sensibles jamais entendus depuis Barack Obama sur les abus policiers. Et de redemander le vote de la loi George Floyd sur la réforme des forces de l’ordre américaines, bloquée depuis 2020 par les Républicains.

Le message se veut aussi humain, une rare consécration de la solidarité citoyenne illustré par l’invitation d’un jeune Américain d’origine asiatique, acclamé pour avoir désarmé un forcené qui venait de tuer dix personnes, le mois dernier en Californie. Une opportunité pour Biden d’appeler une nouvelle fois, sans illusion aucune, à l’interdiction des fusils d’assauts semi-automatiques.

Avortement, Ukraine, Chine

L’avortement est également évoqué, sur un ton combatif, devant les juges de la Cour Suprême responsables de l’abolition de l’arrêt historique Roe v. Wade qui le protégeait au niveau fédéral. Biden promet d’opposer son véto à toute tentative des extrémistes du Congrès de faire voter dans la loi une interdiction nationale de l’IVG.

Pour le reste, il faudra attendre de longues minutes consacrées à ses plans de défense du consommateur américain, bafoué par les factures abusives des hôtels et des compagnies de téléphone, pour l’entendre parler d’Ukraine, dans une promesse brève mais solennelle à l’ambassadrice de ce pays, applaudie par la salle, «de les soutenir tant qu’il le faudra». La Chine, malgré une semaine de psychodrame due à son ballon espion au-dessus des Etats Unis, n’arrive qu’en bout de discours, par une mention très diplomatique de la «compétition économique scientifique et industrielle» que l’Amérique veut remporter. Et, ballon oblige, de «l’assurance que nous saurons agir lorsque notre souveraineté sera violée».

Dans ce bric-à-brac de messages, Joe Biden, c’est peu courant, sort en hausse dans les sondages peu fiables ou éphémères recueillis juste après le discours. Convoquant à nouveau un patriotisme un peu hors-sol mais si sûr de lui, il avait tenu à marteler, en conclusion, que les Etats-Unis sont «le seul pays» fondé sur une idée, une démocratie solide face «au recul des despotes dans le monde», et «qu’il n’est jamais bon de miser contre l’Amérique». Il a encore deux ans pour le prouver.