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Fin de vie : Derrière l’euthanasie pour souffrance psychique en Belgique, de multiples questions

Elle s’appelait Shanti de Corte et avait 23 ans. Le 7 mai 2022, elle s’est fait euthanasier en Belgique. La jeune femme ne souffrait pas d’une maladie de Charcot ou d’un cancer en phase terminale, et ses jours n’étaient pas comptés. Atteinte de dépression depuis des années, sa souffrance était mentale. La Belgique autorise en effet l’euthanasie en cas de souffrance psychique. Au cours des années 2020 et 2021, 57 actes de ce type ont été effectués dans le pays, soit 1 % des euthanasies.

Du côté de la France, la loi Leonetti de 2005 autorise les personnes majeures à rédiger des directives anticipées. Ces dernières permettent de définir les conditions pour limiter ou arrêter le traitement dans le cas où elles seraient un jour hors d’état d’exprimer leur volonté. Alors que s’ouvre ce vendredi la convention citoyenne sur la fin de vie dans l’Hexagone, 20 Minutes s’interroge donc sur l’euthanasie liée à un trouble psychiatrique, qui pourrait apparaître dans le débat prévu ces prochains mois.

Une souffrance psychique constante, insupportable et inapaisable

Chez notre voisin belge, une loi du 28 mai 2002 indique que le patient souhaitant être euthanasié doit se trouver dans une situation médicale sans issue et faire état d’une souffrance physique ou psychique constante et insupportable qui ne peut être apaisée. « Le côté insupportable est subjectif », selon Ariane Bazan, professeure de psychologie clinique et de psychopathologie à l’Université de Lorraine, qui se dit « radicalement opposée à l’euthanasie pour raison psychique », car « c’est le patient qui décide de ce qui est insupportable ». 

L’Ordre des médecins belge a édicté des directives - une sorte de guide des bonnes pratiques - relatives aux demandes pour ce type d’euthanasie. « Le médecin saisi de cette demande doit consulter deux psychiatres, ce qui est conforme à la loi relative à l’euthanasie, qui prévoit en cas de décès non prévisible à brève échéance la consultation de deux médecins », explique Jacqueline Herremans, avocate au barreau de Bruxelles, présidente de l’ADMD (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité) Belgique et membre du Comité consultatif de bioéthique de Belgique.

Une des premières questions à se poser : La maladie n’affecte-t-elle pas la demande qui doit être volontaire, réitérée et sans pression extérieure ? « Un patient paranoïaque, par exemple, filtrera toutes les réponses qui lui seront faites en les analysant comme portant préjudice à sa personne. Dès le départ, un élément fausse la qualité de sa demande. » Dans ces conditions, cette dernière est rejetée.

Une pathologie psychiatrique grave et incurable

Après avoir vérifié le caractère insupportable de la souffrance, le médecin doit se concentrer sur la pathologie psychiatrique. Les personnes ayant eu recours à ce type d’euthanasie ces deux dernières années en Belgique souffraient de diverses maladies : dépressions, troubles bipolaires, troubles de la personnalité complexes, schizophrénie, troubles de l’anxiété ou du spectre de l’autisme… Pour donner droit à une euthanasie, ces pathologies doivent être graves et incurables. « Il s’agit par exemple de dépressions endogènes, c’est-à-dire qui ne résulte pas d’un événement ou d’une situation comme une séparation ou un burn-out, détaille Jacqueline Herremans. Ce sont des dépressions réfractaires à tout traitement. »

Mais s’il existe des marqueurs pour des maladies somatiques comme le cancer, « c’est beaucoup plus difficile en matière psychiatrique ». Selon la loi belge, pour être considéré comme « incurable », le patient doit avoir testé tous les traitements possibles. Or il n’existe aucune liste précise. Du côté de l’Ordre des médecins, on ajoute qu’il faut « s’assurer que la personne ait bénéficié de tous les traitements s’étant révélés efficaces pour un grand nombre de patients » explique l’avocate. Les professionnels de santé doivent prendre en compte les médicaments et thérapies que le patient a déjà connus. « Si on voit qu’un traitement qui peut être efficace pour une personne ne l’a pas été pour lui, on ne va pas lui imposer à nouveau, précise l’avocate. C’est vraiment une analyse au cas par cas. »

Se donner du temps

Pour Ariane Bazan, en matière de trouble psychiatrique, il est impossible de savoir a priori si la situation est sans issue. Elle regrette que les patients aient « frappé à beaucoup de portes sans avoir été entendus » venant « réaffirmer la croyance selon laquelle ils n’ont de place nulle part », mais trouve « grave » qu’à ce moment-là, « la mort para [isse] une option qui leur semble raisonnable. » Selon la professeur de psychologie clinique, le facteur le plus important dans le rétablissement, c’est la thérapie, et donc la personnalité du psychiatre ou du psychologue. Conséquence, selon elle, d’un (bon) changement de thérapeute : « dans la pratique, on voit bien que des personnes dont on pensait qu’elles ne s’en sortiraient pas, s’en sortent. » Jacqueline Herremans estime, au contraire, qu’elle a « rarement vu un patient guéri de sa maladie psychiatrique. Par contre, il existe des traitements pour qu’il puisse vivre avec. »

Pour laisser la possibilité aux différentes solutions de fonctionner, il faut se donner du temps. Si la loi impose au moins un mois entre la demande et l’acte, dans les faits, cela peut prendre un an, voire un an et demi, selon la présidente de l’ADMD. Après cette durée, certaines personnes réussissent finalement à s’en sortir. Elle donne l’exemple d’un Belge de 25 ans ayant fait sa demande d’euthanasie avant la crise du Covid-19. Le jeune homme a été orienté vers un nouveau psychiatre, qui lui a prescrit d’autres médicaments. « Il va beaucoup mieux. Il est transformé », se réjouit Jacqueline Herremans.

Mais l’avocate rappelle que certaines personnes en grande souffrance ne répondent à aucun traitement. « Si on avait pu trouver une solution pour Shanti, il est évident que ça aurait réjoui tout le monde. L’euthanasie n’est pas un but en soi mais un moyen d’offrir une mort sereine quand on a tout essayé. »