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Fin de vie : faut-il légaliser le suicide assisté ?

Emmanuel Hirsch, Professeur émérite d’éthique médicale, université Paris-Saclay

Certaines circonstances exceptionnelles devraient permettre de bénéficier d’une aide active. Mais aucune loi ne nous prémunit vraiment des dilemmes.

Le temps est-il venu d’un acte politique pour légiférer sur le suicide médicalement assisté et l’euthanasie ? Est-ce notre urgence pour favoriser une fin de vie digne, respectueuse des préférences et des droits de chacun, attentive à éviter les discriminations et donc inspirée des valeurs de notre démocratie ?

Dans le contexte d’une société sécularisée, notre rapport au mourir plus qu’à la mort ne relève-t-il plus que de la formulation du droit à une assistance médicalisée au service d’un choix de mort anticipée, assumé comme l’ultime liberté ? Idéal philosophique, et demain norme sociale, de la mort revendiquée et d’une demande d’assistance à la mort respectée en ce qu’elle exprimerait de notre ­dignité. Ne serait-il pas plus essentiel d’être déjà respecté comme membre de la cité dans des choix d’existence ?

La maladie et le vieillissement au long cours nous exilent trop souvent aux confins de la vie, avec un sentiment de « mort sociale » qui ­devrait solliciter une mobilisation et des évolutions d’une tout autre signification qu’octroyer à la personne le « droit de mourir ».

Comme s’il convenait d’autoriser la personne à se donner la mort ou de l’assister dans l’acte de mort en attestant que son opinion et son choix sont recevables : que sa mort serait préférable à sa vie, voire que sa vie serait indigne d’être vécue.

Lorsque la personne exprime la ­volonté de se suicider, le médecin est-il investi de la mission de l’assister dans la mise en œuvre d’une démarche intime exprimant son libre choix ? Est-ce témoigner de nos devoirs d’humanité à son égard que de lui prescrire la substance létale qui la tuera ? Les enjeux ne sont-ils pas d’une autre complexité que de les ramener à ce que serait une prestation médicale indifférenciée ?

Certaines circonstances exceptionnelles devraient permettre de bénéficier d’une aide active pour mettre un terme à l’évolution inexorable des souffrances d’une maladie. S’agit-il d’instituer un protocole médical prescrit par une nouvelle loi, alors que la déontologie médicale fixe un devoir de non-abandon de la personne y compris lorsque l’usage d’antalgiques pour respecter le droit de ne pas souffrir peut avoir pour conséquence d’abréger les derniers temps de la vie ?

Aucune loi, aussi libérale soit-elle, ne saurait nous permettre de surmonter les dilemmes redoutés de notre confrontation personnelle à l’expérience intime et ultime d’une fin de vie. Il est désormais important de solliciter notre intelligence collective afin de repenser nos responsabilités auprès de celui qui va mourir, autrement qu’en termes de loi.

Entre volonté de mener sa vie jusqu’à son terme et décision d’anticiper une mort imminente au stade terminal d’une maladie, l’exigence ne devrait pas se limiter au choix limitatif entre soins palliatifs, suicide assisté ou ­euthanasie.

Johanne Saison, Professeure de droit public, université de Lille

Il est temps de discuter de façon constructive autour de l’accompagnement de la fin de vie. C’est un impératif pour garantir la liberté de choix de chacun.

L’avis 139 du Comité consultatif national d’éthique, rendu le 13 septembre, nous permet enfin d’envisager dans leur globalité les évolutions liées à l’accompagnement de la fin de vie en nous donnant la possibilité de débattre plus sereinement de questions qui stigmatisent, depuis plusieurs années, les partisans et les opposants d’une évolution de la législation. Il ne s’agit pas seulement de légaliser le suicide assisté et/ou l’euthanasie, mais bien de reconnaître les besoins de soins palliatifs. On sait qu’en la matière de fortes inégalités demeurent, et ce en dépit des interventions législatives de 2005 et de 2016. La deuxième édition de l’Atlas des soins palliatifs et de la fin de vie en France , publiée en 2020, confirme la persistance de ces inégalités, régulièrement dénoncées par la Société française de soins palliatifs, qu’il s’agisse de l’accès aux soins palliatifs, variable selon les régions mais également le secteur, sanitaire ou médico-social, ou encore de la prise en charge des patients avec les difficultés qui entourent encore l’accompagnement de la fin de vie à domicile.

Il ne s’agit en aucune façon de justifier la consécration d’une aide active à mourir par l’insuffisance des soins palliatifs ; cela serait une atteinte manifeste au respect du principe de la dignité humaine et une remise en cause inadmissible du travail accompli par les équipes de soins palliatifs. Mais reconnaître que la volonté de « mort anticipée » exprimée par des patients, pris en charge ou non par des équipes de soins palliatifs, puisse être médicalement accompagnée, ne porte en rien atteinte au respect de la dignité de la personne humaine. Des personnes porteuses de maladie incurable dont le pronostic vital est engagé échappent toujours au dispositif normatif ­actuel, faute de satisfaire aux conditions de « souffrance réfractaire aux traitements » ou de « souffrance insupportable » ouvrant le droit à une sédation profonde et continue jusqu’au décès ou échappant, pour certaines pathologies, à la condition du « court terme », qui s’entend aujourd’hui de quelques heures à quelques jours. Lorsqu’elles en ont la possibilité, ces personnes peuvent bénéficier d’un accompagnement en dehors de nos frontières, comme c’est le cas aux Pays-Bas, en Belgique, en Suisse ou encore, depuis plus récemment, en Espagne et au Portugal. Aussi est-il venu le temps non seulement de donner les moyens aux soins palliatifs de remplir leurs missions partout sur notre territoire, mais également de consacrer « une exception d’euthanasie », qui garantisse à chacun un accompagnement garant de « sa dignité » comme le prescrit déjà l’article L. 1110-2 du Code de la santé publique.

Afin de construire un cadre juridique à la fois garant de la libre expression de la volonté de la personne mais également de la liberté de conscience des médecins, nous souhaitons que les débats à venir dans le cadre de la convention citoyenne organisée par le Conseil économique, social et environnemental s’inscrivent enfin dans une démarche constructive respectueuse des arguments de chacun.