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Finance « verte » ou « greenwashing » ? Nos conseils pour faire le tri dans les promesses des banques

Il est possible, au moins en partie, de jauger la crédibilité environnementale d’un placement sans être ingénieur financier.

« Investir durable », « construire un autre monde », « financer les transports propres »… L’écologie est devenue l’un des premiers arguments marketing des banques. Un discours encore souvent éloigné de la réalité : la moitié des fonds d’investissement « super verts » en Europe financent encore au moins une entreprise des secteurs des énergies fossiles et l’aviation, selon l’enquête publiée par Le Monde mardi 29 novembre, en collaboration avec une dizaine de médias européens, dont Investico et Follow the Money.

Plus largement, plusieurs grandes banques sont au centre de multiples controverses environnementales. Ainsi, BNP Paribas a été mise en demeure fin octobre de cesser de soutenir le développement des énergies fossiles par plusieurs associations environnementales en Europe. HSBC s’est vu interdire au Royaume-Uni l’utilisation d’affiches vantant son action environnementale, jugée trop éloignée de son action concrète.

Dans ce contexte, que peut l’épargnant soucieux de l’environnement ? Comment s’assurer que les promesses de sa banque sont crédibles avant d’investir ? Si ces sujets sont complexes et les armes à disposition des particuliers, peu nombreuses, certains réflexes permettent d’écarter les cas de « greenwashing » les plus évidents.

Ce terme regroupe de nombreux types de placements (SICAV, OPCVM, FCP, SOFICA, etc.), dans lesquels un particulier peut avoir investi par exemple via un contrat d'assurance-vie ou d'épargne salariale. Chacun possède des caractéristiques différentes, avec une logique commune : l'investisseur confie une somme d'argent à un gestionnaire, qui se charge de l'investir dans différents types d'actifs (par exemple, des actions d'entreprises) et rémunère ses clients en fonction de la performance du fonds. Leur fonctionnement est différent de celui des livrets, comme le livret développement durable et solidaire (LDD) ou le livret A, qui ne sont pas abordés dans le cadre de cette enquête.

1. Définir ses priorités

Il y a, dès le départ, un problème de nomenclature : l’environnement n’est qu’un des critères de l’investissement socialement responsable (ISR) ou ESG (pour environnement, social et gouvernance). Certaines banques entretiennent ce flou, en promettant des placements « durables », au sein desquels la lutte contre le changement climatique est secondaire.

Au-delà des considérations financières, chaque investisseur doit définir ses valeurs et les critères qui lui semblent importants. Par exemple, souhaite-t-il un placement intransigeant, qui écarte les entreprises ne se donnant pas les moyens de respecter les accords de Paris sur le climat ? Ou n’y voit-il qu’un critère parmi d’autres ?

2. Se renseigner sur sa banque ou société de gestion

La quête de l’investissement « durable » passe, dans l’idéal, par une bonne connaissance des réglementations et une étude approfondie des placements dans lesquels on envisage d’investir. Mais un premier tri peut être opéré en scrutant la banque ou le gestionnaire d’actifs.

Outre les controverses relayées par les médias, plusieurs ONG se penchent sur la crédibilité environnementale des banques : l’ONG spécialisée Reclaim Finance, qui recense les engagements des institutions financières sur le climat, mais aussi les rapports de Greenpeace (sur les banques dites « éthiques »), Notre affaire à tous (sur les engagements climatiques des multinationales, dont les grandes banques) ou Oxfam (sur les grandes entreprises françaises).

Toutes les démarches ne sont pas équivalentes. Sur les fonds catégorisés « article 9 » de la réglementation européenne, qui excluent strictement les entreprises les plus polluantes, l’ensemble des grands gestionnaires d’actifs français sont critiquables.

Des fonds « super verts » douteux chez l'ensemble des grands gestionnaires français

Part des fonds « super verts » (ou « article 9 ») qui comportent au moins un investissement « gris » (dans le pétrole, le gaz, le charbon ou l'aviation) chez les dix gestionnaires français qui proposent le plus grand nombre de ces placements.

Mais d’autres semblent plus sélectifs. Parmi les plus importants, qui gèrent au moins un milliard d’euros d’actifs en Europe, on peut citer le français Montpensier finance (trois placements), le néerlandais Pareto Asset Management (un seul) ou l’irlandais Stewart Investors (quatre), qui n’incluent aucun investissement « gris » selon la définition de notre enquête.

3. Rester prudent face aux labels et aux slogans

Il est tentant de se reposer sur les labels, mais force est de constater qu’ils sont loin d’apporter des garanties suffisantes. Le label ISR, créé par le ministère de l’économie et des finances, est un cas d’école. Il intègre quatre critères de « durabilité » : environnement, social, gouvernance et respect des droits humains. Mais selon le cahier des charges du label, il suffit à un fonds d’être mieux-disant que la moyenne sur deux de ces quatre aspects pour y être éligible.

Résultat, bon nombre de placements labellisés ISR sont peu exigeants sur les critères environnementaux. Au cours de notre enquête, nous avons retrouvé une même proportion de fonds « gris » (investissant dans au moins un acteur des énergies fossiles ou de l’aviation) dans les 196 fonds labellisés ISR analysés que dans les 642 autres.

Le label ISR n'offre pas de garantie environnementale

Parmi les 838 fonds étudiés dans le cadre de l'enquête du Monde, ceux qui sont labellisés ISR investissent autant dans les énergies fossiles et l'aviation que le reste du panel. Les fonds labellisés Greenfin s'en sortent un peu mieux.

L’inspection générale des finances avait déjà critiqué le manque d’exigence de la certification en décembre 2020, ce qui a débouché sur une refonte en cours du label ISR. « Le label ISR n’est pour nous clairement pas du côté de l’exigence. On fait de l’ESG sans dire quels sont les objectifs », commente auprès du Monde Hervé Guez, du gestionnaire d’actifs Mirova, qui ne propose que des fonds « article 9 ».

L’autre label créé par le ministère de l’économie, Greenfin, est plus clair dans sa démarche. Son cahier des charges prévoit des critères environnementaux plus précis, comme l’exclusion de « l’ensemble de la chaîne de valeur des combustibles fossiles ». Ce critère ne semble pourtant pas tout à fait respecté : cinq des dix-sept fonds labellisés Greenfin que nous avons analysés contiennent au moins un actif des énergies fossiles, mais pour un volume d’investissement limité (0,5 % du fonds ou moins).

4. Etudier, si possible, le contenu des fonds

Vérifier le contenu des fonds d’investissement est la manière la plus tangible de juger leur démarche. Mais cela pose plusieurs difficultés. D’abord, il faut pouvoir en consulter la liste dans son intégralité. C’est normalement le cas lorsque l’on est investisseur du fonds, mais pas systématique pour les autres – l’un des principaux efforts que nous a demandé cette enquête a justement été de compiler ces données.

La plupart du temps, un particulier n’a accès qu’aux premières lignes du portefeuille, qui correspondent aux plus grands investissements. Mais nous nous sommes aperçus que certains gestionnaires financiers incluent des investissements contestables juste sous la limite des investissements couramment dévoilés, les rendant peu visibles…

« Avoir une approche spécifique par secteur d’activité »

Il est utile d’interroger le contenu d’un fonds ligne par ligne. On peut certes s’assurer de ne pas y trouver d’entreprises dont les pratiques ne correspondent pas à ses valeurs, mais ce travail est long et nécessite une certaine expertise.

Aussi, au sein du secteur des énergies fossiles, subsistent de nombreuses nuances. Certains producteurs d’électricité sont sortis du charbon et semblent se donner les moyens de le faire pour le pétrole et le gaz, avec des progrès vérifiables chaque année. L’espagnol Iberdrola revendique ainsi produire 80 % de son électricité à partir d’énergies renouvelables et de nucléaire. D’autres en sont loin, comme l’allemand RWE AG, majoritairement dépendant des énergies fossiles, avec une grande part de charbon, ou TotalEnergies, qui reste impliqué dans de nouveaux projets controversés, du Qatar à l’Ouganda.

Un tri est nécessaire. C’est précisément le métier d’analystes spécialisés qui travaillent pour le compte des banques et des agences de notation extra-financières. « La seule manière valable de définir un actif durable est d’avoir une approche spécifique par secteur d’activité », estime Lara Cuvelier, de Reclaim Finance.

Ce travail est d’autant plus ardu que nombre d’entreprises ne dévoilent que peu d’informations sur leurs objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Des progrès sont espérés avec l’entrée en vigueur, début 2024, de la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité (CSRD), qui imposera aux grandes entreprises la publication d’informations sur la façon dont elles gèrent les risques sociaux et environnementaux.

5. Lire la documentation des fonds

Pour compléter ses recherches, il est également possible de consulter les documents contractuels des fonds. Et notamment le prospectus (qui en détaille la démarche) et le DICI, document d’information clé pour l’investisseur. Si l’on s’intéresse au climat, par exemple, on peut distinguer plusieurs types de discours :

  • Une logique de réduction des émissions à effets de serre « par rapport à l’univers d’investissement initial », ce qui veut dire que l’on fait mieux qu’un panier d’entreprises de départ, mais sans avoir de contraintes dans la finalité ;
  • Un engagement de réduire « l’intensité carbone » du portefeuille, c’est-à-dire les émissions de GES rapportées au chiffre d’affaires des entreprises. Suivant cette règle, le bilan carbone d’un fonds peut augmenter si la valeur de ses actifs grimpe. Fâcheux, si l’objectif est de respecter les engagements de Paris, ce qui ne peut se faire sans réduire massivement et rapidement les émissions de GES ;
  • Un engagement clair pour une réduction nette des émissions de GES, dans l’idéal actif par actif et sur la base de bilans carbone validés par des organismes tiers comme l’initiative Science Based Targets.

Là encore, faire le tri dans les promesses plus ou moins claires demande une certaine expertise. Ainsi, les établissements financiers promettent systématiquement d’exclure les investissements les plus polluants… tout en continuant d’investir dans les énergies fossiles pour près de la moitié d’entre eux. « Les gestionnaires managers évitent de se lier les mains en prenant des engagements précis et mordants », observe Julien Lefournier, ancien salarié du Crédit agricole et coauteur de L’Illusion de la finance verte (éditions de l’Atelier, 2021, 240 p.)

6. Evaluer la démarche du gestionnaire

Une autre approche pour jauger la démarche durable d’un fonds d’investissement est d’interroger sa relation avec les entreprises de son portefeuille. A travers ses placements, l’épargnant gagne en principe une forme de pouvoir vis-à-vis de celles-ci. Le gestionnaire d’actifs peut avoir des droits de vote au sein des sociétés dans lesquelles son fonds est partie prenante.

La banque peut donc soutenir ou déjuger des décisions d’une entreprise au cours de ses conseils d’administration. « C’est un peu la carte d’électeur de l’investisseur », décrypte une analyste chargée de ces questions chez un gestionnaire d’actifs français. Pour être efficace, cette logique doit être intégrée dès la constitution du portefeuille :

« Il faut dès le départ choisir des structures dans lesquelles on peut changer les choses, fixer des objectifs précis et temporels. Et s’ils ne sont pas atteints, il faut désinvestir. Mais ça, c’est très rare. »

Les lacunes de certains grands gestionnaires d’actifs dans ce suivi des entreprises sont apparues au moment des révélations sur les dérives du groupe Orpea en janvier. Le troisième actionnaire du groupe de maisons de retraite accusé de maltraitances n’était autre que la société de gestion Mirova (3,9 % du capital à l’époque). Une sérieuse entaille dans l’image d’un groupe supposé exigeant en termes de « durabilité » – Mirova est finalement sorti du capital d’Orpea début novembre.

« Il faut appeler l’arbitre et donner quelques cartons rouges »

Une catégorie spécifique de fonds dits « à impact » promet justement de contribuer à des projets et objectifs mesurables – encore faut-il pouvoir en juger de manière transparente au cas par cas.

Encore faut-il aussi que le contenu des investissements diffère de celui des fonds traditionnels. Or, dans la majorité des fonds ISR ou ESG, il est impossible d’échapper aux Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), à McDonald’s, Coca-Cola, Unilever et d’une manière générale aux entreprises du CAC 40 et des grandes places financières.

Pratiquée de la sorte, la finance verte ne peut pas faire la différence, estime Tariq Fancy, ancien responsable des investissements de BlackRock. En revanche, les fonds orientés sur le long terme qui investissent dans les entreprises à leur création sont intéressants car « ils financent vraiment l’entreprise », explique-t-il à nos partenaires de Follow the Money. Cette démarche reste plus risquée sur le plan financier que des investissements dans un panier de grandes sociétés cotées, ce qui peut expliquer la frilosité des sociétés de gestion.

Toujours selon Tariq Fancy, les particuliers ne devraient pas assurer seuls la charge du tri entre les bons et les mauvais acteurs : pour changer les choses, « il faut que ce soit obligatoire. Et pour que cela le soit, il faut appeler l’arbitre pour qu’il donne quelques cartons rouges. C’est ce que les spécialistes nous disent. Les gouvernements vont devoir se lever et agir. »

Adrien Sénécat

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