Atlantico : Quelle est la réalité de la fiscalité du capital aujourd’hui en France ?

Gilbert Cette : Sur chaque dimension de la fiscalité du capital, la France a la main lourde par rapport à une majorité d’autres pays. Très peu de pays ont un impôt sur la fortune. Les pays les moins inégalitaires n’en ont pas. Du côté de l’impôt sur les sociétés et les bénéfices, nous nous rapprochons progressivement des 25%, qui représentent la marge supérieure des pays qui nous entourent. Du côté du prélèvement forfaitaire, la France est aussi dans la marge élevée par rapport  aux autres pays.


In fine, il y a une forte taxation du capital à travers l’Hexagone et comparé aux autres pays, y compris après des réformes menées ces dernières années comme en 2018 après l’élection d’Emmanuel Macron.


L’impact de la réforme de 2018 a donc été très important ?   

La réforme de 2018 ne fait que nous rapprocher des autres pays et a permis de réduire le particularisme français. Cela ne place pas la France dans une position à basse fiscalité du capital. Cela positionne seulement notre pays dans une position moins extrême pour la fiscalité du capital.
La réforme de l’ISF et sa transformation sont un coût qui représente de moindres recettes instantanées (inférieur à trois milliards d’euros). Mais les effets favorables induits peuvent être importants. En effet, a fiscalité du capital peut entraîner une mobilité du capital et même un exode fiscal. La récente actualisation par France Stratégie des précédents rapports sur la fiscalité du capital montre qu’à l’expatriation nette de personnes soumises à l’ISF avant 2018 a succédé depuis la réforme de 2018 et la transformation de l’ISF en IFI une impatriation nette. De ce fait, sous l’hypothèse que cette inversion nette se poursuit, la réforme de 2018 est autofinancée. Et on ne prend pas ici en compte également le fait que les impatriations peuvent amener de l’activité. Avec la forte proximité géographique des pays européens, cette problématique d’exode fiscal est importante pour un pays comme la France.   
Des mesures doivent encore être prises néanmoins. Il reste encore des choses à faire.
Le fait de taxer la propriété immobilière comme le fait l’IFI qui a remplacé l’ISF peut avoir un aspect pénalisant pour l’offre de logements. En France, les économistes s’accordent pour penser que les prix élevés des loyers s’expliquent essentiellement par une insuffisance de l’offre et non pas pour un problème de solvabilité de la demande.Si vous avez un capital à placer aujourd’hui, le traitement fiscal ne sera pas le même si vous faîtes de l’investissement dans l’immobilier ou dans des actions. La situation sera aussi différente si vous laissez dormir cet argent et ce capital sur votre compte en banque. La propriété immobilière est taxée, pas les autres formes de patrimoine.

La réforme de 2018 peut ainsi avoir dans un premier temps avoir un effet à la baisse sur les prix immobiliers. Les personnes avec un patrimoine immobilier locatif sont incités à se tourner plutôt vers du patrimoine financier. Cela augmenter transitoirement l’offre sur le marché immobilier. Mais au-delà de cet effet transitoire, cela va avoir plutôt un effet dépressif avec une baisse de l’investissement locatif qui se traduira par une baisse de l’offre locative et donc un effet à la hausse des loyers.

Malgré ce constat,  un certain nombre de politiques, notamment à gauche, demandent à ce qu’il y ait plus de taxation des riches ? Comment ce projet a pu germer ?

Cette approche économique date des années 1970 et ne s’est pas renouvelée depuis. Le logiciel et le mode de pensée n’ont pas du tout été modifiés. Pourtant la réflexion économique a beaucoup avancé. Par exemple, comme l’a montré Philippe Aghion, les rentes d’innovation peuvent augmenter les inégalités transversales mais elles sont favorables à la croissance et permettent d’améliorer le niveau de vie de l’ensemble de la population. Et elles peuvent contribuer à abaisser les inégalités longitudinales, car elles se traduisent en une réelle mobilité sociale. Le discours sur les inégalités s’est peu renouvelé dans des pays comme la France depuis une dizaine d’années.
Les pays les moins inégalitaires comme les pays nordiques et les pays scandinaves ont des niveaux de taxation beaucoup plus bas. La France est avec le Danemark le pays qui a la taxation la plus élevée de tous les pays européens et de l’OCDE. Et pourtant nous n’avons pas le niveau d’inégalités le plus bas.


Vous terminez votre note sur cette phrase : « nous ne sommes plus dans une approche économique sereine mais dans une posture idéologique ». Sommes-nous face à de l’idéologie économique lorsque LFI, le RN ou la majorité évoquent la taxation des superprofits ?   

Cela correspond à une approche pavlovienne : un problème, une taxe à créer ou augmenter. Ce réflexe est mortifère pour la croissance. Le gouvernement s’engage actuellement de ne pas augmenter les taxes. Le projet est d’arrêter de taxer toujours plus les Français, car qui désincite l’activité et l’offre de travail. C’est un bon choix.  Plutôt que de taxer plus, il est important de réfléchir aux mécanismes qui sont à la source des inégalités comme la faible mobilité sociale.


La France reste un pays à fort taux de chômage, 45 ans après le premier choc pétrolier. Elle ne s’est jamais vraiment remise des épisodes des deux chocs pétroliers des années 1970. Dans un grand nombre de pays avancés, les moments de fort taux de chômage ont été transitoires. Il faut nous inspirer davantage de ces pays dans lesquels les inégalités et le taux de chômage sont plus faibles qu’en France, et qui taxent mois et où la dépense publique est moindre qu’en France. 


Est-ce que cela veut dire à l’heure actuelle qu’il n’y aurait pas de rationalité économique à augmenter la fiscalité sur la taxation du capital ?

Oui, cela ne répond à aucune rationalité économique. Il faut au contraire abaisser la taxation et pour cela réduire la dépense publique, en élevant son efficacité.


Est-ce que l’on sait par rapport aux autres pays  s’il y a une solution optimale vers laquelle tendre en termes de fiscalité du capital ?

Par rapport au débat sur l’ISF et l’IFI, on voit que les pays les moins inégalitaires ne pratiquent pas ce type de taxation. Cela donne à réfléchir. Il faut trouver d’autres moyens plus efficaces pour réduire les inégalités. La mobilité sociale doit être recherchée par l’effort éducatif. Mais il est plus difficile d’avoir l’ambition de réformer efficacement le système éducatif que de préconiser l’augmentation du taux de taxation.


Avec la réforme de 2018, le gouvernement a tenté d’agir pour alléger la fiscalité du capital et en même temps, dans le contexte de la crise que l’on vit actuellement, le ministre de l’Economie et des finances, Bruno Le Maire, a parlé  des superdividendes, des dividendes salariés, de la super participation… Est-ce que le « et en même temps » est un peu schizophrène ?

Il peut y avoir effectivement de temps en temps un peu de schizophrénie et de confusion dans l’expression publique.  Il n’y a pas de discours clair sur plusieurs points : qui doit réellement payer ? Comment financer l’augmentation du prix de nos importations qui correspond à trois points du PIB dans la crise actuelle ?    


Quelques entreprises bénéficient de rentes ou de super profits exceptionnels dans le contexte de la crise actuelle. Mais la taxation de ces super profits aurait un rendement faible. Le revenu national est abaissé par le prélèvement externe auquel correspond la hausse du prix des importations, et le financement de ce prélèvement est rendu plus difficile dans une situation où les gains de productivité sont nuls. Comment alors réduire la perte de pouvoir d’achat? Différentes réformes peuvent y aider, comme par exemple celles des retraites, de l’indemnisation chômage, du rachat des jours RTT …  Elles peuvent apporter leur contribution à une amélioration du pouvoir d’achat moyen en France sur les prochaines années. Mais à long terme, l’innovation et le progrès technique doivent prendre le relais. Ce sont les effets favorables de la révolution digitale qui soutiendront sur le long terme les gains de pouvoir d’achat, tout en facilitant le financement de la transition climatique. 
Penser que la solution est la taxation des super profits de quelques firmes pour la part de leur activité en France n’est pas à la hauteur des problèmes auxquels nous faisons face.


Concernant les salaires, s’il y a une indexation complète sur l’inflation, cela veut dire que l’on se repasse entre capital et travail la patate chaude du prélèvement extérieur lié à la hausse des prix des importations énergétiques. Cela se payera en augmentation du taux de chômage comme à la fin des années 1970 et au début des années 1980. L’idée est donc de savoir comment éviter de passer par cette case chômage.

La France a déjà un niveau de taxation élevé sur les hauts revenus, nous avons déjà une taxation sur le patrimoine qui s’est transformée mais qui est très rare. Le niveau de taxation global est parmi les plus élevés au niveau global de tous les pays avancés. Changeons notre logiciel, qui a montré ses limites. Inspirons nous des réussites étrangères, et non de réflexes idéologiques qui ont montré leurs limites et qui aboutissent à brider notre économie et à y augmenter les inégalités.