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François Hollande : « Le président n’est pas un super-sénateur !

Et si on parlait de réforme constitutionnelle ? Dans un temps public chahuté, où nombre de chantiers sont ouverts, celui d'une éventuelle révision de la Constitution, voire d'un basculement dans une VIe République, reste curieusement fermé, n'intéresse que quelques éminents initiés, alors qu'il s'agit de la colonne vertébrale de notre vie politique.

L'essayiste libéral Gaspard Koenig donne un coup de pied dans la fourmilière en proposant ces jours-ci, dans son nouvel essai, Contre'un (éditions de l'Observatoire), dont Le Point publie des extraits, de supprimer le président de la République, du moins en sa forme actuelle, en bornant sa fonction à celui de « président des chrysanthèmes », comme l'on disait sous la IVe République. La réforme des institutions politiques est aussi l'objet d'un grand colloque qui a lieu ce 5 octobre à l'Institut de France, qui réunira des conférenciers prestigieux, et dans lequel interviendront successivement les deux anciens présidents de la République française Nicolas Sarkozy et François Hollande. Celui-ci livre au Point la primeur de ses réflexions.

Le Point : Pourquoi le débat institutionnel est-il si peu présent sur la place publique ?

François Hollande : Cette question aurait dû être un grand sujet de l'élection présidentielle, au moins dans l'entre-deux-tours, mais la campagne a été hélas escamotée, et pas seulement là-dessus. C'est dommage, car c'eût été l'occasion d'évoquer de possibles réformes institutionnelles et de donner un éclairage sur les méthodes de gouvernement. Las, le débat n'a pas eu lieu, et les évolutions annoncées restent limitées à quelques initiatives, notamment pour élargir la démocratie participative ou les consultations citoyennes. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, le comité Balladur avait préparé la révision constitutionnelle de 2008. Ainsi ont été introduites les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), qui ont offert aux citoyens un nouveau droit et élargi l'intervention du Conseil constitutionnel, puisqu'au cours d'un procès toute partie, à tout stade de la procédure, peut à certaines conditions le saisir. Au cours de mon mandat a été créé la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et instauré le non-cumul des mandats. Mais ces réformes, aussi utiles soient-elles, n'ont pas changé les fondements de la Ve République.

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Cela vous semble-t-il important aujourd'hui ?

Il y a ce qui relève de la pratique et qui n'appelle pas de corrections législatives ou institutionnelles, comme de respecter les droits du Parlement ou de dialoguer avec les forces vives. Il y a ce qui peut être provoqué par l'absence de majorité à l'Assemblée nationale et qui demandera sur certains textes des compromis ou l'usage de procédures comme l'article 49.3, au risque du vote d'une motion de censure. De même, la dissolution de l'Assemblée nationale n'est pas une hypothèse théorique. Elle peut conduire à une vague comme en 1968 ou à une cohabitation comme en 1997. Bref, notre Constitution permet de régler des situations d'instabilité parlementaire.

En revanche, des évolutions institutionnelles me semblent nécessaires. Les uns réfléchissent dans le cadre de la Ve République et souhaitent améliorer le recours aux référendums d'initiative citoyenne (RIC) ou donner un cadre juridique aux conventions citoyennes. D'autres proposent, notamment François Bayrou, d'introduire la proportionnelle dans le mode de scrutin, avec le risque de ne plus trouver de majorité à l'Assemblée nationale faute de coalition possible. D'autres encore prônent avec Jean-Luc Mélenchon l'instauration d'une VIe République, avec la fin de l'élection du président au suffrage universel, ou le maintien de ce mode de désignation mais en privant le chef de l'État de l'essentiel de ses attributions, comme si l'on pouvait convoquer le peuple pour choisir un président dépourvu de tout pouvoir.

Il n’y a donc plus de Premier ministre, l’ensemble des procédures contraignantes comme le 49.3 sont supprimées et le droit de dissolution disparaît.

Et si l'on revenait à un mode de désignation d'avant 1962, en supprimant l'élection au suffrage universel direct ?

Avec un collège de grands électeurs ! Mais le président n'est pas un super-sénateur ! Quand de Gaulle exerçait la fonction, c'était de Gaulle : il n'avait pas eu besoin en 1959 de l'onction du peuple. Il en était, pensait-il, l'incarnation. Néanmoins, il réfléchissait à ce qui se passerait après lui. Il le précise ainsi dans ses Mémoires. C'est pourquoi il a engagé la réforme d'octobre 1962, ratifiée par référendum. C'est une décision irréversible. Sinon, c'est le retour à la IVe République sans les grands partis qui existaient à cette époque, ou aux régimes parlementaires plus ou moins rationalisés comme en Allemagne ou en Espagne. Cette formule [NDLR : l'ensemble des règles qui encadrent l'activité du Parlement et permettent d'éviter l'instabilité ministérielle] oblige néanmoins à constituer des coalitions pour écarter les extrêmes, jusqu'au jour où ils deviennent les débouchés du dégagisme.

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Mais, on le voit actuellement, cela reste compliqué à mettre en œuvre…

Je suis favorable à un régime présidentiel assumé. Aujourd'hui, le Premier ministre n'est plus le chef de la majorité ; il ne procède pas d'un parti, mais du chef de l'État. Par ce fait, le caractère parlementariste de la Ve République a disparu. À l'exception des cas de cohabitation. Avec le quinquennat, un glissement s'est opéré au bénéfice du président de la République. À partir de là, surtout quand s'enchaînent les crises à affronter, la dualité de l'exécutif est une source de lenteurs et de confusions, quelle que soit la volonté des protagonistes. Le caractère hybride de nos institutions n'est ni efficace pour la gestion de l'État ni compréhensible par l'opinion. Je propose que le président dispose de l'ensemble du pouvoir exécutif et coordonne l'action de l'administration et des ministres, avec un Parlement qui retrouve toute sa liberté. Il n'y a donc plus de Premier ministre, l'ensemble des procédures contraignantes comme le 49.3 sont supprimées et le droit de dissolution disparaît.

Le paradoxe, c'est que le régime présidentiel est un système institutionnel où le Parlement joue un rôle majeur : voyez le cas du Congrès aux États-Unis. Je dissocierai la durée du mandat présidentiel et celle des mandats législatifs. Le président pourrait être élu pour six ans, soit un sexennat renouvelable, et les députés, quatre ans. Les élections de mi-mandat bénéficieraient d'une participation plus importante et offriraient un temps de respiration politique.

Il est possible d’agir pour le climat sans intégrer dans la Constitution l’écocide, par exemple.

Que pensez-vous de ces revendications de graver dans le marbre de la Constitution un certain nombre de droits ?

La Constitution peut garantir des libertés, et ça aurait du sens d'y intégrer le droit à l'avortement pour le préserver. Mais ne mettons pas tout dans la Constitution. Les principes fondamentaux de la République bénéficient déjà de la protection de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il est possible d'agir pour le climat sans intégrer dans la Constitution l'écocide, par exemple.

Êtes-vous favorable à une multiplication des recours aux référendums d'initiative citoyenne (RIC) ?

Oui, à condition de limiter cette possibilité à quelques grands sujets. Plus vous ouvrez le champ référendaire, plus vous devez être clair sur sa délimitation. Sinon, vous risquez d'ouvrir la porte à toutes les démagogies possibles et d'offrir de nouvelles opportunités d'action à tous les groupes de pression. Il n'est pas si difficile d'obtenir les signatures de 4 millions de citoyens… La votation citoyenne à la suisse ne correspond pas à notre tradition de démocratie représentative.