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Gaz russe : la France paye ses erreurs du passé

Cette semaine, les multiples sabotages des gazoducs NordStream en mer Baltique ont renforcé un peu plus la tension sur le marché européen du gaz et de l'énergie. Chaque jour, la dépendance de l'Europe au gaz russe se fait ressentir un peu plus durement. Dans une étude de l'organisation BusinessEurope, on apprend ainsi que « 70% de la production européenne d'engrais a été arrêtée ou ralentie, tandis que 50% de la capacité totale de la production d'aluminium a été perdue. Il existe un réel danger que les entreprises, et en particulier les industries à forte intensité énergétique, se délocalisent définitivement en dehors de l'Europe ». En Allemagne, la panique gagne le patronat. La chimie allemande, fleuron de l'industrie avec l'automobile, est à deux doigts de l'arrêt intégral de sa production.

En France également, l'inquiétude est montée d'un cran ces derniers jours. Si EDF a (enfin) un nouveau PDG, la relance du parc nucléaire (mis largement à l'arrêt ces derniers mois) ne peut se faire par un simple claquement de doigt, n'en déplaise au gouvernement qui impose à l'électricien national un calendrier qui ne pourra être réellement tenu. Au Medef, l'heure n'est plus à faire une standing ovation pour Volodymyr Zelensky. Ce jeudi, Geoffroy Roux de Bézieux a déclaré sur France Info qu'il était « très inquiet » à propos de la situation des entreprises face à la hausse des prix de l'énergie. « On parlait du « mur des faillites » pendant la crise Covid, il n'est pas arrivé, mais là, on aura des faillites », alerte le patron des patrons.

Luc Rémont, l'homme de l'Elysée qui doit sauver EDF et le nucléaire français

Profiter de l'eldorado russe dans les années 90

Sur le front du gaz, comment la France en est-elle arrivée là ? On ne le dit pas suffisamment assez, mais c'est le résultat de choix stratégiques qui ont été pris dans le passé par nos gouvernants et dirigeants économiques : au début des années 1990, les groupes Elf et Total, qui sont alors les deux géants français des hydrocarbures, se détournent peu à peu de leurs zones de prédilection (Afrique, Moyen Orient), pour profiter de l'eldorado russe suite à la chute de l'Union Soviétique. Résultat, à la mi-1990, la France, tant sur le gaz que sur le pétrole, préfère regarder du côté de Moscou que d'Alger.

Sous Balladur, le ministre de l'économie, Edmond Alphandéry, avait pourtant entamé des négociations avec l'Algérie. Mais face aux atermoiements français, c'est le groupe BP (devenant bientôt BP Amoco) qui remporte dès 1995 auprès de la société d'État Sonatrach le contrat du méga projet gazier d'In-Salah. En quelques années, la France va se retrouver totalement supplantée, tant dans le gaz que dans le pétrole, en Algérie par les compagnies américaines !

Ces choix privilégiant la source russe de nos hydrocarbures ne datent donc pas d'hier. Et les investissements colossaux réalisés par Total en Russie sous la présidence de Christophe de Margerie renforcent au cours des années 2000 et 2010 ce lien entre la France et la Russie dans le gaz et le pétrole. L'histoire est désormais connue : en Russie, Total s'allie avec Novatek, le numéro 2 du gaz après Gazprom. La major française va jusqu'à prendre le contrôle de près de 20% du capital du groupe russe, et investir des milliards dans le champ gazier de Yamal, en Sibérie, permettant à la Russie d'exporter son gaz également par méthaniers et plus uniquement par gazoduc. En Méditerranée, en Libye, au Mozambique, Total profite à plein ces dernières années de son alliance avec le russe Novatek pour lutter contre les autres majors du secteur qui sont principalement... anglo-américaines.

Risque systémique pour TotalEnergies

Ceci explique pourquoi l'actuel patron de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, compte bien rester en Russie tant que les sanctions internationales ne l'en empêchent pas. Lors d'une récente intervention médiatique, le PDG du groupe pétrolier a dénoncé l'hypocrisie de la situation, expliquant que de nombreux groupes internationaux, tels que les GAFAM comme Apple, avaient maintenu leurs activités en Russie.

Pour TotalEnergies, ce lien avec la Russie est toutefois un risque systémique, car cela représente près de 24 % de ses réserves prouvées en pétrole et gaz. Alors, depuis le début de la guerre en Ukraine, le groupe français multiplie les annonces de deals avec le Qatar ou l'Algérie... Mais ces nouveaux contrats ne pourront pas remplacer du jour au lendemain la Russie.

Déjà parce que l'Algérie, par manque d'investissements ces dernières années, ne peut pas augmenter immédiatement sa production. Par ailleurs, la France doit faire face à une concurrence particulièrement rude : dès le printemps, les Italiens ont conclu un contrat géant avec l'Algérie. La France doit également composer avec les infrastructures : les gazoducs existants relient l'Algérie avec l'Italie et l'Espagne, et non la France, qui avait fait le choix historique de transporter le gaz algérien par méthaniers.

Parmi les autres alternatives au gaz russe, la situation n'est pas non plus très brillante. D'abord, ce n'est pas le GNL américain, produit à partir de gaz de schiste (et donc très cher), qui pourra remplacer totalement les fournitures de gaz à la France. Ensuite, si un nouveau gazoduc a été inauguré cette semaine entre la Norvège et la Pologne, les champs gaziers de la mer du Nord sont peu à peu en train de s'épuiser.

Quant au Qatar, si TotalEnergies a annoncé récemment un nouveau contrat, toutes les majors du monde entier y sont également présentes. La concurrence y est donc également rude. Et puis le petit émirat doit composer avec son voisin, l'Iran, qui partage avec lui son immense champ gazier. Or, l'Iran a conclu ces dernières années de nombreux contrats de livraison de gaz avec... la Chine. C'est dire si la France sur le marché du gaz mondial est désormais un « nain », pour reprendre les termes d'un spécialiste de l'énergie, dépité et très inquiet par rapport à l'hiver à venir.