France
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Giorgia Meloni : Pourquoi parle-t-on de centre-droit en Italie et de postfascisme en France ?

Extrême droite, postfascisme ou centre-droit ? Entre les médias français et italiens, la victoire dimanche aux élections législatives de la coalition menée par Giorgia Meloni n’est pas qualifiée de la même façon. Sur la chaîne d’informations en continu de la Raï, par exemple, on parle de la victoire du « centro destra », le centre-droit. Idem pour le journal de gauche La Reppublica. Arrivée en tête avec 44 % des voix, l’alliance des droites, comprenant Fratelli d’Italia, la Ligue (anti-immigration) et Forza Italia (droite), va tenter ces prochains jours de former un gouvernement.

Au contraire, les médias français décrivent le retour en force de l’extrême droite en Italie et analysent la victoire d’un parti « postfasciste ». Une différence de traitement qu’ont remarqué des personnalités ou des internautes de droite ou d’extrême droite dans des tweets devenus viraux.

La TV italienne parle de coalition de "centre-droit", quand les médias français parlent eux de "post-fasciste". #Italie #Meloni pic.twitter.com/i06EdnuGpP

— Maximilien Monteil (@neilim75) September 25, 2022

« C’est la première fois que je vois autant d’enthousiasme pour aller voter et la plupart pour #Meloni ! Aucun ne parle d’extrême droite ! », a notamment remarqué Yves Pozzo di Borgo, ancien sénateur UDI devenu relais de la propagande prorusse sur les réseaux sociaux. « Quelqu’un peut m’expliquer la signification du mot "postfasciste" (après le fascisme ??) employé avec délectation sur toutes les ondes françaises alors qu’il n’est quasiment pas employé par la presse italienne ? », a quant à lui noté Eugénie Bastié, journaliste au Figaro.

FAKE OFF

Pour comprendre l’utilisation en France du terme postfasciste, il faut revenir aux années 1990 et à la rupture, en Italie, avec le passé fasciste. Rupture amorcée par Gianfranco Fini, leader du Mouvement social italien (MSI), héritier direct de Mussolini et devenu l’Alliance nationale. Fini avait déclaré que « le parti n’était plus fasciste, qu’il ne se revendiquait plus de l’héritage de Mussolini, et il avait aussi condamné ce régime, précise Gilles Ivaldi, politologue, spécialiste des extrêmes droites européennes au Cevipof. On a appelé ça le moment postfasciste, c’est-à-dire le moment où l’Alliance nationale s’est émancipée du fascisme historique du régime de Mussolini. » Le fascisme, lui, se caractérise par « un régime autoritaire qui passe par la négation de la démocratie », ajoute Gilles Ivaldi.

Giorgia Meloni se situe dans « une démarche postfasciste, mais avec beaucoup plus d’ambiguïté, de nostalgie du fascisme que les précédents leadeurs de l’Alliance nationale », pointe le politologue. Son programme n’est pas fasciste, dans le sens où elle ne cherche pas à supprimer la démocratie. « En revanche, elle a gardé du fascisme le caractère autoritaire, c’est-à-dire cette idée que le gouvernement peut contraindre les libertés. Elle a aussi des positions très conservatrices sur les questions religieuses, sociales. »

« L’héritage de la vieille politique du fascisme italien »

Durant sa campagne, dont le slogan était « dieu, famille, patrie », elle a tenu des propos traditionalistes sur le rôle des femmes dans la société, censées rester à la maison pendant que l’homme travaille. « C’est une vision très archaïque, patriarcale, un héritage de la vieille politique du fascisme italien », souligne Gilles Ivaldi. Son programme, tout comme celui de La Ligue, est aussi ancré à l’extrême droite. Ils en reprennent les trois principaux éléments : le nationalisme identitaire, l’autorité/l’autoritarisme, et l’illibéralisme, c’est-à-dire à l’affaiblissement des principes de la démocratie représentative.

Chez Berlusconi et Forza Italia, la dimension ultranationaliste et eurosceptique n’est pas présente de cette façon, bien que « les nuances soient très fines puisque, au fond, tout cela se noie dans cette alliance de droite », analyse le politologue. Voilà pourquoi le parti de Meloni est qualifié dans l’Hexagone de postfasciste, et son programme placé à l’extrême droite sur l’échiquier politique.

« Il est plus simple en France d’appeler les choses par leur nom »

« La presse française a plutôt raison », estime de son côté Paolo Levi, journaliste et correspondant à Paris de l’agence italienne de presse Ansa. Pour appuyer son propos, il rappelle les résultats des partis de la coalition : Fratelli d’Italia, le parti d’extrême droite postfasciste, a raflé la mise avec 26 % des voix, suit La Ligue de Matteo Salvini, également d’extrême droite, et qui a remporté 8,8 % des suffrages. « Le seul parti un peu au centre, c’est celui de Silvio Berlusconi [à 8,1 %], pointe-t-il. L’appeler "coalition de centre-droit" aurait été moins ridicule si c’est Berlusconi qui était arrivé en tête. » Pour lui, il s’agit d’une « sorte de déni » des médias italiens.

Cette différence de terminologie entre les deux pays est surtout liée à des contextes politiques distincts. « En France, il n’y a pas l’expérience politique d’un accord entre la droite et l’extrême droite au niveau national, explique Gilles Ivaldi. De ce fait, il est plus simple d’appeler les choses par leur nom. » Cromprendre : différencier droite et extrème droite. Au contraire, en Italie, l’alliance entre la droite et l’extrême droite existe depuis trente ans.

Un vocable qui remonte aux années 1990

Car en 1994, le premier gouvernement de Silvio Berlusconi avait les mêmes composantes, détaille Gilles Ivaldi. Il était formé de Forza Italia, le parti de centre-droit donc, dominant dans la coalition et dirigé par Silvio Berlusconi, avec ce qui restait de la démocratie chrétienne. La Ligue en faisait partie, avec à sa tête son fondateur, Umberto Bossi. Etait aussi présent l’Alliance nationale, l’ancêtre de Fratelli d’Italia. « Le vocable de centre-droit utilisé dans les médias italiens vient d’une époque où c’était effectivement le centre-droit qui dominait l’alliance, souligne le politologue. Aujourd’hui, c’est le contraire, les équilibres internes sont complètement transformés : l’extrême droite domine l’alliance, mais le vocable est resté, d’où la confusion. »

Un vocable qui contribue à banaliser l’extrême droite, alerte le politogue. « Au-delà de l’emploi du terme de centre-droit, ce qui se joue en Italie, c’est la normalisation des relations entre la droite et l’extrême droite, à l’œuvre depuis plus de trente ans ».