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Giuliano Sperandio, le nouveau chef du Taillevent, offre une cuisine sensible au service de la mémoire

Temps de lecture: 10 min

L'histoire de la Maison Taillevent, dans le VIIIe arrondissement parisien (deux étoiles Michelin), mérite d'être contée en quelques mots. Il se dit que l'endroit murmure de légendes dont aucun livre d'or ne conserve les secrets. De Yehudi Menuhin qui muait ici l'ivresse du vin en accords déchirants au violon, des cantatrices célèbres qui entonnaient de mémorables chants d'anniversaire à Louis de Funès et Yves Montand, lesquels venaient s'y inspirer pour nourrir leur personnage dans Le Grand Restaurant et Garçon!. Le Taillevent, c'est aussi le cadre inspirant d'un des films d'animation les plus populaires et attachants de l'histoire du cinéma: Ratatouille.

Outre le prestige feutré de cet ancien hôtel particulier du duc de Morny, tout près des Champs-Élysées, voilà un établissement à la réputation sans faille de son père fondateur, André Vrinat, qui lui offre la destinée qu'on lui connaît depuis 1946.

Son fils Jean-Claude lui a succédé rue Lamennais. Il fut un pionnier en matière de vins. Il est alors le premier à proposer d'autres terroirs que les Bordeaux: la Bourgogne et la Champagne notamment. Il a été un grand restaurateur qui a su transmettre sa passion pour le vin et la bonne chère. Le chef Alain Solivérès, trois étoiles qui officia pendant presque dix-huit ans, incarnait cette cuisine bourgeoise chère à la clientèle des gourmets du monde entier.

En 1987, Jean-Claude Vrinat confie à sa fille unique Valérie l'ouverture des Caves de Taillevent pour permettre aux amateurs d'acheter des bouteilles que seuls Vrinat père et fils parviennent à acquérir. Nombre de clients cherchent à emporter la magnifique carte des vins, un trésor œnologique où des millésimes rares de Pétrus figurent en bonne place à la page des Pomerol.

Si Valérie reprend les rênes de la maison en 2008 après le décès subit de son père, elle va céder sans tarder Le Taillevent, la cave et le second restaurant à Thierry, Stéphane et Laurent Gardinier en 2011, qui vont aussi développer le second restaurant Les 110 de Taillevent qui a vu le jour en mai 2012. Valérie Vrinat l'a reconnu elle-même: «Ce qui est formidable, c'est de pouvoir assister à la réalisation de tout ce dont mon père ou moi-même pouvions rêver pour Taillevent.»

La signature d'un nouveau lieu de vie

Le Taillevent incarne l'une des plus belles adresses de Paris au passé aristocratique.

Pierres de taille, pilastres, frontons, chapiteaux... Le cadre historique voire formel a convaincu les frères Gardinier de confier une nouvelle interprétation de ce riche héritage à l'architecte d'intérieur Yann Montfort. L'objectif? Apporter une convivialité moderne dans un lieu de vie jusqu'ici dominé par des lignes radicales.

La salle du restaurant Taillevent. | Julie Limont

Quant à l'escalier magistral, il s'inscrit désormais comme un trait d'union entre la salle Trianon au rez-de-chaussée privilégiant l'intimité de trois alcôves et la salle Lamennais à l'étage, historiquement la salle à manger principale de quarante couverts, emblématique et séduisante pour ses boiseries en chêne.

Privilégiant les artisans d'art français, Yann Montfort a sollicité en premier lieu la plasticienne Solène Eloy pour la réalisation d'une fresque à la feuille de cuivre dorée qui vient relever discrètement les boiseries et réinterpréter avec poésie Le Viandier, premier livre de cuisine en langue française écrit par Guillaume Tirel dit Taillevent. Luminaires, matériaux nobles, couleurs chaudes, mobilier de service qui facilite le travail et la circulation... Tout a été pensé et dessiné sur mesure pour créer une atmosphère au chic parisien unique et convivial. Le nouveau Taillevent cultive l'expertise de l'âge, mais rajeunit pour de bon.

«Le Taillevent gagne en rondeur, en élégance d'esprit et en sensibilité. L'intention culinaire se décomplexe pour en faire à nouveau l'une des tables les plus désirables du triangle d'or élyséen», résume Julia Dionisi, nouvelle directrice générale des Maisons Taillevent.

Giuliano Sperandio, un chef engagé et bien inspiré

Le talent de Jocelyn Herland et son expertise d'une cuisine de palace laissent place à un chef rompu lui aussi à l'excellence, mais résolument impertinent dans son approche de la cuisine et sa vision d'une belle institution.

Affranchi des codes de la gastronomie avec plus de dix ans d'expérience et de menus Carte blanche auprès de Christophe Pelé à la Bigarade d'abord, au Clarence ensuite, ce chef endosse le rôle de «passeur» qui saura exalter l'histoire d'une telle maison.

«J'ai toujours cuisiné dans une totale liberté d'esprit et d'exécution, poussant et repoussant le champ de la créativité jusqu'à ce que l'opportunité de ressusciter toute la substantifique moelle d'une maison historique me soit offerte. Le Taillevent a fait rêver des générations de cuisiniers et aujourd'hui encore, c'est une référence dans l'histoire de la haute gastronomie auprès de tous les jeunes chefs dans le monde. Il ne tient qu'à nous qu'elle retrouve son panache qui force sa légitimité depuis 1946, et qu'elle montre toute la modernité de la cuisine bourgeoise du XXIe siècle», rappelle Giuliano Sperandio, très conscient de ses responsabilités.

Le chef du Taillevent, Giuliano Sperandio. | Julie Limont

Et c'est en se plongeant dans les archives de cette maison que ce chef curieux découvre par exemple qu'en 1969, la carte déroulait déjà les prémices d'un triptyque d'avant-garde: consommé de bœuf en gelée, tartare et caviar... «Quelle combinaison moderne», s'amuse-t-il. Si ce chef entend bien respecter l'esprit du Taillevent, il n'en reste pas moins déterminé à «rester libre dans la conception de ses plats».

Sans dénaturer l'héritage du Taillevent, le chef a tenu à conserver certains plats emblématiques mais en ajustant la grille de lecture: le fameux boudin de crustacés, puis de homard, retrouve désormais fraîcheur, mâche et lisibilité grâce à des langoustines fraîches justes tiédies à la salamandre et servies sur un lit de courgettes jeunes, à peine troublées par l'acidité d'une oseille rouge… Une admirable composition.

«Giuliano a une personnalité forte mais a su endosser l'héritage traditionnel de notre Maison. Sa modernité est totalement en adéquation avec l'ADN du Taillevent et ce dialogue peut ainsi s'inscrire sur le long terme», indiquent Thierry, Stéphane et Laurent Gardinier, très fin palais.

Originaire de Ligurie en Italie, ce chef voyageur débute sa carrière auprès d'établissements iconiques de la Botte tel qu'Il Pelicano en Toscane avant de s'envoler pour New York, Monaco, Saint-Moritz et Mykonos: un vrai parcours de maestro de la poêle.

Fasciné depuis toujours par la complexité de la cuisine française, il arrive dans l'Hexagone en 2006 pour se frotter le plus sérieusement du monde à la maîtrise des cuissons au beurre, du gibier, sous l'expertise du chef triple étoilé Pierre Gagnaire, avant de s'installer durablement auprès de Christophe Pelé: une rencontre évidente. C'est ce qui permet à Giuliano d'inaugurer aujourd'hui un tout nouveau chapitre: assouvir l'envie de réviser le répertoire classique, celui d'une cuisine bourgeoise tournée vers l'avenir.

Émilie Couturier, une cheffe pâtissière exigeante

Après avoir commencé son apprentissage au Domaine Les Crayères à Reims, c'est au Clarence aux côtés de Giuliano Sperandio et Christophe Pelé qu'Émilie expérimente cette pâtisserie de l'instinct, sans carte et en totale improvisation.

La cheffe pâtissière du Taillevent, Émilie Couturier. | Julie Limont

«Le dessert ne doit jamais venir alourdir le repas. Il doit être digeste au premier regard et suffisamment marquant pour que l'on ne regrette jamais d'y avoir cédé… Autrement dit, il doit apporter de la fraîcheur et faire preuve d'une certaine simplicité», résume avec humilité Emilie. Cette cheffe méticuleuse n'est d'ailleurs pas mécontente de veiller sur une brigade exclusivement féminine. «Ce n'était pas voulu mais j'en suis ravie: c'est calme, fluide et concentré.»

Une cave emblématique

Avec plus de 3.000 références de vins et spiritueux et au total 20.000 bouteilles, Le Taillevent s'inscrit parmi les plus belles caves de la capitale et la première à référencer des allocations prestigieuses telles que les Domaines Coche-Dury, Armand Rousseau, Georges Roumier, et des millésimes anciens comme ce Château Ducru Beaucaillou Saint-Julien 1890.

Paul Robineau, chef sommelier exécutif, propose aujourd'hui plus d'une trentaine de références au verre parmi lesquelles des maisons prestigieuses comme le Domaine des Comtes Lafon (Meursault), Le Clos Rougeaud en Saumur-Champigny ou les Côte-Rôtie du Domaine Jamet, la plupart servies en magnum pour un gage optimal de qualité.

Au restaurant Taillevent, la poularde, gâteau de foies blond, blettes et anchois. | Arbès Food

À la carte du Taillevent: le foie gras de canard de Barbarie, millefeuille de courges, châtaigne et mangue (75 euros); les langoustines en boudin «Tradition Taillevent», artichauts, sauce Choron, myrtilles (98 euros); les Saint-Jacques, céleri rave, coing et caviar (94 euros); les racines au vieux comté, truffe d'automne, noix de muscade (68 euros); les grenouilles meunière au citron, livèche, épeautre et cumin (78 euros).

La langoustine en boudin. | Julie Limont

Le Saint-Pierre, chou de Milan, encornets, géranium, pistaches (95 euros); le homard bleu, cèpes, sauce homardine, noisettes fraîches (120 euros); la sole aux amandes grillées, citron confit, crevettes impériales, gorgonzola (105 euros).

Le Saint-Pierre, chou de Milan, encornets, géranium, pistaches. | Julie Limont

Le ris de veau, betteraves confites, ragoût de veau, prunes au sel (96 euros); l'agneau aux olives vertes et feuilleté d'échalotes, girolles (98 euros); la poularde, gâteau de foies blonds, blettes, anchois (86 euros).

Le ris de veau, betteraves confites, ragoût de veau, prunes au sel. | Arbès Food

La sélection de fromages affinés (30 euros).

L'agneau aux olives vertes et confit d'échalotes. | Arbès Food

Les crêpes Suzette Taillevent, fruits frais, pistache, lait cru et fleur d'oranger (34 euros); les blancs en neige, poire, citron, sabayon cardamome (28 euros); le chocolat, chocolat, chocolat (32 euros); le soufflé à la vanille, pécan, café (32 euros); les feuilles à feuilles d'automne, sarrasin, miel de forêt, yaourt, truffe (36 euros).

Les blancs en neige, poire, citron, sabayon cardamome. | Julie Limont

Les différentes propositions du Taillevent pour cette saison:

Le menu au déjeuner (90 euros), un bon prix; le menu «Héritage Taillevent» en quatre services (190 euros); le menu «Gestes du Taillevent» en quatre services (275 euros).

Les accords mets et vins:

«L'accord du Taillevent», vins servis en quatre temps, 10 centilitres le verre (180 euros); «Les Trésors du Taillevent», vins servis en quatre temps, 10 centilitres le verre (375 euros).

15, rue Lamennais, 75008 Paris. Tél.: 01 44 95 15 01. Ouvert au déjeuner du mardi au vendredi, fermé au dîner le samedi et le dimanche.

Les Maisons Taillevent sont détenues par le groupe Gardinier, fondé par Lucien Gardinier en 1927 et aujourd'hui dirigé par les frères Thierry, Stéphane et Laurent Gardinier.

Les 110 de Taillevent

La table œnologique de l'institution gastronomique fête dix années d'une cuisine bourgeoise et généreuse, d'accords mets et vins inédits à Paris, le tout dans un cadre contemporain signé du décorateur Pierre-Yves Rochon, et de nouveau ouvert 7 jours sur 7. Si l'on ne choisit pas le grand étoilé connu, on peut se rabattre sur cette succursale gourmande à l'accueil parfait.

La salle du restaurant Les 110 de Taillevent. | Anne-Emmanuelle Thion

Un très bon chef en cuisine, Grant Waller

C'est l'esprit de famille qui souffle un peu plus encore en cuisine depuis janvier dernier avec l'arrivée de Grant Waller, passé par les plus belles brigades: de L'Arpège au Pré Catelan en passant par L'Arôme.

Au 110 de Taillevent, le chef Grand Waller. | Arbès Food

Aujourd'hui, c'est un cuisinier qui revendique la volonté d'ancrer une cuisine française sans sophistication superflue, simplement inscrite dans la mémoire collective avec quelques recettes devenues incontournables au 110 de Taillevent: le pâté en croûte Tradition, le vol-au-vent à la financière, la mousse chaude au chocolat noir et autres délices de l'enfance… Un ensemble qui sonne comme un retour aux sources pour cet amoureux des produits et des saisons, qui connaît bien «la maison» pour avoir été le sous-chef du Taillevent pendant douze ans, un sacré challenge.

Un nouveau sommelier, une nouvelle approche

C'est l'arrivée de Maxime Barreau qui vient incarner les 110 accords de mets et vins initiés par la maison. Pour chaque plat, quatre propositions: Sérénité, Audace, Plénitude, Secret. Et c'est à cet expert passionné qu'il revient d'accompagner chaque convive dans la recherche d'un accord intuitif ou plus inattendu dans le choix d'un millésime à son apogée ou d'une dégustation à l'aveugle.

Au 110 de Taillevent, le chef sommelier Maxime Barreau. | Arbès Food

Avec plus de 2.000 références et 24 propositions gastronomiques qui se renouvellent tous les quinze jours parmi les 110 vins au verre, Les 110 de Taillevent offre un concept unique à Paris avec des allocations vineuses introuvables ailleurs dans la capitale. Pour chaque plat, quatre propositions au verre ou demi-verre.

Au comptoir ou en salle

C'est le directeur Alexandre Mounier, passé par de prestigieuses maisons comme Le Balzac chez Pierre Gagnaire et Le Clarence, qui veille désormais au confort des convives de ce lieu de vie à la fois intemporel et décontracté. «J'ai envie que l'on ne vienne pas seulement célébrer le vin aux 110 de Taillevent, mais aussi l'amitié et le partage», déclare-t-il.

Au 110 de Taillevent, le directeur Alexandre Mounier. | Arbès Food

À la carte

Les entrées: le pâté en croûte Tradition (21 euros); le thon fumé en tataki, piperade (23 euros); la rémoulade de tourteau (28 euros); les gnocchis, crème de parmesan, beignet de sauge (17 euros); le pressé de légumes d'automne, anguille fumée (19 euros); le risotto d'encornet, chorizo (22 euros); les langoustines, tartare et velouté, citronnelle (26 euros).

Au restaurant Les 110 de Taillevent, le pressé de légumes, anguille fumée. | Marco Strullu

Les plats: le turbot rôti et spaghettis noirs (56 euros); la pissaladière de rascasse (37 euros); le merlan frit Colbert sauce tartare (34 euros); le filet de daurade poêlé, brocoli, noisettes fraîches, sauce aux câpres (28 euros); le filet de bar braisé, cocos de Paimpol, coquillages, sauce bretonne (36 euros); les pastillas de lapin (28 euros); la ballottine de volaille et homard (42 euros); le vol-au-vent (32 euros); l'entrecôte de bœuf laquée au soja (53 euros); la tourte de canard au foie gras (41 euros); la noix de ris de veau dorée au sautoir (58 euros).

Au restaurant Les 110 de Taillevent, le turbot rôti et spaghettis noirs. | Marco Strullu

Les desserts: après l'assortiment de fromages (14 euros), voici la tarte Tatin aux poires et au Stilton (15 euros); les 100 feuilles vanille chocolat (14 euros); la poire aux épices (14 euros); la mousse chaude au chocolat noir sorbet cacao (10 euros); la mirabelle soufflée, glacée, compotée (17 euros); les délices de l'enfance (12 euros); les figues rôties, hibiscus, glace amande (17 euros): un récital sensationnel.

Au restaurant Les 110 de Taillevent, la douceur de poires aux épices. | Marco Strullu

Le menu au déjeuner est à 46 euros: entrée, plat, fromage ou dessert (uniquement hors week-end), un bon plan à midi.

Au restaurant Les 110 de Taillevent, le velouté et tartare de langoustines à la citronnelle. | Marco Strullu

195, faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris. Tél.: 01 40 74 20 20. Carte des liquides admirable. Demi-verre et verre de vin de 3 à 250 euros. Pas de fermeture.