France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Grand Océan : les algues, une "révolution civilisationnelle"

"Rendez-vous compte ! Nous en sommes à un âge préhistorique, celui des chasseurs-cueilleurs. Alors qu'il y a en France 550 chercheurs sur deux espèces de blé, il n'y en a que 70 sur 12.000 espèces d'algues, dont on ne sait cultiver que 10 ou 20 ! " Vincent Doumeizel, conseiller pour les océans au Pacte mondial des Nations unies, vient de leur consacrer un livre enthousiaste, titré "La Révolution des algues" (Éditions des Équateurs). Nori, wakamé, kombu ou hiziki… Ces drôles de noms à la consonance japonaise cachent des végétaux d'une incroyable diversité.

Les algues sont mal-aimées dans nos contrées, contrairement à l'Asie où on les appelle "légumes de mer". Un a priori qui fait que l'Occident prend du retard dans l'exploitation de cette ressource extraordinaire pour l'alimentation, l'agriculture et l'élevage, l'écologie, la santé et la médecine, et même - plus inattendu -, la réduction de la pauvreté voire des inégalités hommes-femmes dans de nombreux pays.

En clair, pronostique Vincent Doumeizel, si tant est que les humains s'emparent de cette "mériculture" - à l'instar de ce qu'ils ont fait avec l'agriculture au néolithique il y a environ 10.000 ans -, c'est une "révolution civilisationnelle " qui se profile. Rien de moins. Avec notre actuelle démographie montante, "nous avons 300.000 personnes de plus à nourrir tous les jours ", assène celui qui est également directeur agroalimentaire à la fondation Lloyd's Register.

Ne pas reproduire en mer les erreurs de la culture intensive

Or, avec les algues, dont on continue "sur la plus grande partie du globe à faire une cueillette sauvage, [on agit] à l'envers de ce qu'il faudrait ", affirme Vincent Doumeizel. C'est comme si on avait essayé jadis de "domestiquer sangliers et vaches sans avoir fait pousser de céréales avant ". Il faudrait commencer par cultiver ces végétaux qui se trouvent au bas de l'échelle alimentaire, pour en tirer ensuite tous les bénéfices. Par exemple, en pratiquant une aquaculture au nom un peu barbare d' "aquaculture multitrophique intégrée (AMTI) ou permaculture de mer, qui consiste à élever des poissons à côté des cultures d'algues et d'invertébrés ". Autrement dit, se rapprocher de ce qui fait les écosystèmes naturels, capables de se régénérer.

Et attention à ne pas reproduire en mer les erreurs de la culture intensive, qui a épuisé les sols sur Terre. À lancer des productions qui détruiraient les sédiments du fond de l'océan. La permaculture en mer, même si elle n'est pas facile à mettre au point, commence de tenter des pays comme l'Inde. Dans ce "pays grand producteur de crevettes [où leurs] élevages sont tenus responsables d'environ 30 % de la destruction des mangroves, niches écologiques d'une grande richesse, les algues s'invitent depuis peu, afin de limiter ces dommages causés à l'environnement. "

Décidément, il faut abandonner ce proverbe de l'Antiquité selon lequel "la mer déteste tellement les algues qu'elle les rejette sur la plage ". Bien au contraire, si Ulva armorica s'empile dans les baies bretonnes, et y pourrit avec une odeur pestilentielle qui la rend détestable, c'est que l'océan se défend contre tous les déversements de type nitrates (venus tout particulièrement des lisiers de porcs) que la terre lui envoie !

Certaines algues brunes bien employées, "accrochées à des câbles et régulièrement récoltées ", pourraient filtrer cet apport chimique qui fait proliférer les algues vertes, ulves perçues aussi comme un poison parfois mortel pour les animaux et les humains. Les Chinois, qui ont passé la surmultipliée sur le sujet et ne veulent pas se voir victimes à répétition de "marées de salade" - telle celle de 2008 pendant les jeux Olympiques d'été à Pékin -, ont adopté cette méthode de dépollution des nitrates et phosphates. Elle permettrait aujourd'hui, après des calculs savants sur leur capacité d'absorption, que "les cultures d'algues en Chine absorbent 75.000 tonnes de nitrates et 9500 tonnes de phosphates par an ".

"La plus grande ressource sur Terre encore inexploitée"

Ces derniers, après recyclage, peuvent être réutilisés sur terre, à l'heure où pointe une possible pénurie de ressources en phosphate. Cette méthode dite de bioremédiation peut cependant avoir l'effet pervers, pense-t-on aussi de ce côté-ci du globe, de constituer une "valorisation d'une pollution", empêchant une réelle prévention de ces rejets nocifs pour l'environnement.

Une chose est sûre, l'acceptabilité de la culture des algues, "la plus grande ressource sur Terre encore inexploitée " (ou presque), est un point clé. Pas étonnant que le milliardaire américain Jeff Bezos s'y intéresse. Vincent Doumeizel, encore étonné d'avoir eu un jour l'homme le plus riche du monde au téléphone, raconte comment ce dernier, après une discussion d'une demi-heure qui l'a manifestement convaincu, a décidé d'"octroyer 100 millions de dollars pour mener des actions qui favorisent l'acceptation sociale " de cette algoculture. Un secteur d'avenir à n'en pas douter. Dont il sera question lors du festival Grand Océan* au cours d'une conférence de Vincent Doumeizel, et d'une table ronde animée par Sciences et Avenir-La Recherche avec la participation de Philippe Potin, directeur de recherche au CNRS, Éric Philippe, coprésident de l'Association Merci les algues, et deux pionnières de l'exploitation de fermes d'algues : Flower Msuya et Briana Warner.

*Détails du programme et inscription gratuite : www.grandocean-event.com