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Grève du 31 janvier : Les fermetures de mairies contre la réforme des retraites sont-elles légales ?

L’appel aux maires de Fabien Roussel a été entendu par « des centaines » d’édiles, selon le responsable communiste. Il leur a demandé de fermer symboliquement ce mardi par solidarité avec la nouvelle mobilisation contre la réforme des retraites qui fait face à une opposition tenace. Plusieurs mairies ont emboîté le pas à Anne Hidalgo, élue PS de Paris, de quoi déclencher la fureur au gouvernement.

« J’ai un peu le sentiment que la maire de Paris confond les services municipaux avec une annexe du Parti socialiste », a rétorqué le ministre du Travail Olivier Dussopt évoquant un problème de « neutralité ». La fermeture de mairies en soutien à un mouvement de grève pose-t-elle réellement un problème de neutralité ? Sont-elles simplement légales ? Quelles problématiques de droit soulèvent-elles ? « La décision de fermer des mairies est attaquable, l’acte est susceptible de recours », tranche auprès de 20 Minutes Anne-Andréa Vilerio, avocate en droit public.

En quoi consistent concrètement ces fermetures ?

La première à avoir répondu à Fabien Roussel a été Anne Hidalgo, élue de la capitale, suivie par plusieurs communes. En ce qui concerne la Mairie de Paris, l’Hôtel de Ville restera fermé au public toute la journée, ainsi que l’exposition Capitale(s) sur l’art urbain, et deux affiches « Mairie solidaire avec le mouvement social » seront installées sur la façade, a précisé la Ville à l’AFP. Seule la « halte femmes » pour les femmes sans abri sera accessible. Une « large invitation » à se mettre en télétravail est par ailleurs lancée aux agents non grévistes. Toutefois les agents de la ville qui ne peuvent pas télétravailler pourront accéder à l’Hôtel de Ville. La décision de fermer ou non les mairies d’arrondissement est en revanche laissée à la libre appréciation de chacune d’entre elles. Dans ces dernières, l’état civil restera toutefois ouvert et les mariages continueront d’être assurés.

Dans le Val-de-Marne la maire de Bonneuil-sur-Marne, Denis Öztorun Ömür, a décidé de fermer symboliquement son hôtel de ville. Fontenay-sous-Bois, Ivry-sur-Seine, et Villejuif ont annoncé la fermeture de leurs services municipaux, rapporte Le Parisien. Mais aussi Montreuil, Lens et le maire LFI de Faches-Thumesnil (Nord), Patrick Proisy, a annoncé que les heures de grève des agents de sa ville ne seraient pas décomptées à partir de 14 heures, « afin qu’ils puissent se rendre l’après-midi à la manifestation à Lille ».

Fermer une mairie en soutien à un mouvement social est-ce légal ?

Si elle n’est pas complètement inédite, c’est une action rare que de voir les mairies se mobiliser de cette manière contre un projet de réforme gouvernemental. Et si elle peut s’entendre dans le cadre d’un affrontement politique, « d’un soutien exprimé » aux grévistes, selon Stéphane Sirot, historien et spécialiste des mouvements sociaux contacté par 20 Minutes, au niveau du droit, elle est bien plus discutable. Elle est même susceptible d’engendrer des recours, notamment de la part des conseillers municipaux.

Comme le rappel Anne-Andréa Vilerio, un précédent juridique a donné lieu à une jurisprudence lorsque la cour administrative d’appel de Lyon a jugé en 2018 illégal le fait de fermer partiellement les services publics. « Le maire de Grenoble a pris part à un mouvement national, de nature politique, contre la baisse des dotations de l’Etat décidée par le gouvernement. Un tel motif, étranger à l’intérêt de la commune ou au bon fonctionnement des services municipaux, est de nature à entacher cette décision d’illégalité », peut-on lire dans la décision.

Par ailleurs, si la décision prise en solidarité avec le mouvement de grève du 31 janvier tend à ne pas pénaliser les grévistes financièrement, cela peut être interprété comme « une subvention publique déguisée », or, cette dernière « ne doit jamais être attribuée à des fins politiques », souligne pour sa part Jean-Paul Markus, professeur en droit public à l’université Paris-Saclay, contacté par 20 Minutes. En outre, la décision de la mairie de Faches-Thumesnil de ne pas décompter les heures de grève à partir de 14 heures va à l’encontre du principe de « service fait » à savoir « qu’on ne peut pas payer un agent si le service n’a pas été fait », abonde-t-il.

Qu’est-ce que le principe de neutralité ?

Invoqué par le ministre du Travail, le « principe de neutralité » des personnes et agents publics s’exprime, dans la loi, dans cadre de la laïcité, nuance Anne-Andréa Vilerio. Toutefois, une jurisprudence du Conseil d’Etat encadre plus étroitement ce principe de neutralité afin « d’éviter que le service public ne soit utilisé à des fins de propagande politique », résume l’avocate. « Le principe de neutralité des services publics s’oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques », a ainsi jugé le Conseil d’Etat en 2005. Les affiches « Mairie solidaire avec le mouvement social » qui seront installées sur la façade de la mairie de Paris risquent là encore de se heurter au droit.

Et si le maire est une personnalité politique, élu grâce à un programme ou à son appartenance politique et qu’il a « toute la liberté d’expression », il est aussi agent administratif et dans ce sens, « il doit être neutre dans sa mission administrative », développe Jean-Paul Markus.

Mais pour Stéphane Sirot, cette action de fermeture des mairies s’inscrit dans « un rapport de force qui se joue aussi sur le terrain politique et ceux qui s’en offusquent sont principalement des élus ou responsables de la majorité ». Et de souligner que « le gouvernement est lui aussi loin de respecter la neutralité lorsqu’il envoie des mails aux fonctionnaires pour expliquer une réforme qui n’est pas encore votée », s’agace-t-il. Reste à voir si des conseillers municipaux vont tenter le recours en justice pour contester les fermetures prévues mardi.