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Grève du 7 février : nous avons compté les manifestants avec Occurrence

« Et on ira… et on ira… et on ira jusqu'au retrait ! » Les chants des manifestants contre la réforme des retraites s'engouffrent par les fenêtres entrouvertes de la chambre d'hôtel du 3, boulevard Montmartre, ce mardi 7 février. C'est là que le cabinet Occurrence, filiale de l'institut de sondage Ifop, s'est installé, en surplomb du cortège, pour compter la manifestation. Le cabinet, qui réalise son comptage pour plusieurs médias, dont l'Agence France-Presse et France Télévisions, a été vivement critiqué lors de la précédente mobilisation pour son chiffre (55 000) bien inférieur à celui de la police (87 000) et des syndicats (500 000).

Alors ce mardi, il est bien décidé à montrer patte blanche. Dans la pièce, plusieurs journalistes venus passer l'après-midi avec les équipes pour observer leur méthode. Sur le garde-corps de la fenêtre, un boîtier noir fixé à une perche. C'est le capteur, qui enregistre le passage de la foule en contrebas. Sur le bureau, un ordinateur retransmet les images en direct, barrées d'une ligne virtuelle tracée par Jocelyn, directeur de filiale, avant le début de la manifestation.

Le capteur est installé au quatrième étage de l’hôtel, en surplomb du cortège. © TD

De mur à mur, elle compte chaque personne qui la traverse, avec une flèche verte quand elle avance dans le bon sens, une flèche rouge en sens inverse. Chaque sens est compté dans un compteur à part et celui des personnes à contresens n'est pas soustrait : il n'est pas utilisé du tout.

Chiffres corrigés

Feuille à la main, Camille, Data Analyst, note les changements de densité. Pour chaque phase de densité, Occurrence va effectuer des recomptages manuels en revisionnant des passages d'une trentaine de secondes. « Ça nous permet de corriger les chiffres du capteur, qui a plus de difficulté à détecter tout le monde dans les moments de très forte densité », explique Jocelyn. Un deuxième captage vidéo, avec un comptage manuel, est placé dans un hôtel sur l'itinéraire bis, le parcours de délestage sur lequel passent quelques milliers de manifestants supplémentaires. Le 19 janvier, le parcours de délestage n'avait pas été prévu, Occurrence n'a donc pas communiqué de chiffre sur la manifestation parisienne.

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La méthode est fiable, assure le cabinet. Le capteur et l'algorithme qui compte les passages sont ceux, éprouvés, d'une société spécialisée dans le comptage de flux, Eurcam. Mais comment expliquer de telles différences avec les syndicats et la police ? « C'est difficile, car on ne sait pas comment les autres produisent leur chiffre », souffle Assaël Adary, cofondateur du cabinet.

Une certitude toutefois : « Un comptage humain en direct, ça n'est pas possible. Et encore moins si c'est fait depuis le sol, sans être en surplomb. » Depuis le quatrième étage de l'hôtel, on se rend d'ailleurs bien compte de cet effet d'optique : si au sol, au cœur de la manifestation, on a souvent l'impression d'être noyé dans la foule, vu d'en haut, on se rend compte que les passages où la foule est dense sont très rares sur trois heures de manifestation.

Recomptage à la main

Face à la polémique de la manifestation du 31, les équipes d'Occurrence ont tout recompté à la main, à froid. « Ça nous a pris huit heures, détaille Assaël Adary, et on est tombés sur 58 000 à 62 000, proche de notre chiffre d'origine. » Des recomptages manuels, le cabinet en avait déjà fait à ses débuts, pour valider sa méthode avec ses clients médias, et la marge d'erreur était d'environ 8 %. Sachant qu'un recomptage manuel n'est jamais parfait non plus, car il est difficile de rester concentré devant des images pendant huit heures.

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Assaël Adary reconnaît un écueil : avec un seul point de comptage par parcours, impossible de compter des manifestants qui auraient quitté le cortège en cours de route. « C'est pour ça qu'on essaie de se placer le plus tôt possible. Là, on est à 500 mètres du départ place de l'Opéra, ça limite ce risque. » L'équipe avait tenté une fois d'installer deux points de comptage, et n'a mesuré que 5 % de perte entre le premier et le deuxième. Le phénomène serait donc de toute façon limité.

Arrêter une méthode de comptage unique

Aucune méthode n'est parfaite, « mais l'essentiel, c'est d'être transparent et d'identifier les biais pour les corriger ». Le cofondateur, qui souhaitait au départ proposer un chiffre « indépendant, qui n'appartienne à aucune des parties, ni à l'État ni aux syndicats », aimerait d'ailleurs que tout le monde se mette autour de la table pour arrêter une méthode de comptage des manifestations qui ferait consensus, un peu comme pour les audiences télé. « TF1 ne mesure pas elle-même son audience, et ce n'est pas non plus son concurrent France 2 qui le fait. »

Tout au long de la manifestation, les équipes d’Occurrence notent les évolutions de la densité du cortège. Cela servira notamment à redresser les chiffres. © TD

16 h 56, les derniers manifestants passent sous les fenêtres de l'hôtel, suivis des agents de propreté de la ville. Le cortège est officiellement passé en entier, et Camille peut arrêter le comptage du capteur. Les données sont exportées dans un tableur par périodes de dix secondes, auxquelles est attribuée la densité notée pendant la manifestation. À partir des recomptages manuels sont recalculés les coefficients de correction, appliqués aux chiffres bruts du capteur.

Reste à ajouter le comptage manuel du parcours de délestage, et le chiffre final tombe : il y avait environ 60 000 manifestants à Paris ce mardi 7 février. Une fois encore, on est très loin de ce qu'annonce la CGT : 400 000 personnes.